24 Septembre 2015 À 16:00
La stratégie ou l’économie de choc est une thèse défendue par l’auteure américaine Naomi Klein. Dans son livre, elle part des expériences sur le lavage de cerveau et la destruction de la personnalité par des doses successives de chocs, dans le but d’avoir une page blanche sur laquelle on peut écrire ce qu’on veut. L’auteur établit ensuite un parallèle avec les politiques économiques imposées à certains pays à la suite de chocs qu’ils ont connus. Ces chocs peuvent être naturels (sécheresses, maladies, catastrophes, inondations…) ou provoqués (guerres, changements de régime, crise économique grave…). Profitant du traumatisme collectif que provoquent ces chocs, les chantres du capitalisme administrent, grâce à leur domination des institutions économiques internationales (FMI, Banque mondiale, OMC, Agences de notation), plus facilement leurs recettes ultralibérales à un peuple et à son gouvernement devenus des «pages blanches». Ces recettes, résumées dans le consensus de Washington et inspirées des théories du monétariste Milton Friedman, sont toujours les mêmes :
1. Stricte discipline budgétaire : maîtrise des déficits.2. Réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant une forte rentabilité, même au détriment des investissements visant à diminuer les inégalités sociales (soins médicaux de base, éducation primaire, dépenses d'infrastructure).3. Réforme fiscale : élargissement de l'assiette et diminution des taux marginaux, notamment sur les tranches élevées de revenus.
4. Libéralisation des taux d'intérêt.5. Libéralisation des changes.6. Ouverture du commerce extérieur.7. Élimination des barrières aux investissements étrangers (directs ou de portefeuille).8. Privatisation des monopoles et des entreprises publiques pour des raisons idéologiques (l’État est considéré comme un mauvais actionnaire et gestionnaire) et pragmatiques (désendettement public).9. Déréglementation des marchés par l'abolition des barrières à l'entrée et à la sortie.10. Protection de la propriété privée, dont la propriété intellectuelle.Pour étayer sa thèse, Naomi Klein cite plusieurs exemples de l’histoire contemporaine. Elle évoque en particulier le cas des dictatures de Pinochet au Chili, de Soeharto en Indonésie et de la Bolivie. Dans ces pays, les réformes ont été conduites à la suite de coups d’État (choc provoqué) et ont été réalisées en matant toute contestation. L'auteure rappelle également les libéralisations qui ont eu dans les pays de l’Europe de l’Est, en Pologne et en Russie pendant la décennie 90 consécutivement à l’effondrement du bloc communiste, ainsi les politiques ultralibérales suite à la fin de l'apartheid en Afrique du Sud.
Cette thérapie de choc ne concerne pas uniquement les pays en développement, elle est utilisée dans des économies avancées, comme l’illustrent les réformes de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et les politiques pratiquées aux États-Unis et plus particulièrement celles menées par l’administration Bush fils. Ce dernier, profitant des «chocs utiles» du 11 septembre 2001, de la guerre en Irak et de la psychose qui s’est emparée de son pays pour administrer des réformes économiques fort conservatrices, telles que la privatisation de la sécurité aux États-Unis et la libéralisation à outrance de l’économie. L'auteure a étudié aussi les réformes engagées à la suite de chocs naturels, tels que l'ouragan Katrina ou encore le tsunami de 2004. Elle a observé que dans différents lieux du monde où ces politiques économiques de choc ont été conduites, elles ont abouti à la stratification des villes (Bagdad, Beyrouth ou Nouvelle-Orléans) en deux zones : une zone verte, riche et protégée des dangers ; et une ou plusieurs zones rouges, dangereuses et misérables.
L’observation terrain des résultats de cette stratégie a permis de relever deux contradictions majeures par rapport aux thèses défendues par Milton Friedman et l'école de Chicago. Tout d'abord selon ses promoteurs, le néo-libéralisme garantit un plus grand dynamisme de l’économie et un accroissement de la prospérité individuelle, alors que selon l’auteure, ce ne fut jamais le cas dans les exemples qu’elle a étudiés. Ensuite, les défenseurs de ce courant de pensée avancent la thèse selon laquelle, démocratie et néo-libéralisme se soutiennent l'un l'autre. Or les observations empiriques mènent à la conclusion inverse, à savoir que l'imposition de politiques néo-libérales ne s'est jamais produite sans coup d'État, élimination de l'opposition ou imposition d'un état d'urgence.
Cette évolution a conduit Madame Klein à parler de «corporatisme» pour désigner la nouvelle forme de capitalisme qu'elle décrit. En effet, les politiques dites néolibérales n’ont de néolibéral que le nom, tant elles requièrent une lourde intervention étatique pour imposer leur modèle, en provoquant différents chocs. En outre, l’instauration d’une «concurrence libre et non faussée» est une vue de l’esprit. La réalité observée est la tendance des entreprises à former des oligopoles et à protéger la propriété privée des grandes entreprises malgré leur impopularité. Le mot qui convient le mieux pour désigner la privatisation du Gouvernement avec un G majuscule par l'Entreprise avec un E majuscule n'est ni «libéral», ni «conservateur», ni «capitaliste». Il est «corporatiste». Ça a toujours été le cas, sauf que maintenant, on en parle ouvertement.