03 Juillet 2015 À 18:45
Seule des quatre nations constitutives du Royaume-Uni à partager une frontière terrestre avec un pays de l'Union européenne, l'Irlande du Nord suit d'un oeil inquiet le référendum britannique sur l'appartenance à l'UE qui, au-delà du risque économique, pourrait raviver les tensions communautaires.«Quitter l'Europe serait un authentique désastre», estime John Donnelly, un habitant de Newry, petite ville commerçante du sud de l'Ulster. Ici, à sept kilomètres de la République d'Irlande, l'Europe se vit au quotidien.Les parcmètres, les quelques cabines téléphoniques encore debout et tous les commerçants acceptent aussi bien les livres sterling que les euros.
On traverse la frontière quotidiennement pour se rendre au travail, visiter la famille et bien sûr faire ses courses, en gardant un oeil sur le taux de change.En 2008, au temps de l'euro fort, les automobilistes irlandais provoquaient des bouchons longs de plusieurs kilomètres en venant faire leur shopping à Newry. Le phénomène a même eu un nom : «the Newry effect».En ce moment, puisque la livre est chère, la migration s'effectue surtout en sens inverse. «Je vais faire le plein en Irlande, ça me revient entre 15 et 20% moins cher», confirme John Donnelly.
Pour lui, qui se souvient des check points avant la naissance du marché unique européen en 1993, un retour des barrières douanières est tout simplement «inconcevable».Ce sentiment est partagé par beaucoup de monde en Irlande du Nord qui, comme l'Écosse et le Pays de Galles, a tendance à être plus pro-européenne que l'Angleterre. L'Ukip, le parti europhobe de Nigel Farage, y enregistre d'ailleurs des scores dérisoires.«Pour ces petites nations qui ont parfois le sentiment d'être sous le joug de l'Angleterre, l'UE offre un cadre rassurant», constate John Springford, chercheur au «Centre for European Reform», qui a publié une étude montrant qu'un Brexit pénaliserait surtout les régions les plus pauvres du Royaume-Uni.
L'Irlande du Nord, où les salaires représentent seulement 78% de la moyenne européenne, serait particulièrement vulnérable.«Environ 60% de nos productions partent vers l'Eurozone, en particulier l'Irlande. Un Brexit aurait un effet dévastateur sur notre industrie», souligne Stephen Kelly, DG de l'organisation patronale Manufacturing Northern Ireland.
L'industrie ne serait pas seule à perdre gros. «Les paysans, qui représentent un secteur de poids en Ulster, profitent énormément de la Politique agricole commune», rappelle Stephen Kelly.«Le Royaume-Uni dans son ensemble est contributeur net au budget de l'UE, alors que l'Irlande du Nord reçoit nettement plus qu'elle ne donne», tranche John Springford.«En cas de sortie de l'UE, Londres devrait compenser les fonds européens. Ajoutez-y une explosion du coût du business, une capacité amoindrie pour attirer des investissements étrangers et on arrive facilement à la conclusion qu'un Brexit serait dommageable pour l'Irlande du Nord», abonde l'économiste Leslie Budd, auteur d'un rapport officiel pour l'Assemblée d'Irlande du Nord sur le sujet.
«Mais le plus gros risque est politique», estime John Springford. «Si le Royaume-Uni quitte l'UE, les républicains voudront remettre sur la table la question d'une Irlande réunifiée. Cela pourrait faire renaître des tensions sectaires qui sont un peu étouffées aujourd'hui par la facilité à passer d'une Irlande à l'autre.»Ils sont nombreux sur l'île, au Nord et au Sud, à s'inquiéter de l'impact d'un Brexit sur un processus de paix durable, mais fragile, après trois décennies de conflits inter-communautaires ayant fait plus de 3.000 morts.«On reviendrait des années lumière en arrière», a récemment estimé l'ancien Premier ministre irlandais, Bertie Ahern.
L'UE a joué un rôle important pour consolider la paix en injectant pas moins de 1,3 milliard d'euros en Ulster entre 1995 et 2013. «Ça, les gens le savent ici, et ça leur donne une raison supplémentaire de voter pour le maintien dans l'UE. Je pense que le oui à l'Europe va majoritairement l'emporter en Ulster», avance Stephen Kelly.L'ennui, ajoute cependant John Springford, c'est que «l'Irlande du Nord représente moins de 3% de la population britannique. L'issue du référendum sera décidée en Angleterre et nulle part ailleurs».