Culture

«Je pense qu’un très bon pilote reste toujours un très bon pilote»

En marge du Marrakech Grand Prix, organisé le 19 avril dernier, nous avons rencontré le célèbre pilote Jean Ragnotti, plusieurs fois champion de France de Rallye. Aujourd’hui âgé de 70 ans, celui qu’on surnommait Jeannot l’acrobate continue à faire profiter de son expérience l’écurie Renault.

Jean Ragnotti lors du Rallye Monte Carlo de 1981 dont il a été le vainqueur.

28 Avril 2015 À 18:20

Éco-Auto : Renault vous a fait la surprise, en fêtant votre 70e anniversaire à la veille des courses. Racontez-nous votre longue aventure de pilote ?Jean Ragnotti : Je suis né le 29 août 1945 dans le Vaucluse, un département du sud de la France, dans la région d’Avignon. Mais, comme je ne peux pas être sûr de ma présence à Marrakech en août prochain, mes amis ont décidé de fêter mon 70e anniversaire un peu en avance.Mes parents étaient agriculteurs. J’aimais beaucoup la course automobile, mais ils n’avaient pas les moyens pour m’aider financièrement. Dès l’âge de 18 ans, j’ai passé mon permis de conduire aussi bien pour les voitures de tourisme que pour les camions et je suis devenu chauffeur routier dans l’entreprise de mon beau-frère. J’avais fait des économies pendant trois ans et j’avais pu acheter une Renault 8 Gordini, la voiture dont tous les jeunes rêvaient à cette époque (1965-1967). Ainsi, en octobre 1967, j’ai commencé les compétitions. D’abord dans ma région, au sud-est de la France, puisque mon travail ne me permettait pas de trop m’éloigner : après un weekend de course, il fallait reprendre le camion lundi matin.Les bons résultats étaient immédiats avec la Gordini. Pendant trois ans, d’octobre 1967 à fin 1969, mes performances étaient très bonnes. Je suis donc passé pilote professionnel avec Opel en 1971. Ma collaboration avec cette marque a duré pendant 2 années.À partir de 1973, j’ai tenté ma chance en circuit et alors que je courais en Formule 3, Renault-compétition me proposa un contrat pour piloter la Renault 12 Gordini, lors du Rallye de Monte-Carlo de 1973.Je me suis donc engagé avec Renault. Mais en tant que pilote d’essai et de course en circuit, je n’avais pas le temps de faire des rallyes. Dès que j’ai arrêté le circuit à fin 1975, j’ai commencé à courir avec la berline Alpine, la Renault 12 et bien d’autres modèles de la marque. Mon premier contrat professionnel fut signé en 1977 avec Renault, et depuis, j’ai couru avec tous les modèles du constructeur au losange, pendant 20 ans, de 1977 à 1996.

À l’époque, on vous a surnommé Jeannot l’acrobate. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs l’origine de ce surnom ?Effectivement, on m’appelait l’acrobate par ce que, contrairement à la majorité des pilotes qui s’appliquaient à ne pas accuser de retards dans les virages, à conduire vite sans glisser ni faire trop de dérapages, moi, quand il y avait des spectateurs, j’en rajoutais un peu. Cela me donnait une très bonne cote et un côté un peu sympathique et amical auprès du public. Les gens m’appelaient donc par mon prénom. Et comme je faisais du spectacle, ils m’ont donné le surnom d’acrobate.

Dans le rapport du pilote de course à la voiture, qu’est-ce qui a changé aujourd’hui, en comparaison à vos débuts ?Je pense qu’un très bon pilote reste toujours un très bon pilote. Ce qui a beaucoup changé et évolué, c’est la technique. Les ingénieurs et les moyens dont ils disposent font que les voitures progressent d’une manière palpable tous les 5 à 7 ans. Les motorisations et les habitacles semblent s’améliorer doucement, mais au bout de 5 ans, quand vous regardez en arrière, vous constatez que les suspensions étaient quand même moins bonnes, le moteur moins souple, les freins moins performants, etc. Aujourd’hui, l’électronique a pris une grosse part dans les mécanisations des voitures de course, mais aussi dans les voitures de série.

Faut-il être un connaisseur en mécanique pour être un bon pilote ?Je dirais non, pour la simple et bonne raison que moi-même, je ne suis pas un grand connaisseur en mécanique. À mon époque, où il n’y avait pas d’électronique, très souvent, des ingénieurs m’accompagnaient pendant que je faisais des essais sur des petites routes de montagne, pour les rallyes. Nous nous arrêtions fréquemment pour discuter du comportement de la voiture. Par exemple, je relevais que dans tel ou tel virage le train avant du véhicule n’a pas bien réagi ou que l’arrière bouge trop. Les ingénieurs notaient mes remarques et demandaient aux mécaniciens d’opérer les changements nécessaires. Après, on repartait en voiture pour constater les améliorations. Il nous arrivait de rester, au même endroit, une quinzaine de jours pour y travailler. De nos jours, avec l’électronique embarquée, ce n’est plus le cas.

La quête de performance, de fiabilité et de sécurité anime les constructeurs pour remporter les courses. Est-ce que ces améliorations sont intégrées dans les modèles commercialisés ?Oui, bien sûr. Globalement, une dizaine d’années plus tard, les voitures de série profitent de ce qui a été réalisé sur les voitures de course. Les voitures de rallye sont en réalité des prototypes roulants, même si elles sont homologuées. Les systèmes de freinage, les boîtes de vitesses, les amortisseurs et aussi la solidité de l’habitacle profitent des innovations testées sur les voitures de course. À titre d’exemple, les voitures d’aujourd’hui sont mieux conçues en matière de sécurité passive. Avant, quand on percutait un obstacle dur comme un mur ou un arbre, le compartiment moteur et les pédaliers reculaient dans l’habitacle et pouvaient broyer les pieds et les jambes du conducteur, voire provoquer le décès de ce dernier. Aujourd’hui, grâce notamment aux airbags, aux ceintures de sécurité et à la déformation préprogrammée du châssis, même quand vous percutez un obstacle à une vitesse élevée, les dégâts sont beaucoup moins importants.

Pour nos lecteurs peu familiers des courses automobiles, qu’est-ce qui distingue un rallye d’un circuit ?Dans un rallye, le pilote bénéficie d’une marge d’improvisation parce qu’il ne connaît pas bien la route qu’il n’a parcourue qu’une ou deux fois lors des essais. Résultat : il y a des endroits où on va freiner plus tôt ou plus tard. Aussi, lors des rallyes, les voitures glissent beaucoup à cause de la présence du sable ou de la poussière dans les virages. Sur circuit, c’est de l’asphalte où les pilotes ont effectué des essais non chronométrés ainsi que d’autres chronométrés. Les pilotes connaissent donc le parcours au mètre près. Ils savent où ils doivent freiner, braquer, accélérer. Le circuit, c’est presque un cas d’école alors que le rallye garde une marge d’improvisation plus importante.

À l’occasion des shows organisés en marge du Grand Prix, vous avez piloté la Twizy F1, une voiture électrique de Renault aux grandes performances. Quelles sont, à votre avis, les conditions de succès de ce genre de véhicules ?Twizy F1 est un véhicule un peu particulier, ciblé Renault Sport. Les ingénieurs lui ont adapté un récupérateur d’énergie de Formule 1 qui permet d’avoir un rapport poids/puissance très favorable. Résultat : zéro patinage au départ et une accélération foudroyante pendant près de 200 mètres, avant de revenir à sa vitesse normale de véhicule électrique. À l’avenir, ce serait un véhicule avec habitacle, mais qui bénéficie des avantages d’une moto. Toutefois, il est meilleur que ce dernier au niveau de la sécurité. Nous sommes aujourd’hui à la première génération des véhicules électriques, avec une autonomie limitée. Je pense que dans 5 à 7 ans, nous aurons une nouvelle génération qui développera une meilleure autonomie pour ne plus se limiter aux agglomérations.

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