L'humain au centre de l'action future

«Les Gnaoua sont passés de l’ombre à la lumière»

Le Festival gnaoua et musiques du monde d’Essaouira revient, du 14 au 17 mai, pour sa dix-huitième édition. Neila Tazi, directrice et productrice du Festival, nous dévoile les détails du programme et le secret de la réussite de ce rendez-vous musical très attendu au Maroc et à l'international.

Le festival cherche avant tout à préserver son authenticité en étant très attentif à son environnement.

12 Mai 2015 À 17:14

Le Matin : Dix-huit ans déjà pour le Festival gnaoua et musiques du monde, quel regard portez-vous sur le parcours de cet évènement ?Neila Tazi : C’est un festival unique qui a ouvert la voie à une nouvelle façon de voir, de vivre et de partager la culture au Maroc. Un festival qui a démontré que la valorisation de nos spécificités culturelles peut nous ouvrir de belles perspectives et transformer les choses. Les Gnaoua sont passés de l’ombre à la lumière, et ce festival, comme d’autres, rythme la vie d’Essaouira qui était une belle ville endormie devenue aujourd’hui une cité modèle.C’est un festival qui rappelle que la passion, le travail et la patience sont des valeurs sures et inestimables. Car l’important est de construire et de pérenniser, dans la cohésion, la constance, la qualité et la force du message, et c’est cela le plus difficile à réussir.Ce festival est passionnant parce qu’il réussit chaque année à réunir des centaines de milliers de personnes de sensibilités différentes, étudiants, familles, intellectuels, artistes, leaders politiques et économiques, marocains et étrangers.

Après plusieurs années d’existence, le festival suscite toujours l'engouement du public, quel est le secret de ce succès ?C’est un festival qui cherche avant tout à préserver son authenticité en étant très attentif à son environnement. Nous travaillons pour que les Gnaoua et Essaouira soient au cœur de ce festival, pour que le public et les artistes y soient parfaitement accueillis, pour que la programmation soit juste, audacieuse et avant-gardiste, pour que ce soit un beau moment de retrouvailles et d’échanges, un moment où chacun se ressource et partage des valeurs essentielles.

Ce rendez-vous artistique va au-delà d’une simple manifestation musicale, c’est une histoire humaine… quelle est, selon vous, l'importance du Festival Gnaoua et musiques du monde pour une ville comme Essaouira ?C’est assurément une histoire humaine qui se construit avec conviction et engagement. Toutes les personnes qui portent ce festival, organisateurs, pouvoirs publics, partenaires, associations, médias, artistes, veulent avant tout accompagner un événement attaché à des valeurs de progrès, de liberté, de respect, de mixité et de dialogue. Des personnes qui se sont armées de patience pour convaincre de l’importance de ce type d’action. Car il faut le rappeler, il n’était pas facile, il y a 18 ans, de convaincre qu’un festival de Gnaoua à Essaouira aurait autant de sens et d’impact.

Le festival a-t-il un impact direct sur les habitants ?Forcément par la dynamisation de l’économie et du commerce et par la création d’emplois.

La Fondation Valyans a fait une étude positive sur l’impact du festival sur la ville, est ce que ces résultats seraient derrière de nouveaux engagements et partenariats avec la ville, les autorités locales et le secteur privé ?L’étude de la Fondation Valyans a permis de démontrer que chaque dirham investi dans l’organisation du festival en génère 17 pour la ville. Elle a également permis de démontrer que certains commerçants multiplient leur chiffre d’affaires par 7 durant le festival. Cet événement qui ne dispose d’aucun budget marketing et publicité engendre l’équivalent de 80 millions de dirhams de retombées médiatiques pour la ville et le Maroc. Il est important de souligner ces chiffres, car ils rappellent la force et l’impact d’un événement qui coûte peu. Cette étude nous a permis de convaincre la ville de s’engager pour aider au financement du festival.

Qu’en est-il des artistes Gnaoui, notamment les femmes ? Est-ce que leur situation connait un réel changement en dehors du festival ?Lorsque nous avons lancé le festival il y a 18 ans les Gnaoua étaient marginalisés. Le travail fait par le festival depuis 18 ans et la création de l’association Yerma Gnaoua il y a 5 ans ont permis de revaloriser cet art, d’œuvrer à sa préservation et de faire évoluer la condition sociale des mâalems. Ceux-ci accèdent enfin au statut d’artiste professionnel et peuvent bénéficier de la couverture médicale pour artistes. Ils gagnent en notoriété auprès du public et de grands noms de la scène internationale, et je vous invite à écouter les récentes déclarations de Herbie Hancok ou Marcus Miller à ce sujet.

L’année 2015 a enregistré l’inscription du patrimoine Gnaoua à l’Unesco, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?L’année 2015 est celle du dépôt à l’Unesco de la demande d’inscription de la culture des Gnaoua sur la liste du patrimoine oral et immatériel de l’humanité. C’est un projet que nous portons depuis plusieurs années et nous espérons sincèrement le voir aboutir. Le processus prend du temps, environ deux ans au cours desquels la commission Unesco se rend au Maroc et mène ses recherches sur le terrain et en contact avec le ministère de la Culture et la direction de la Coopération et de l’action culturelle du ministère des Affaires étrangères.

Cette année au Forum, on parlera de tous les aspects de la participation féminine dans la vie publique en Afrique. Quelle place occupera la femme marocaine et la femme souirie dans les débats ?Le principe même du forum est de créer les conditions d’un débat ouvert et sans langue de bois, un débat entre les intervenants et les participants dans la salle. Le forum est ouvert au public et toute personne qui le souhaite peut y assister dans la mesure des places disponibles. Quatre grands thèmes domineront cette édition, «la famille en révolution», «femme et création», «la nouvelle visibilité des femmes», «femmes et politique».

Les participantes viendront de 7 pays africains et les Marocaines seront bien représentées dans chacune de ces thématiques, avec la présence de femmes admirables telles que la ministre Mbarka Bouaïda, Miriem Bensalah, présidente de la Confédéraion générale des entreprises du Maroc, les professeurs Fatima Sadiqi et Rajae Cherkaoui Morsli, la syndicaliste Amale Amri, les militantes Najat Mjid et Amina Slaoui, et enfin de l’éminente journaliste Nadia Salah. Je suis persuadée que leurs témoignages seront essentiels parce que, bien que nous ayons encore beaucoup de chemin à parcourir, le Maroc engage des réformes et des débats essentiels concernant la place de la femme dans tous les domaines. La Moudawana a fait du Maroc un pays exemplaire dans cette région du monde, la parité est un objectif constitutionnel essentiel en débat chez nous, la question de l’avortement est un sujet de société qui sera déterminant aussi dans cette quête de plus de droits pour les femmes. Le Maroc a beaucoup à partager avec nos voisins du continent, et l’intégration continentale ne pourra se faire sans les femmes qui mènent une révolution silencieuse et fondamentale pour l’avenir de l’Afrique. n

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