15 Avril 2015 À 18:03
Le Matin : Vous venez de recevoir le prix L’Oréal -Unesco pour les Femmes et la Science, devenant ainsi la première Marocaine à remporter un tel prix. Que représente pour vous cette consécration ?Rajaâ Cherkaoui El Moursli : J’ai été désignée par la fondation L’Oréal et l’Unesco pour la région de l’Afrique et les États arabes. Cela représente pour moi une grande fierté et une reconnaissance des efforts des chercheuses marocaines qui sont dans l’ombre. Au Maroc, les femmes sont très compétentes en biologie et en médecine. Elles sont dans ces filières, les premières de la classe à 60%. Nous avons des chercheuses très brillantes, mais malheureusement elles ne vont pas très loin, car ce secteur reste très marginalisé au Maroc. Ce prix me permettra donc de faire passer des messages qui me tiennent à cœur et d’être un exemple pour les femmes marocaines scientifiques.
Pourriez-vous revenir sur la découverte grâce à laquelle vous avez été consacrée, à savoir le «boson de Higgs» ?J’ai collaboré dans le cadre d’un projet mondial, basé à Genève, dans le domaine de la recherche fondamentale. On était près de 3.000 physiciens issus de 38 pays. Le Maroc a été le premier pays arabe et africain à participer à cette recherche en 1996 et nous avons – moi et deux autres chercheurs marocains – participé à la fabrication d’un sous-détecteur dans le cadre du projet Atlas avec des chercheurs français et suédois. Nous avons ainsi contribué à la construction, la simulation, aux essais et au lancement du calorimètre électromagnétique, l’un des sous-détecteurs de l’expérience Atlas. Ce travail a joué un rôle important dans la confirmation de l’existence du «boson de Higgs». Ce dernier, pour rappel, a été annoncé en 1964, mais c’est qu’en 2012 que nous avons prouvé la véracité de ce modèle d’une manière physique. Un modèle qui revient sur la création de l’univers et tente de percer les mystères du Big Bang.
Quels sont les obstacles que rencontrent les femmes chercheuses au Maroc ?Il existe encore beaucoup d’obstacles administratifs dans ce domaine. L’université est gérée par des lois très caduques qu’il faut changer impérativement. Il est insensé qu’en 2015, une université soit gérée par une loi semblable à celle d’une commune. De même, il n’y a pas de statut convenable pour les enseignants. Il faut valoriser l’enseignant qui apporte de l’innovation, que ce soit dans l’enseignement ou la recherche. Ceci sans parler des budgets très modestes réservés à la recherche. Nous ressentons une frustration, surtout chez les femmes. Par exemple, nous sommes trois femmes membres sur une soixantaine au sein de l’Académie Hassan II des sciences et techniques. Cela ne veut pas dire que nous ne disposons pas de femmes compétentes, mais qu'on ne les valorise pas. Il faut changer rapidement et d’urgence ce système qui ne promeut pas la recherche scientifique.