01 Mai 2015 À 17:31
Le Matin-Eco : Vous êtes implantés au Maroc depuis 2012 dans le cadre d’un vaste programme d’expansion africaine. Que représente aujourd’hui le Maroc pour Éléphant Vert ?Sébastien Couasnet : Le Maroc représente le hub d’Éléphant Vert en Afrique. Pour desservir les marchés africains, mais aussi européens, nous avons décidé d’ouvrir en 2012 une unité à l’agropole de Meknès. Il s’agit d’une grande unité de production de 10 hectares, l’unique au monde et la pionnière en termes de technologie. Nous produisons des biopesticides et des biofertilisants à base de micro-organismes. En fin d’année, nous serons 220 salariés sur le site de Meknès. Le Maroc a des enjeux très importants pour nous puisque c’est une vitrine technique, économique et de savoir-faire pour Éléphant Vert. En effet, le Maroc n’est pas qu’un hub industriel pour nous, mais aussi un hub en R&D, car on y a implanté Valoris, notre branche recherche et développement. Celle-ci centralise l’innovation du groupe à l’échelle mondiale.
Quelle est la capacité du site de Meknès et vos objectifs à moyen terme ?Toute d’abord, il faut spécifier que nous disposons de plusieurs produits. Nous avons les biopesticides et les micro-organismes ou microchampignons. La première tranche nous permettra de produire 120 tonnes de micro-organismes, puis on va monter à 300 tonnes d’ici 2018. C’est de la matière active avec laquelle on n’utilise que quelques grammes par hectare, cela veut dire que les biopesticides produits par l’usine de Meknès permettront de répondre aux besoins de millions d’hectares au Maroc, en Afrique et en Europe. Pour la partie biofertilisants, nous disposons d’une capacité de production de 50.000 tonnes. Nous avons produit 10.000 tonnes en 2014. Nous ambitionnons ensuite d’atteindre 30.000 tonnes cette année, avant de franchir 50.000 tonnes en 2016.
Avez-vous trouvé des difficultés à dénicher des profils pointus pour votre laboratoire de recherches à Meknès ?Nous n’avons pas trouvé de difficultés. Au Maroc, il existe des instituts de recherche et des formations universitaires qui correspondent à nos besoins. Nous recrutons beaucoup de techniciens et d'ingénieurs marocains. Ils forment 75% de notre équipe R&D. De même, la quasi-totalité de l’équipe d’Éléphant Vert Maroc est marocaine.
Des implantations à l’agropole de Berkane et celui d’Agadir dont les travaux devraient commencer prochainement sont-ils à l’ordre du jour ?Au Maroc, nous envisageons une production de 200.000 tonnes de biofertilisants à l’horizon 2018. Ceci sera réalisé grâce à de la valorisation des déchets organiques à travers et la création d’un réseau de stations de compostage notamment, mais aussi par le lancement de nouvelles unités. En effet, nous sommes en train de concevoir le projet d’une deuxième usine. Ce projet devra être concrétisé soit en 2016 ou 2017, selon la maturité du marché. L’agropole de Berkane figure parmi nos plans ainsi que celui d’Agadir et peut être le pôle de Jorf Lasfar aussi.
Quels sont les montants d’investissements mobilisés jusqu’à maintenant au Maroc ?On cumule près de 35 millions d’euros d’investissements en fonds propres au niveau de l’agropole de Meknès. Nous prévoyons une troisième tranche d’investissement importante qui nécessitera 25 millions d’euros supplémentaires pour la partie production de micro-organismes. En tout, le programme d’investissement global au Maroc nécessitera 800 millions de dirhams à l'horizon 2018. Les décisions stratégiques ont déjà été prises, maintenant on entame les études de faisabilité et la mise en œuvre de ces investissements.
Qu’en est-il de votre chiffre d’affaires 2014 et de vos perspectives d’évolution ?Nous avons réalisé un chiffre d’affaires d’environ 5 millions de DH en 2014, car c’était notre première année de commercialisation. Pour l’année en cours, on espère passer à 50 millions de DH pour dépasser les 30 millions d’euros d’ici 2018.
Que sera, par ailleurs, la part de l’Afrique sur le chiffre global du groupe ?L’Afrique représentera entre 45 et 50% du chiffre d’affaires global à moyen terme. Je suis optimiste grâce aux projets ambitieux que nous allons lancer surtout au Maroc. Le modèle d’investissement industriel au Maroc sera le modèle qui sera dupliqué en partie en Afrique.
Comment positionner donc le Maroc comme principal hub, si ce modèle sera calqué dans d’autres pays, comme ce qui a été fait au Mali entre autres ?Il faut savoir que dans notre déploiement industriel africain, nous nous basons sur deux axes. Pour les biofertilisants, les projets industriels du Maroc et du Mali sont effectivement similaires. Par contre, la production de micro-organismes se fait exclusivement au Maroc. Les biopesticides, les biostimulants, mais également des micro-organismes biofertilisants sont produits au Maroc et exportés au Mali pour les mélanger avec les biofertilisants locaux. On les exporte aussi dans d’autres pays africains et en Europe. Cette partie industrielle n’existe qu’au Maroc, elle est unique dans le monde et représente notre principal cœur de métier au Maroc. D’ailleurs, les 25 millions d’euros supplémentaires seront destinés à ce volet industriel.
Vous comptez exporter vers le Kenya ou encore Madagascar depuis le Maroc. N’êtes-vous pas inquiets quant aux soucis logistiques pour ces pays lointains ?Nous n’aurons pas d’obstacles logistiques pour acheminer nos produits. Les micro-organismes sont des concentrés de la matière active, ils seront en faible quantité puisqu’on n’utilise que quelques grammes par hectare, donc le transport ne sera pas problématique. Mieux, au Maroc nous avons la chance d’avoir la Royal Air Maroc qui offre des liaisons nombreuses sur tout le continent. D’ailleurs, c’est l’une des raisons du choix de hub pour le Maroc.
Pour quelle forme de distribution allez-vous opter pour le marché marocain ?Nous avons 3 options : opter pour des ventes en direct avec de grands groupes, travailler avec de grands distributeurs ou bien commercialiser à travers un réseau de revendeurs sur le terrain.
Quels sont les avantages compétitifs de vos produits par rapport aux produits conventionnels ?Nos produits sont fabriqués au Maroc, donc il n’y a pas d’importation, ce qui est intéressant en termes de compétitivité. Ensuite, on maitrise notre système d’approvisionnement. De même, nos biopesticides sont adaptés et sont spécifiques aux ravageurs, ce qui veut dire que nous ne présentons pas de risques pour l’environnement ou sur la santé. Par ailleurs, tous nos produits sont agronomiquement efficaces, car on ne lance pas des produits qu'après que nous sommes sûrs qu’ils représentent un gain de revenu aux agriculteurs. Vous savez, on appartient à une fondation et on a un mandat social très fort qui stipule notamment que nos produits doivent permettre aux agriculteurs d’augmenter leur revenu. Notre objectif est de prouver que les technologies du bio sont compatibles avec le rendement agronomique et l'efficacité économique.
Aujourd’hui, on sent une prise de conscience des risques que présentent les pesticides sur la santé des consommateurs. Les biopesticides seraient-ils l’option à prendre en compte ?Je reste persuadé que l’agriculture doit changer. Les méthodes conventionnelles ont permis jusqu’à maintenant d’augmenter les rendements, mais ils posent de graves questions sur la santé publique, celle des agriculteurs, des riverains, des consommateurs, mais aussi de l’environnement. Aujourd’hui, il y a plus de contraintes sur la commercialisation de certains pesticides et certaines molécules ont été bannies des marchés. Le monde change et les technologies aussi et je pense qu’il faut choisir les bonnes options.
Cette option peut être une solution pour contrer les risques sanitaires, certes, mais on ressent que le marché des intrants biologiques est encore très timide au Maroc…Les biopesticides sont très demandés par tout le monde, surtout par les agriculteurs. Chez les consommateurs, on est de plus en plus demandeur et plus exigeant au niveau des aliments qu’on consomme. Les entreprises qui commercialisent et distribuent les aliments sont devenues aussi plus exigeantes. Enfin, les pouvoirs publics sont aussi plus regardants, car ils se soucient de la santé publique. Ceci pour vous dire que l’évolution globale va vers le remplacement autant que possible des produits chimiques par des produits bio ou d’origine naturelle. Maintenant, c’est à nous de prouver que c’est une approche valable et garantie des rendements et de l'efficacité économique. Nous effectuons des essais sur le terrain et on vérifie tout cela.
Mais est-ce que les tarifs seront plus abordables pour stimuler cette demande ?Nous avons une règle très simple. Nous ne lançons pas un produit s’il est plus cher à l’hectare qu’un produit conventionnel. C’est une règle chez nous. C’est pour ça que la fondation a mis des moyens importants pour nos investissements au Maroc. Nous sommes dans une logique industrielle, mais pas artisanale. Meknès représente le plus grand hub industriel au monde dédié aux intrants biologiques. Nous allons lancer des modules similaires à Berkane et Agadir.
Comment accompagnez-vous le Plan Maroc Vert ?Le Plan Maroc vert était l’un des arguments supplémentaires pour s’implanter au Maroc. Le Maroc est le seul pays qui a réellement mis en œuvre toutes les annonces politiques dans ce secteur. Sa stratégie est très bien schématisée, budgétisée et bien gouvernée. Le Plan Maroc Vert accorde par ailleurs une grande attention à la composante environnementale avec une préoccupation majeure pour les petits agriculteurs. Pour les produits bio, je crois que le Maroc est le seul pays africain où une structure dédiée au bio est reconnue par l’État, en l’occurrence l'Association marocaine de la filière des productions biologiques (Amabio). D’ailleurs, nous sommes membre de cette association et on est en train d’organiser la structuration d’une filière dédiée aux intrants biologique au Maroc qui est en cours de création.
Votre fondation est très présente dans le domaine de la microfinance en Afrique dans le secteur agricole. Comptez-vous en faire de même pour le marché marocain ?La microfinance au Maroc est plus mûre qu’au niveau du reste de l’Afrique et le taux ne sont pas les mêmes. Au Maroc, ils sont beaucoup plus bas. Sur le volet financement, nous avons signé avec le Crédit Agricole du Maroc, il y a 2 ans, une importante convention. Selon cette dernière, nous allons dresser un projet pilote dans la région de Meknès afin de voir comment accorder des crédits et des financements adaptés à une agriculture verte.