Conférence Internationale Du Sucre

La Russie fait-elle son grand retour sur la scène internationale ?

C'est la grande question que se sont posée de nombreux analystes ces derniers jours après la rencontre au sommet entre François Hollande, Vladimir Poutine et Barack Obama à New York. Et pour cause, cela faisait deux ans que Vladimir Poutine n'avait pas rencontré son homologue américain et 10 ans qu'il n'était pas venu à l'ONU. Faut-il donc y voir un rôle renforcé de la Russie dans la géopolitique internationale ? Et au-delà, le retour un monde bipolaire ?

01 Octobre 2015 À 19:17

Le lundi 28 septembre, la planète entière a observé les trois Présidents de trois des pays les plus importants de la planète se serrer les mains. Et les yeux étaient grands ouverts, car il ne s'agissait pas d'une rencontre ordinaire, c'était plutôt celle de trois Présidents qui ne s'aiment pas particulièrement, mais qui étaient obligés de se réunir dans le cadre du dossier syrien.

Car malgré les regards noirs de Barack Obama et les discours assez clairs de Hollande, la Russie est devenue le partenaire dont il est impossible de se passer dans le dossier syrien. Et composer avec elle n'est plus une option, mais une obligation. Une situation que les Occidentaux ne supportent pas particulièrement bien – la une du «Guardian» de jeudi 1er octobre indique notamment que les États-Unis accusent la Russie de jeter de l'huile sur le feu dans le dossier syrien – et que les analystes préfèrent minimiser, mais qui prend pourtant une certaine ampleur. Faut-il pour autant y voir un retour de la Russie au sommet ?De nombreux analystes se bornent à limiter l'intérêt russe pour la Syrie à la sécurisation de la place de Tartous et à la préservation des liens avec un client important dans le domaine de l'armement.

La Russie sera-t-elle le futur acteur majeur des relations internationales ?

Cela participe bien évidemment d'une volonté affirmée de limiter le poids de la Russie dans les relations internationales en faisant ressortir ses échecs et ses faux pas, à l'image de la conférence internationale qui devait avoir lieu en 2013 pour discuter du cas syrien et qui a échoué à cause des difficultés du gouvernement et de l'opposition syriens à s'entendre.

Ils semblent pourtant oublier que depuis quelques années la Russie s'affirme de plus en plus sur la scène internationale. Par des coups d'éclat médiatiques comme l'hospitalité offerte à Edward Snowdon en 2013, alors même que la Chine, l'Équateur et le Venezuela avaient refusé de le faire, suite aux pressions américaines. Par des coups stratégiques majeurs comme la promesse arrachée à Bacha Al-Assad de détruire son arsenal chimique en 2013, évitant ainsi des frappes américaines sur le pays. Mais aussi par des manœuvres plus secrètes, mais non moins importantes, qui reflètent la lecture assez claire que la Russie fait du jeu international.

Elle a par exemple été la première à affirmer que le rôle de l'Iran était nécessaire dans la résolution du conflit syrien et à demander sa participation à la conférence internationale de 2013. Une idée qui avait été rejetée alors, mais qui commence à faire son chemin : nous avons en effet observé un réchauffement des relations américano-iraniennes dans lequel le problème syrien joue certainement un rôle clé.

Et beaucoup plus important, elle a été l'un des premiers pays à réellement mesurer le danger que représentait la crise syrienne dès les débuts et à prôner d'autres angles pour la résoudre. L'avènement de l'EI et la crise migratoire sévère que subit l'Europe depuis 2 ans ont obligé l'Europe nuancer sa position, mais son passé reste encore un obstacle pour son futur géopolitique.

Une guerre froide qui colle à la peau

La connaissance de la guerre froide permet de mieux comprendre les réticences exprimées par les deux côtés et les interprétations qui peuvent être faites des attitudes des uns et des autres. Il ne faut en effet pas oublier que les États-Unis et la Russie se sont livré une guerre sans merci par pays interposés pendant plusieurs années. Et que même si cela ne se dit pas clairement aujourd'hui, le sentiment de rivalité et d'opposition persiste. L'anti-américanisme, par exemple, est bel et bien cultivé par Vladimir Poutine au sein de sa population et il est clair que le véto utilisé par la Russie et son allié chinois dans certains dossiers vise purement et simplement à bloquer les États-Unis. De leur côté, ces derniers placent de petites vengeances circonstancielles, comme l'intégration de la Géorgie et de l'Ukraine dans l'OTAN malgré les promesses faites à Mikhaïl Gorbatchev en son temps et cela malgré l'accord de Moscou pour l'installation de bases militaires chez ses alliés d'Asie centrale pendant la guerre d'Afghanistan ou encore la fermeture des dernières installations de surveillance soviétiques à Cuba.

Vers une guerre froide nouvelle version ?

Si la rivalité entre les deux puissances est bien réelle, elle ne débouchera pas nécessairement sur une nouvelle guerre froide. D'abord parce que le monde est devenu multipolaire et qu'il est difficile d'imaginer que des pays émergents comme le Brésil ou encore l'Inde acceptent de jouer les pantins pour les autres. Et que d'un autre côté, la Russie ne dispose pas réellement des moyens nécessaires pour affronter les États-Unis de face. Ce n'est d'ailleurs dans l'intérêt d'aucun des deux pays. Et selon de nombreux experts, l'intérêt russe est plutôt de retrouver une place dans la scène géopolitique internationale et d'être prise au sérieux. Et le cas de l'Ukraine est assez révélateur de la volonté russe de défendre ses intérêts et de montrer son insensibilité aux pressions.

D'autant plus que sur certains dossiers, mais pas sur tous, elle a une vision plus réaliste de la politique internationale que celle des Occidentaux. De leur côté, les Occidentaux demeurent méfiants envers la Russie, mais il faut reconnaître que leur vision du monde s'est quelque peu modifiée. Les États-Unis en particulier ne sont plus prêts à aller en guerre pour un oui ou pour un non et, sous l'ère Obama, nous avons pu observer une réorientation de la politique américaine vers les alliances et les négociations. L'objectif semble être aujourd'hui de désamorcer les conflits dans les zones potentiellement dangereuses pour les États-Unis avec des alliances et des négociations et non d'aller en guerre immédiatement. Et dans ce cadre, l'alliance avec l'Iran rejoint clairement la lecture russe du conflit syrien, même si pour le moment, les États-Unis n'ont pas clairement indiqué leur accord avec la Russie.

Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que l'administration Obama est sur le départ et qu'il n'est pas évident que le futur Président gardera la même approche. Il y a donc de fortes chances que la Russie continue d'être diabolisée encore pendant quelque temps. Pour le moment, la seule certitude, c'est que le monde devient multipolaire et que la pensée unique est de plus en plus discutée. Déjà économiquement, l'émergence de pays comme la Chine a réussi à écorner la puissance des Occidentaux et cela malgré toutes les critiques. Et maintenant, politiquement et géopolitiquement, des pays comme la Russie, un allié de la Chine, sont bien décidés à jouer un rôle majeur. 


La guerre froide

La guerre froide est une période de tensions et de confrontations idéologiques et politiques entre les États-Unis et l'URSS et leurs alliés respectifs, qui commence en 1947 et se termine en 1991 avec l'implosion de l'URSS. Elle constitue l'une des époques les plus marquantes des relations internationales à cause de sa durée, près de 44 ans, de la force de destruction des puissances concernées et surtout du nombre de pays impliqués. Car la grande particularité de la guerre froide a été l'impossibilité pour les deux puissances de s'affronter directement sur un terrain identifié, elles préféraient se battre à distance en soutenant des mouvements politiques rivaux dans des guerres autour du monde. Les manifestations de la guerre froide sont notamment apparues dans la Guerre civile grecque (1946-1949), dans la guerre de Corée (1950-1953) où les Chinois et par ricochet l'URSS se sont battus aux côtés de la Corée du Nord tandis que les Américains et leurs alliés se sont battus aux côtés de la Corée du Sud. S'en est suivie la guerre d'Indochine (1946-1954) qui a répliqué le même schéma et le désormais célèbre blocus de Berlin (1948-1949) dans lequel l'Union soviétique a bloqué tous les accès terrestres à Berlin-Ouest pour empêcher les Occidentaux de l'atteindre.

Ces derniers ont été obligés de mettre en place un pont aérien pour permettre à la zone, alors sous leur responsabilité, de survivre. Après cet affrontement relativement direct entre les deux camps, les conflits dans les autres pays se sont poursuivis à l'image de l'insurrection communiste malaise (1948-1960) et de la crise du Canal de Suez (1956) qui a mis aux prises l'armée égyptienne et les pays signataires du protocole de Sèvres (Israël, la France et le Royaume-Uni) à la suite de la nationalisation du canal par Gamal Abdel Nasser. En 1958, la crise de Berlin vient marquer un nouveau tournant dans la guerre froide en devenant le plus long conflit direct entre les deux camps. En effet, les négociations entamées suite à «l'ultimatum de Krouchtchev» aux Occidentaux pour décider du statut de Berlin dureront jusqu'en 1963 et n'aboutiront à rien de concret si ce n'est la construction du Mur de Berlin en 1961 à l'initiative de Krouchtchev et des dirigeants de l'Allemagne de l'est. Avec la crise des missiles à Cuba (14-28 octobre 1962), les relations se détendent quelque peu avec l'installation du «téléphone rouge» à la Maison-Blanche pour établir une relation directe entre Washington et le Kremlin. Mais les hostilités se poursuivront sur d'autres fronts comme dans la guerre du Viêtnam (1955-1975) qui opposera la République démocratique du Viêtnam, soutenue par le bloc de l'Est et la Chine, et le Front national de libération du sud du Viêtnam à la République du Viêtnam soutenue par les États-Unis et leurs alliés. Le schéma se reproduira en Afghanistan (1979-1989).

La géopolitique américaine

L'analyse de la géopolitique américaine actuelle ne peut être dissociée du 11 septembre 2001. Cette date a profondément marqué la vision du monde des États-Unis et des équilibres qui doivent y prévaloir. Les pays n'ayant pas le même mode de pensée, et en particulier les pays musulmans, sont devenus pour beaucoup des menaces et des cibles à abattre, soit par la guerre, soit par les embargos. Les guerres en Irak et en Afghanistan ont bien entendu été les symboles de cette politique post 11 septembre qui consistait à anéantir tous les ennemis de l'Amérique. Aujourd'hui, le recul et surtout les échecs cuisants de ces deux guerres ont poussé les Américains à relativiser leur position. Il n'est plus nécessaire de faire la guerre, mais plutôt de négocier pour faire en sorte que les zones à risques pour les États-Unis soient maîtrisées. C'est ce nouveau mot d'ordre que l'administration Obama s'est donné et qui l'amène à faire davantage de concessions par rapport aux administrations précédentes. Elle reste pourtant méfiante face à certains pays, comme l'Iran pendant longtemps, et cette attitude l'empêche de lire clairement le jeu géopolitique.

Les nouvelles formes de guerre froide

Aujourd'hui, la guerre froide, au sens strict du terme, est terminée, mais il faut avouer que les vieilles alliances et les vieilles rivalités demeurent. Elles ne sont plus idéologiques puisque le communisme a disparu au profit du capitalisme, mais les blocs sont toujours là à quelques différences près. Du côté de l'ancien bloc de l'Ouest par exemple, on retrouve toujours les mêmes alliés que sont les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et les autres qui restent toujours soudés autour des valeurs communes : la démocratie et le capitalisme. Sur la scène internationale, on observe une grande solidarité entre ces pays qui sont d'accord sur quasiment tous les dossiers. Du côté du bloc de l'Est, la chute de l'URSS a profondément modifié la donne avec l'émancipation des anciens pays de l'Est qui ont depuis majoritairement intégré le camp capitaliste. L'Allemagne par exemple, dont une des parties était soviétique, est aujourd'hui devenue l'un des pays capitalistes les plus importants de la planète et elle est loin d'être la seule dans ce cas. Du côté de l'Asie, les alliances sont restées relativement stables, même si le communisme n'en est plus le ciment. La Chine a en effet clairement opté pour le capitalisme de marché, même si son mode de gestion étatique reste proche du communisme, c'est également le cas de Cuba qui cherche désormais à s'ouvrir au marché international et à assouplir sa politique. Économiquement, la plupart des anciens membres du bloc communiste ont choisi un autre chemin. Mais politiquement, certains d'entre eux souhaitent afficher une alternative à l'unilatéralisme américain et exprimer un schéma de pensée différent. C'est le cas de la Chine qui s'est alliée à la Russie pour peser au Conseil de sécurité et pour contrer la plupart des décisions américaines qui ne lui correspondent pas.

La géopolitique de l'URSS

La géopolitique russe est profondément liée à sa géographie et à son histoire. À sa géographie parce que sa position à cheval entre l'Europe et l'Asie la contraint à entretenir des relations cordiales et pacifiques avec l'ensemble de ses voisins. À son histoire parce que la chute de l'URSS l'a particulièrement affectée, en tant que leader de l'Union, et lui a fait perdre son influence sur ses anciens pays vassaux. Ainsi, la position géographique de l'URSS la rend inévitablement proche des pays d'Asie et de certains pays arabes et son passé de leader de l'URSS la pousse à maintenir un certain contrôle sur ses ex-vassaux, comme nous avons pu le voir récemment dans la crise ukrainienne. Pourtant, ces éléments ne sont pas les seuls pour comprendre la crise russe : ils doivent également être associés au refus de la pensée unique américaine. C'est certainement le dernier vestige de la guerre froide que la Russie souhaite préserver : cette capacité à refuser les positions américaines et à donner son avis. Et c'est ce qui explique le grand attachement de la Russie au Conseil de sécurité, qui reste finalement le seul espace neutre où elle peut faire que sa voix ait du poids grâce au droit de véto.

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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