15 Décembre 2015 À 17:55
La fondation Ytto pour l’hébergement et la réhabilitation des femmes victimes de violences a présenté, lundi 14 décembre, le bilan de la 17e édition de la caravane «Touda Khatoune» sous le slogan «Tous contre le mariage des mineurs, contre la pédophilie, tous pour un enseignement de qualité pour toutes les filles et les garçons sans discrimination». Organisée du 24 juillet au 4 août dernier, celle-ci avait pour but de collecter des informations sur les mariages contractés dans les régions de Zagora et Tinghir. Concernant les résultats observés sur la province de Zagora, le rapport nous apprend que 75% des mariages dans la région ont été contractés avant 18 ans. Sur ce pourcentage, 85% des mariages ont été régularisés, 15% sont sans acte et 8% des familles n’ont pas d’état civil. Parmi les 608 filles mariées actuellement, 107 sont aujourd’hui âgées de 14 à 17 ans.
Au niveau de la province de Tinghir, le constat est le même. «Sur 82% des femmes mariées, la plupart ont donné pour l’enquête l’âge qu’elles avaient pour leur deuxième mariage», précise la Fondation, notant que 57% des mariages contractés sont ceux de mineurs. «Dans chacun des douars visités, le constat est le même : des femmes violentées et abandonnées par leurs maris, des filles mariées à 13 ans, un nombre importants de mariages coutumiers et forcés et une généralisation de la polygamie. De plus, la violence à l’égard des femmes y est omniprésente», indique Najat Ikhich, présidente de la Fondation.À Ksar El Fecht, à environ 15 km de la frontière algérienne, la coutume veut qu’une fille se marie avant l’âge de 13 ans. C’est le cas de Ytto, 15 ans : «Mon père a tout orchestré. Il m’a retirée de l’école et m’a donnée à un homme que je ne connaissais pas. N’ayant pas l’âge requis pour me marier, mon père est allé à Errachidia pour obtenir l’autorisation du juge», raconte-t-elle. Et c’est là que le bât blesse. Dans la région, il semblerait que le pouvoir octroyé par le législateur aux juges dans le cadre des articles 20 et 21 du Code de la famille, qui n’est censé s’appliquer que dans certains cas exceptionnels, soit la porte ouverte à toutes les dérives. «Dans la majorité des cas, les juges accèdent aux doléances des parents sans se soucier de l’impact sur l’enfant», explique la présidente, notant qu’en cas de refus, les pères s'orientent tout simplement vers d’autres juridictions, jusqu’à trouver le juge qui leur donnera l’autorisation.
Interrogé au sujet de mariage de sa fille mineure, un père répond : «Nous n’avons pas le choix. Passés 15 ans, plus personne ne voudra d’elle. Et puis à cet âge une fille commence à avoir des formes, ce qui signifie qu’elle est en âge de procréer. Il ne faut pas nous demander de laisser pourrir nos filles». Un avis partagé par les futurs époux : «La fille c’est comme un yaourt, elle a une date de péremption, passé cette date, elle est bonne à jeter. Pourquoi devrions-nous interdire le mariage coutumier ? Le Prophète s’est marié à Aïcha alors âgée de 9 ans, c’est donc tout à fait halal. De toute façon, la place des femmes est à l’intérieur des maisons. Elles sont nées pour servir leurs maris et enfanter. Pas pour aller à l’école ou sortir dans la rue !» affirme Hassan, 45 ans. «Ce qui est grave c’est d’entendre des garçons de 14 ans vous dire que les épouses de 13 ans sont plus faciles à dresser que celles de 20…», affirme Saïda Bajjou, assistante sociale à la Fondation. À noter enfin que selon les statistiques officielles du ministère de la Justice et des libertés, le nombre de mariages des mineurs a atteint 35.000 en 2013 contre 18.341 cas en 2004. Et ces chiffres ne représentent que la partie visible de l’iceberg. À travers le Maroc, de nombreux mariages de petites filles sont encore aujourd’hui conclus par la simple lecture de la Fatiha. Ces mariages coutumiers perpétrés au nom de la religion n’ont aucune valeur légale et privent les jeunes filles de leurs droits les plus élémentaires. Ainsi, en cas de violence, de répudiation, de décès du mari, ces femmes n’ont aucun recours et les enfants nés de ces unions sont illégitimes.
Quels ont été les principaux problèmes rencontrés sur le terrain lors de la caravane ?Nous avons identifié de nombreux cas de violence. Nous avons constaté également que le mariage des mineurs reste une pratique courante dans tout le pays et on ne parle pas de filles mariées à 16 ans, mais de petites filles de 12 ou 13 ans. Dans la majorité des cas, ces mariages sont coutumiers, ils ne sont pas recensés et faussent par conséquent les statistiques officielles. Pour la polygamie, les hommes détournent la loi pour ne pas avoir à demander l’autorisation de leur première femme. Quand leur «épouse» accouche, ils régularisent leur situation en se basant sur l’article 16 qui oblige le tribunal à reconnaître le mariage pour garantir les droits de l’enfant.
Certains parents avouent faire le tour des tribunaux jusqu’à trouver un juge qui accepte leur requête. Comment l’expliquez-vous ?L’âge du mariage est fixé à 18 ans. Toutefois, des exceptions sont autorisées après approbation du juge (articles 20 et 21). Malheureusement, l’exception est devenue la règle dans beaucoup de tribunaux, comme en témoignent les chiffres du ministère de la Justice : 90% des demandes de mariages de mineurs ont été accordées, notamment dans les grandes villes. Cela dit, normalement, chaque citoyen est tenu de se rendre au tribunal qui dépend de son lieu d’habitation ou de naissance et pas ailleurs.
Quelle serait la solution pour mettre fin aux mariages des mineurs ?Les principales causes de ces mariages sont la pauvreté et la précarité. Tant que les habitants de ces régions vivront isolés des instances administratives et juridiques, le problème persistera. Les tribunaux ambulants doivent aussi se généraliser, et ce tout au long de l’année, pour sensibiliser la population.