11 Octobre 2015 À 12:49
Une étude académique menée par le Laboratoire de management, d’innovation et d’économie (LAMIE) relevant de l'ENCG de Casablanca, dresse un bilan de la mutation managériale au sein de la dirigeance marocaine. Il s'agit d'un «Essai de classification typologique des cadres dirigeants marocains et impact sur la performance managériale». Cette recherche, la première du genre, tente de mettre en lumière les caractéristiques personnelles, professionnelles, comportementales et relationnelles des cadres dirigeants marocains. Objectif ? Établir une typologie propre à cette catégorie de population active plutôt méconnue, car «peu de chercheurs se sont intéressés à ce sujet, et surtout à ses implications pratiques pour la perception du rôle moderne du cadre dirigeant marocain en entreprise». Mais qui sont donc ces personnes qui gouvernent nos grandes entreprises ?
Un cadre dirigeant est reconnu comme tel par l'étendue de ses responsabilités dans l’exercice de son activité professionnelle, notamment son habilité à prendre des décisions avec un niveau d’autonomie élevé et qui impacte la performance de l’entreprise. Et c’est sur cette base que les profils sujets de l’étude ont été déterminés, en plus de deux autres critères, à savoir : exercer dans une entreprise cotée en bourse et avoir une certaine ancienneté dans la même entreprise, vu «qu’un temps d’adaptation est nécessaire à chaque cadre dirigeant pour en impacter la performance». Ainsi, et sur la base de ces critères, ont été recensées 856 entreprises opérant dans le secteur privé et 2.095 cadres dirigeants (dont 33% sont DG, PDG, administrateurs, secrétaires généraux et 67% sont directeurs de fonction). Sur les 1.479 questionnaires envoyés aux différents cadres dirigeants, seuls 160 ont été retenus, «ce qui représente un taux de réponse proche de 11% que nous jugeons acceptable, vu la nature de la présente étude», rassurent les chercheurs.L’étude a permis l’identification de quatre classes typologiques de cadres dirigeants marocains : le dirigeant «nouvelle génération», le dirigeant «novateur», le dirigeant «entrepreneur» et le dirigeant «traditionnel». Chaque catégorie présente plusieurs caractéristiques dominantes relatives à l’âge, au niveau d’instruction, à l’ancienneté dans le poste, à la durée du travail, au style du leadership et à la profession des parents.
Composée de 85 cadres dirigeants identifiés par l’étude, cette classe regroupe une population jeune, âgée de 36 à 39 ans et qui a opté pour un management de style «meneurs», une caractéristique commune à 83% des cadres dirigeants constituant la population totale de l’étude. Issus de parents qui exercent une profession libérale, les dirigeants «nouvelle génération» passent entre 55 et 59 heures par semaine au travail, ce qui représente une durée relativement élevée.
Ils sont au total 46 cadres dirigeants identifiés par l’étude, ils sont assez jeunes (entre 46 et 49 ans) et ils occupent pour la plupart des postes au sein des entreprises familiales, ce qui fait de l’aide fournie par leurs parents un atout majeur dans l’évolution de leur carrière professionnelle. Autre caractéristique dominante, la durée de travail relativement faible et qui se situe entre 40 et 43 heures par semaine. En outre, la majorité des dirigeants de cette deuxième classe (49% au total) se considèrent comme des «coachs» pour ce qui est de la gestion des collaborateurs.
Cette troisième classe ne compte que 15 cadres dirigeants dont 60% adoptent un style de management laisser-faire pour la gestion des collaborateurs. Issus majoritairement de parents ouvriers, ils ont un niveau de formation bac + 6 et sont de véritables bourreaux de travail comme en témoigne le nombre d’heures travaillées par semaine et qui se situe entre 60 et 64.
Classés juste derrière les dirigeants «novateurs», les dirigeants «traditionnels» arrivent en quatrième et dernière position. Ils sont au nombre de 14 et présentent trois caractéristiques dominantes : ils sont âgés de 55 à 60 ans, ils ont un niveau de formation bac + 2 et une ancienneté dans le poste de cadre dirigeant supérieur à 12 ans.La montée en puissance de cette nouvelle génération de cadres dirigeants indique-t-elle une réelle mutation qui va durer dans le temps ou juste une tendance passagère ? Seul l’avenir nous le dira. Mais ce qui est sûr, c’est que cette étude a permis de tracer les premiers contours du corps social formé par les cadres dirigeants marocains et peut constituer la base d’une recherche plus poussée, notamment au sujet de la première et la troisième catégorie, comme le suggèrent les auteurs dans la partie consacrée aux orientations.
Les deux catégories précitées ont, en effet, un rôle majeur à jouer dans le processus de modernisation et de développement des entreprises marocaines, d’où la nécessité pour les autorités compétentes de prendre conscience de ces enjeux et d’agir en conséquence. «La multiplication, entre autres, des centres de réflexion sur le métier de dirigeant serait une action à forte valeur ajoutée pour instaurer une culture managériale dans la société marocaine», indiquent-ils. n
Eco-emploi : Qu'est-ce qui a motivé l’élaboration de cette étude ?Karim Gassemi : Cette étude vient combler un vide, car aucune étude de ce genre n’a été faite auparavant. On parle souvent de gouvernance, de stratégie et de management des entreprises sans parler de l'acteur fondamental qui est l'Homme. Cette étude s'inscrit dans une dimension de compréhension des cadres dirigeants qui gouvernent nos entreprises et qui font les beaux jours de l'économie marocaine. Ce corps social dispose d'un grand pouvoir de décision et forme des réseaux d'appartenance très puissants.
Les dirigeants «nouvelle génération» représentent la classe identifiée dominante (85 cadres). Quelle lecture faites-vous de ce constat ?Cette classe a, en effet, été identifiée comme étant dominante. On assiste ces dernières années à un recul au niveau de l'âge pour atteindre les directions au sein des structures d'organisation au sein de nos entreprises. C'est une génération de cadres avec des caractéristiques différentes et un regard différent sur plusieurs notions comme le temps, l'argent, le concept de la performance..... Ce clivage entre ancienne et nouvelle génération existera toujours. La génération qualifiée de nouvelle sera traditionnelle dans peut-être 5 ou 10 ans.
Quels enseignements tirer des résultats de l’étude et quelle incidence sur le développement économique national ?Il y a plusieurs enseignements. Sur le plan social, cette étude a permis d'établir une base de données des cadres dirigeants marocains. Cette base de données sera mise à disposition des investisseurs étrangers. Elle permettra le lien direct pour favoriser les contacts entre les dirigeants et les investisseurs. Sur un autre volet, elle a permis d'identifier les cadres les plus puissants sur les secteurs d'activités les plus stratégiques au Maroc. On a souvent parlé de plan stratégique, de plan d'accélération de l'économie sans évoquer les hommes puissants du secteur. L'étude tente d'une manière directe de combler ce vide. Cette étude a été présentée à Sofia lors d'une conférence organisée par l'agence universitaire de la francophonie (AUF), en présence de son excellence Latifa Akharbach, ambassadrice du Maroc en Bulgarie et en Macédoine, et de Abdeslam Aboudrar, président de l'Instance centrale de lutte contre la corruption. Propos recueillis par M.Se