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Quelles voies pour l’émergence de l’entreprise sociale ?

En l’absence d’une réglementation qui définit clairement les éléments constitutifs de l'entreprise sociale et précise ses droits et obligations, ce type de structure reste largement méconnu au Maroc. C’est ce qui ressort des différentes études menées à ce sujet et soulignant la nécessité de mettre en place des dispositifs permettant de reconnaître et de promouvoir l’entreprise sociale, dont la finalité bénéficie à la société dans son ensemble.

01 Novembre 2015 À 14:21

Placée dans le registre de l'économie sociale et solidaire, l’entreprise sociale est un projet de création de valeur sociale et économique. L’économique étant au service de la finalité d'intérêt collectif, ce qui suppose un partage de la valeur créée. C’est ainsi qu'a été définie l'entreprise sociale lors du «Social Talk 2015», organisé jeudi dernier à Rabat, autour du financement et l’accompagnement de l’entreprise sociale. Vu l’inexistence d’un statut dédié, l’entreprise sociale existe sous d'autres formes telles que les coopératives, les associations, ou encore les entreprises, qui s’inscrivent dans une «logique sociale» et non une logique purement économique. En alliant entrepreneuriat et impact social, ce type de structures a dû adopter des modèles économiques spécifiques. Que ce soit en redistribuant une partie des bénéfices, ou en réinvestissant ceux-ci dans leurs activités, les intervenants ont souligné que les entreprises sociales peuvent opter pour différentes formules, en fonction de leurs statuts, secteurs d’activités, etc.L’entreprise sociale n’échappe pas aux lois du marché, elle se doit donc d’être économiquement viable, rentable, et d'apporter des solutions innovantes aux problématiques sociales de la communauté, afin de pérenniser son activité. Un objectif qui ne peut être atteint si le problème d'accès au financement continue à se poser pour ces structures.

Dans ce sens, les interventions ont porté sur les risques inhérents au modèle économique de l'entreprise sociale, notamment pour le retour sur investissement, d'où la difficulté pour ce type de structures d’avoir accès à des financements importants. Pour remédier à cette situation, les intervenants ont proposé de mettre en place des politiques publiques pour favoriser l’accès au financement, notamment via des systèmes incitatifs, par exemple l’accès à des fonds à des conditions préférentielles, l’instauration d’incitations fiscales, voire favoriser l’accès à la commande publique. Le but étant de rendre l’entreprise sociale plus attractive afin de pouvoir gagner en compétitivité et drainer les investissements. En effet, l’adoption du statut d'entreprise sociale, en tant que tel, ne peut apporter de réelle valeur ajoutée, sans une véritable stratégie impulsée par les différents acteurs (organismes étatiques, structures de financement, entreprises, société civile…).

Pour ce faire, plusieurs recommandations ont été émises, notamment pour développer un ensemble de dispositifs d’accompagnement complémentaires, composant un écosystème autour de l'entrepreneuriat social. 


Entretien avec Younes El Jaouhari, président d'Oléa Institute

«Il est important que la loi sur l’économie sociale définisse un statut juridique spécifique»

Éco-Emploi : L’accompagnement et le financement sont les mots clés de cette deuxième édition du Social Talk. Quels dispositifs prônez-vous pour promouvoir l’entrepreneuriat social au Maroc ?Younes El Jaouhari : Oléa Institute œuvre pour la mise en place du contexte d’action de l’entreprise sociale au Maroc. Nous sommes convaincus que ce type d’entreprise peut présenter une réelle alternative pour l’auto-emploi des jeunes. Pour cela, nous avons beaucoup travaillé pour mettre en place, rapidement, un cadre où les entrepreneurs sociaux marocains peuvent agir. À ce titre, nous lançons, en partenariat avec la Caisse centrale de garantie, Attijariwafa bank, Maroc PME et le Comptoir de l’innovation (filiale du groupe SOS, leader européen de l’entrepreneuriat social) le «Label entreprise sociale» ainsi qu’un «Package d’accompagnement et de financement». Ce cadre sera disponible à partir de 2016 et permettra de faire émerger les entreprises sociales en gestation.

L’entreprise sociale est-elle la bonne formule pour concilier les intérêts économiques et l'impact social ? Quel modèle économique pour ce type de structure ?Nous avons construit à Oléa Institute le business modèle de l'entreprise sociale autour de cinq points :1. Le rôle de l'entrepreneur : L'entrepreneur social cherchera d'abord un problème social et étudiera les actions à mettre en œuvre pour le résoudre. Il construira son entreprise autour de cet objectif social. Il veillera, toutefois, à ce que son entreprise réalise des bénéfices et adopte une démarche business basée sur la réalisation du profit. Ces bénéfices ne sont pas pour autant un objectif, mais plutôt un résultat nécessaire pour atteindre l'objectif social.2. Le double objectif social et économique : Une entreprise sociale suppose de transformer les démarches d'action classiques au service du capital en des démarches visant à résoudre le problème social porté par l'entreprise tout en assurant sa rentabilité financière.3. L'innovation : C’est un élément fondamental pour la pérennité de l'entreprise sociale. Il est vrai que l'essentiel de la motivation de l'entrepreneur social se retrouvera dans sa capacité à résoudre les problèmes des autres. Toutefois, il aura besoin d'imaginer des voies d'action fort innovantes et devra être très créatif pour concilier objectif social et rentabilité.4. Les valeurs : L'entreprise sociale doit se construire sur des valeurs fortes au service de la communauté. C'est le principal élément de motivation qui fera la différence entre les équipes d'une entreprise classique et celles d’une entreprise sociale. Les valeurs permettront aussi d'attirer les meilleures compétences pour assurer les conditions de réussite optimales de l'entreprise sociale.5. Les aides de l'État : C'est une composante fort importante qui dans certains cas permettrait de construire son business modèle selon une logique de déficit. Celui-ci sera comblé par des apports prévus dans le cadre de l'incitation et de l'encouragement de l'entrepreneuriat social.

Une étude est en cours pour l’élaboration d’une loi-cadre de l’économie sociale et solidaire. Quelles seraient vos recommandations ?Nous avons identifié dix-neuf recommandations à l’État pour mettre en œuvre l’entreprise sociale. Les principales s’articulent autour des points suivants :• Définir de façon officielle et claire l'entreprise sociale au Maroc : il est important de préciser formellement le concept d'entreprise sociale.• Adopter la loi sur l'entreprise sociale : cette loi devra définir de façon claire les éléments constitutifs de l'entreprise sociale en précisant ses droits et obligations.• Développer une stratégie nationale intégrée pour l'entrepreneuriat social : il est question à ce niveau de concevoir une politique nationale pour l'entrepreneuriat social.• Instaurer un mécanisme de convergence de politiques publiques en matière d'entrepreneuriat social : il serait intéressant de mettre en place une structure de mise en œuvre dans les secteurs et activités de l'entrepreneuriat social.• Renforcer l'action des organismes d’intervention, notamment Maroc PMe, envers l'entreprise sociale : ces organismes devront préciser des programmes dédiés à l’appui pour l’éclosion, la promotion et la pérennisation de l’entreprise sociale.• Faciliter l'accès à la commande publique : il serait intéressant d'octroyer certains privilèges aux entreprises sociales.• Favoriser les partenariats public/privé à travers l'entreprise sociale : mettre en place des systèmes incitatifs qui favoriseraient une utilisation plus grande des entreprises sociales dans le cadre de partenariats entre le secteur public et le secteur privé.• Offrir des facilités aux entreprises sociales : ces facilités peuvent se constituer des subventions mises à la disposition des associations. L'État peut aussi envisager de fournir certains avantages fiscaux.

Quid de l’apport du label «Entreprise sociale» que vous allez créer ?L’entreprise sociale n’existe pas au Maroc. Plusieurs initiatives existent dans ce sens, mais aucun cadre juridique ne traite ce type d’entreprise. La loi sur l’économie sociale et solidaire est toujours en cours d’élaboration et devrait à notre sens aborder ce sujet. Cela prendra, toutefois, beaucoup de temps. Ainsi, pour permettre à l’entreprise sociale d’exister et aux entrepreneurs sociaux d’avoir un cadre d’action, nous avons élaboré ce label avec des critères précis qui définissent à notre sens l’entreprise sociale. Ce cadre est adopté par des institutionnels, un opérateur international et notre institut en tant qu’acteur social. Cela lui donnera la légitimité nécessaire. Cela dit, il est important que la loi sur l’économie sociale et solidaire intègre l’entreprise sociale et définisse un statut juridique spécifique. C’est un préalable à toute action que pourrait envisager l’État. Nous avons proposé au sein du Social Talk Review dix-neuf recommandations à l’État pour mettre en œuvre l’entreprise sociale au Maroc. Ces recommandations ne peuvent prendre forme qu’à partir de l’élaboration d’une règlementation claire de ce type d’entreprise. L’entreprise sociale représente plus de 10% du PIB des pays développés qui ont adopté cette forme d’entrepreneuriat. Cela représente une voie de croissance concrète pour le Maroc et une autre façon pour créer de la richesse. C’est aussi une réelle alternative pour l’emploi et l’auto-emploi des jeunes. L’accompagnement de ce type d’entreprises permettra de faire émerger des initiatives qui seront au service de l’entrepreneur et de la communauté. 

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