Salon international de l'agriculture de Meknès

Secteur bancaire, too big to fail ?

Les patrons des grandes banques marocaines sont devenus quasi incontournables dans toute délégation officielle en Afrique. Autant dire que ce secteur, qui a de tout temps été un poids lourd de l’économie marocaine, est devenu depuis une décennie le porte-drapeau de l’expansion régionale avec de belles success-stories à enseigner dans les écoles de commerce. Toutefois, le mode de développement adopté a permis certes de gagner du temps, mais au détriment d’autres aspects potentiellement néfastes.

Dans bien des cas, la banque marocaine ayant acquis des participations dans une autre banque se retrouve à gérer des systèmes d’information d’un autre âge.

03 Juin 2015 À 17:16

Au lieu de s’appuyer sur son industrie en tant que fer de lance de son expansion en dehors des frontières nationales (schéma de développement classique), le Maroc a misé sur son secteur financier pour accélérer l’établissement de sa zone économique d’influence. Ce dernier, et particulièrement sa composante bancaire, dispose désormais d’un savoir-faire solide et avéré, même s’il est loin d’atteindre les standards internationaux des grandes institutions financières, notamment en termes d’intégration technologique et d’appréciation et de maîtrise des risques. Le schéma d’internationalisation de l’économie marocaine, basé sur son secteur financier est atypique à bien des égards. Il est plus usuel de voir les pays développer une base industrielle solide sur le plan local, atteindre par les gains de productivité le stade de la production de masse que le pays d’origine n’arrive plus à absorber et conquérir par la diplomatie (ou par la guerre) des débouchés à l’international. Une fois les premières unités industrielles établies en dehors du territoire national, elles se font accompagner par le secteur financier, les secteurs des services, jusqu’aux entreprises nationales opérant dans les loisirs. Il ne s’agit certes pas de la seule voie possible, mais c’est l’approche la plus sécurisante.

Le Maroc a fait le choix opposé et c’est le secteur financier qui a pris dans ses bagages de voyage l’industrie marocaine. Est-ce la bonne approche ? À court terme, cette stratégie a indéniablement permis au Maroc de gagner un temps précieux dans sa quête d’expansion et lui a surtout évité d’attendre la maturité de l’industrie (qui peut prendre quelques années, tant celle-ci n’arrive même pas à satisfaire les besoins de son marché local) pour saisir des opportunités à l’international qui n’attendront pas. En revanche, cette politique peut s’avérer fort risquée à plus long terme, car les banques marocaines ne disposeront pas des amortisseurs de crise nécessaires que représentent les secteurs productifs d’origine locale. En effet, une part non négligeable du business de toute institution financière internationale provient du portefeuille client de son pays d’origine.

Celui-ci prend la forme, soit des opérations d’import – export effectuées par les entreprises locales et transitant par ladite banque, soit des opérations financières (crédits, placements et autres services bancaires) effectuées par les filiales des groupes nationaux implantés dans les mêmes pays que la banque. Or la grande faiblesse du modèle économique des banques marocaines à l’international réside dans le fait que le commerce extérieur du Maroc est largement tourné vers l’Europe, alors que leurs implantations se font essentiellement en Afrique où paradoxalement, il y a très peu d’entreprises marocaines implantées.

Ce décalage entre politique macroéconomique et stratégie des acteurs, prive les banques marocaines d’importantes synergies, d’une intéressante clientèle captive et surtout de revenus minimums pouvant amortir les chocs de retournement de la conjoncture. Par ailleurs, la stratégie des banques marocaines à l’international a été fondée essentiellement sur la croissance externe par acquisition. Ce mode de développement permet certes de gagner du temps en achetant un réseau et un portefeuille clients déjà existants, des parts de marchés et quelques années de profit, mais se heurte à une limite de taille qui en réduit l’attrait et en augmente les risques de défaillance, à savoir les difficultés d’intégration post-acquisition, notamment dans leur dimension technologique. Dans bien des cas, la banque marocaine ayant acquis des participations dans une autre banque se retrouve à gérer des systèmes d’information d’un autre âge. Ceci les expose non seulement à des risques de toutes sortes (commerciaux, financiers, juridiques, voire même politiques), mais les prive de toute la synergie que peut renfermer l’utilisation des dernières technologies de l’information et surtout quand celles-ci sont communes à la maison mère et à sa filiale. Les équipes informatiques dépêchées par le top management pour assurer cette intégration confient que la tâche paraît, par moments, tellement coûteuse (en temps et en argent) que l’opération en perdrait presque tout intérêt.Enfin, la dernière limite à cette expansion est la taille et l’instabilité des marchés cibles.

Si aujourd’hui certaines banques marocaines peuvent se targuer de dériver jusqu’au quart de leurs bénéfices de leurs filiales à l’international, d’autres continuent à investir d’importants moyens humains et financiers sur des marchés ne dépassant guerre le dixième du chiffre d’affaires d’une banque locale de taille moyenne et doivent surtout gérer beaucoup de facteurs d’instabilité politique, sociale et économique pouvant à tout moment remettre en cause leur présence même, par-delà les enjeux purement financiers. En dehors de ces facteurs de risque, ou appelons-les, points de vigilance les banques ont réussi à passer de l’encadrement du crédit à l’internationalisation, sans trop de turbulences. Un soi exploit à saluer ! 

Par Nabil Adel M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’économie, de stratégie et de finance. nabiladel74@gmail. com www.nabiladel74. wordpress.coms.

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