26 Mai 2016 À 18:26
Le Matin : La montée de l’islamophobie dans les pays occidentaux devient un phénomène inquiétant. Quel impact cela peut-il avoir sur les Marocains du monde ?Anis Birou : La xénophobie est un phénomène qui s’amplifie quand les crises économiques et sociales s’accentuent et s’installent dans la durée. Ce qui se passe aujourd’hui en Europe n’est que la conséquence logique d’une situation économique difficile qui dure depuis 2009. Si on ajoute à ce contexte l’insécurité liée aux derniers attentats, l’afflux massif de réfugiés du Moyen-Orient, la montée des courants populistes et le manque de perspectives pour la sortie de crise de l’emploi, toutes les conditions sont réunies pour créer un climat de défiance vis-à-vis de l’étranger en général et du musulman en particulier. Cela est d’autant plus vrai que certains éléments, fortement minoritaires par ailleurs, se proclamant de l’Islam et prétendant le défendre, l’ont malheureusement entaché de leur aveuglement et de leur barbarie. Les actes islamophobes, qui ont augmenté dans des proportions démesurées, comme en France par exemple après les attentats des deux dernières années, sont la manifestation de l’exacerbation d’un malaise social évident, mais également de la «dédiabolisation» d’une doctrine politique, notamment d’extrême droite, qui fait de la stigmatisation des immigrés, majoritairement musulmans, le fond de son programme électoraliste. Alors, doit-on pour autant s’inquiéter pour nos Marocains établis en Europe ? Je répondrai plutôt non. La vigilance est de mise, c’est vrai, mais il n’y a pas lieu de céder à la dramatisation relayée et amplifiée par certains médias. Nos concitoyens sont parmi les communautés les mieux intégrées d’Europe et les plus actives dans la propagation de l’image de l’Islam ouvert et modéré qui est le nôtre.
Quelles mesures votre département compte-t-il prendre pour atténuer cet impact ou du moins pour aider les MRE à faire face à ce phénomène ? Que recommanderiez-vous aux Marocains du monde ?Il est important de souligner que nous réagissons systématiquement et avec fermeté à tout incident islamophobe mettant en danger l’intégrité physique ou morale des membres de notre communauté à l’étranger. Dès qu’un acte est signalé, nos services consulaires et diplomatiques saisissent aussitôt les autorités du pays d’accueil et viennent en aide aux victimes d’actes pareils. Cette aide peut aller, selon les cas, du simple soutien de réconfort jusqu’à l’accompagnement juridique, si la situation l’exige. Mais comme je viens de le dire, il ne faut pas perdre de vue que ces actes restent très isolés et souvent quand ils se produisent, ils visent les communautés musulmanes de façon générale. Nous estimons qu’il est important de faire savoir aux membres de la communauté marocaine qu’ils ne sont pas seuls et ne le seront jamais face à l’islamophobie ou tout autre acte de malveillance les visant. Le combat que nous menons face à ce phénomène, tout à fait conjoncturel, je le répète, est le combat de toutes les forces vives des nations au sud comme au nord de la Méditerranée. La rencontre que nous organisons cette semaine pour discuter de la meilleure façon de concrétiser le concept du «vivre ensemble» est un exemple des initiatives à prendre pour rapprocher les points de vue et identifier de nouvelles pistes pouvant contrer la montée de ces extrémismes.
Certains estiment que la montée de l’islamophobie et du rejet de l’autre est une conséquence directe d’une intégration non réussie. Partagez-vous ce point de vue ?Je pense qu’il faudrait d’abord bien cerner ce mot : intégration. À mon avis, ce terme doit faire référence à une volonté clairement exprimée dans les politiques publiques des pays d’accueil, assurant aux migrants leurs droits sociaux, économiques et culturels et respectant leurs racines culturelles et religieuses. C’est ainsi que nous l’entendons et militons pour l’instaurer. D’autres la voient comme une assimilation, qui couperait complètement le migrant de ses origines et en ferait un être conforme aux standards, d’ailleurs mal définis, de l’identité du pays d’accueil. De ce point de vue, garder le lien avec le pays d’origine, à travers sa langue, ses traditions, sa religion, etc., peut être considéré comme un échec de l’intégration et est souvent stigmatisé en tant que tel. C’est ce constat d’échec, injuste et injustifiable, qui fait abstraction des réussites de l'intégration par l’entière implication dans la vie de la société, c’est ce constat qui pousse certains jeunes à se radicaliser, pour marquer davantage leur spécificité et en faire un défi lancé à la société qui les rejette sans essayer de les comprendre. D’ailleurs, c’est absolument aberrant de parler d’échec en se basant sur des exceptions qui confirment la règle générale, celle de l’intégration positive, qui fait la part des choses, en puisant dans ce qu'ont de meilleur la culture d’accueil et celle d’origine.
Comment peut-on justement réussir son intégration dans les pays d’accueil sans renoncer à ses origines ? Sachant que l’attachement aux valeurs et à l’identité du pays d’origine sont souvent mis en avant par les courants de l’extrême droite pour justifier l’hostilité envers les étrangers ?Si l’on veut mesurer le degré de réussite de la migration, c’est par rapport à l’intégration, comme nous l’entendons, dans la société du pays d’accueil. L’intégration d’un migrant passe avant tout par sa capacité à se prendre en charge sur le plan économique. Une fois cette intégration «économique» acquise, je pourrai dire que le reste devient plus accessible. Mais pour parvenir à cette autonomie économique, il faut d’abord avoir réussi son parcours scolaire ou acquis des compétences qui facilitent l’accès à l’emploi qualifié. Une étude que nous avons menée récemment a montré l’importance de l’implication des parents d’élèves dans la réussite de leurs enfants. Nous avons mobilisé plusieurs acteurs associatifs, qui œuvrent dans le domaine du soutien scolaire, les incitant à monter des projets que nous soutiendrons financièrement, pour aider des enfants à aller jusqu’au bout de leur scolarité dans les meilleures conditions possibles. Nous avons également lancé une nouvelle politique de l’offre culturelle, qui tient compte des besoins et des attentes de nos concitoyens expatriés, mais qui ambitionne également de promouvoir la culture marocaine auprès des sociétés d’accueil. L’un des axes de cette nouvelle politique est celui des centres culturels marocains à l’étranger, «Dar Al Maghrib», institutions dédiées à la diffusion de l’image de modernité, de tolérance et d’ouverture sur l’autre qui sont les fondamentaux de notre système de valeurs.
Le contexte géopolitique ainsi que l'instabilité dans la plupart des pays arabes favorisent l'amalgame entre islam et violence. Mais le Maroc demeure une exception dans cette région mouvementée. Comment mettre à profit cela pour défendre l'image des MRE et promouvoir le modèle marocain du vivre ensemble ?Nous jouissons, grâce à Dieu, d’une stabilité que beaucoup de pays nous envient, qui tient de l’Histoire multiséculaire de notre pays, de son attachement à l’institution monarchique, de son unanimité autour de son intégrité territoriale, de son projet de société moderne et de son effort constant pour le développement égalitaire et durable. L’image, la place et le respect dont peut se prévaloir notre pays sont en effet autant de raisons de fierté qui pourraient rejaillir sur nos concitoyens et leur donner force et confiance pour affronter les aléas de la vie à l’étranger, dans le contexte que nous savons. Les initiatives que multiplie le Maroc, sous l’impulsion et la conduite éclairées de Sa Majesté le Roi, que ce soit pour refonder le cadre politique général, ancrer la démocratie et le respect des droits de l’Homme, moderniser et diversifier l’économie, réformer le champ religieux ou encore gérer dans la dignité et la responsabilité les affaires de la migration sont autant de signaux envoyés à la fois à la communauté internationale et aux Marocains du monde pour dire que, sur tous les plans sur lesquels se jugent les peuples et les nations, notre parcours est exemplaire.