Salon international de l'agriculture de Meknès

Des dictatures en général et du management en particulier

La performance de l’entreprise est le moteur de la croissance économique d’un pays. Par la création d’emplois qu’elle génère et les impôts qu’elle paye, elle est devenue l’acteur social central. Ce double rôle de principal employeur et de contribuable fait qu’elle exerce un chantage terrible sur les gouvernements, car sa défaillance débouche inexorablement sur des crises sociales et budgétaires que tout politique cherche à éviter, du moins au cours de son mandat. Alors qu’elle exige des gouvernants toujours davantage de démocratie, son fonctionnement à elle n’a rien à envier aux pires dictatures.

30 Mars 2016 À 18:14

D’une macro-dictature…Le Capitalisme dans sa version moderne qui tend à s’imposer en tant que norme de fonctionnement des sociétés humaines est fondé sur un triptyque originel : démocratie au niveau politique, régulation par le marché au niveau économique et sacralité des libertés individuelles au niveau social. Grâce à sa domination scientifique, économique et militaire entre les 16e et 20e siècles, l’Occident a réussi à imposer cette doctrine au reste du monde comme étant le seul modèle viable de fonctionnement d’une société. Dans son volet économique, le capitalisme érige la propriété individuelle, la libre entreprise et la concurrence libre et non faussée au rang de divinités. Toute remise en cause, même marginale de ce dogme, devient presque un blasphème que les fanatiques de l’économie de marché sont prêts à combattre avec les armes s’il le faut.

Or, si de l’avis de beaucoup de théoriciens du capitalisme, celui-ci ne peut s’épanouir qu’en démocratie participative (thèse de Milton Friedman dans son best-seller «Capitalisme et Liberté»), force est de constater que l’histoire récente a montré qu’il a souvent été l’apanage des pires dictatures et que ses recettes, souvent au goût amer, n’ont pu être inoculées aux populations que suite à des répressions brutales. Ces remèdes commencent tous par une remise en cause du rôle de l’État, devant être confiné à des fonctions régaliennes (sauf pour venir au sauvetage des bévues managériales des entreprises et des banques) et par des coupes dans les budgets à caractère social, au nom de l’efficacité économique. Les expériences historiques de l’Argentine, du Chili, du Brésil, de la Russie et de beaucoup de pays d’Afrique ont montré que le Capitalisme pouvait éclore, non seulement sous l’aile protectrice des pires régimes répressifs, mais était également un terrain fertile de développement de tous les vices économiques (corruption, prédation financière, trafic d’influence, détournements…) qui sont, en théorie, un frein au développement d’une économie de marché fonctionnant à l’optimum. Dans ces conditions, l’idée qui nous est commercialisée et selon laquelle démocratie et économie capitaliste marchent main dans la main est, au mieux, une exception pratiquée par quelques pays, au pire, une chimère.

… aux micro-dictaturesAlors que les entreprises demandent aux gouvernements davantage de démocratie, elles pratiquent elles-mêmes dans leur fonctionnement au quotidien une terrible dictature au nom de la maximisation du profit et de l’efficacité économique. En théorie, le fonctionnement d’une entreprise est similaire à celui d’une démocratie. Ainsi, les entreprises sont assimilées à des «mini-pays». L’autorité ultime est entre les mains des votants (actionnaires) qui choisissent des représentants (administrateurs) qui délèguent la plupart des décisions à des bureaucrates (managers). Le partage réel du pouvoir dans ce «pays» est consigné dans une constitution (règles de gouvernance). Le fonctionnement optimal que professe la théorie libérale est celui d’une démocratie réelle, c’est-à-dire qu’il y a très peu de pouvoir pour les managers ; et les actionnaires peuvent, à travers leurs représentants dans les organes de gouvernance (administrateurs), les remplacer facilement et rapidement.La réalité est beaucoup plus complexe et le fonctionnement est davantage proche d’une dictature où le management dispose de larges pouvoirs et met des restrictions quant au droit des actionnaires de choisir et de remplacer les administrateurs. Les actionnaires acceptent ces restrictions dans l’espoir de maximiser leur richesse. Dans la gestion de tous les jours, les différentes entités de l’entreprise fonctionnent comme de véritables silos avec une vision pyramidale, concentrant toujours le pouvoir au sommet. Les autres échelons de l’entreprise doivent exécuter une stratégie élaborée en «haut». Même si des parodies de «group-think» donnent l’impression d’un travail d’équipe et d’une démarche participative, l’entreprise traditionnelle, telle que nous la connaissons, ne tolère pas les voix opposantes. C’est la raison pour laquelle, les hommes d’affaires sont de mauvais politiciens.

D’ailleurs la loi, grâce au principe de lien de subordination de l’employé à l’employeur, consacre cet état de fait. Cette réalité est davantage vécue dans le cas des restructurations où le rouleau compresseur du nouveau manager providentiel, censé sauver l’entreprise, laisse très peu, voire pas du tout, d’espace aux notes dissonantes. Les résultats sont souvent très positifs, mais qu’on ne parle surtout pas de démocratie au sein de l’entreprise. Les notions de management participatif restent confinées à des sphères limitées au sein de l’entreprise, sans impact réel sur le processus de décision qui reste concentré entre les mains d’une seule personne. Son pouvoir est comparable à celui de l’exécutif des systèmes les plus autoritaires ; et à partir du moment où il maximise le profit de la firme, il n’a quasiment de comptes à rendre à personne.Aujourd’hui, on assiste à l’émergence d’un mouvement d’entreprises dites libérées, notamment dans les secteurs de pointe où l’innovation est très forte. Cette nouvelle génération de firmes s’émancipe des notions traditionnelles de hiérarchie et de commandement. Elle adopte des structures horizontales d’organisation et fait apparaitre une réelle culture participative des collaborateurs qui sont souvent propriétaires d’une fraction, voire de la totalité, de l’entreprise. Leurs performances sont très satisfaisantes et arrivent, tout en étant des entreprises citoyennes, à dégager de forts rendements pour leurs actionnaires, en assurant un espace d’émancipation et de bien-être pour leurs salariés. Un mouvement certes marginal pour le moment, mais à observer ! 

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Par Nabil Adel M. Adel est cadre dirigeant d’assurances, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.

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