04 Décembre 2016 À 13:10
L’exigence de se mettre en conformité avec les nouvelles tendances du management force les entreprises, pour assurer leur pérennité, à faire appel, entre autres, à des managers capables d’engager et d’accompagner les équipes vers les objectifs fixés. Cette exigence pose inévitablement la question de savoir quels sont les traits de caractère qu’un bon dirigeant devra satisfaire aujourd’hui. C’est pour tenter d’y répondre qu'«Éco-Emploi» a contacté un groupe d’experts pour sonder leurs avis sur les nouvelles exigences à l'ère du changement.L’occasion de dresser un panorama des pratiques managériales innovantes qui ont démontré leur efficacité.
Premier constat : la performance repose incontestablement sur un manager agile capable de se réinventer et d'adapter son style de management aux situations et au niveau de maturité de ses collaborateurs, à mesure que ces derniers évoluent, se transforment et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Un responsable agile est donc un manager qui s’appuie sur des process de management efficaces, tout en veillant à rester fidèle aux valeurs d'ouverture, de collaboration, de diversité, de confiance, de partage, de leadership, de communication, etc. À en croire Otman Fares, directeur général de Assessment RH, la réussite de cette mission passe par le respect de trois règles d’or : le savoir (lié à sa connaissance du métier), le savoir-faire (lié à son expérience) et le savoir-être (lié aux attitudes et aux comportements du manager). «Au-delà du savoir lié à son expertise, un manager doit se remettre en question de manière permanente, respecter ses collaborateurs et collaboratrices, leur faire confiance, adapter sa communication aux circonstances, anticiper et résoudre les situations conflictuelles, et accompagner ses collaborateurs dans toute démarche visant l’amélioration continue au sein de l’entreprise», affirme-t-il.
Le directeur du Pôle stratégie, organisation et capital humain à Promamec, Mohamed Benouarrek, approfondit ce raisonnement en soulignant que les traits marquants d’un bon manager tournent autour de quatre axes essentiels : la communication, le partage de l’information et du savoir, le leadership, ainsi que le management de l’incertitude et des changements. Un portrait qui est amené, selon l’expert, à changer en harmonie avec les nouveaux challenges liés aux mutations générales et aux exigences des nouvelles populations gérées ou à gérer. Chez Adecco, être un bon manager, c’est en résumé avoir «une tête froide», «un cœur chaud» et «des mains travailleuses». Saïd Rezeg, conseiller en emploi, directeur associé ADEF Consulting, pousse le concept de l’agilité d’un manager encore plus loin : «dans le portrait-type, on pourrait ajouter celui qui, par son charisme, impose le respect au sein de l'équipe de façon à développer l'intelligence collective nécessaire à l’harmonisation des relations de l’ensemble de l’équipe et à sa dynamique». Ce portrait du manager suppose donc de nouvelles approches et une nouvelle forme d'intelligence managériale. Mais la question qui se pose est de savoir comment activer cette intelligence. Selon Benouarrek, le recours aux réunions, aux échanges, au brainstorming et au team building demeure capital pour activer l’intelligence collective et constitue une sérieuse piste pour des synergies innovantes et novatrices.
«Inviter les collaborateurs à s’exprimer librement (le speak-up), intégrer les pensées, même les moins orthodoxes, dans la pensée collective, et surtout passer de la tolérance de la différence à son intégration en capitalisant sur tous les types d’outils favorisant l’intelligence collective», explique-t-il. Par ailleurs, être un bon chef passe aussi par un travail de rigueur sur soi. «Les managers qui ont réussi aujourd’hui sont passés d’une logique de “manager” à une logique de “manager coach”. Ils ont donc développé, au fur et à mesure, une compétence supplémentaire liée aux principes fondamentaux du coaching», assure Fares. Dès lors, obtenir la satisfaction des autres revient à considérer le niveau de maturité de tout un chacun en s'appuyant plus sur un travail collectif et inclusif.
Faut-il changer de style pour manager la nouvelle génération ?L'un des grands défis à relever par les managers est celui de leurs relations avec la nouvelle génération qui fait son entrée en entreprise. Dans ce cadre, il est nécessaire de connaitre les attentes de ces nouveaux «Bovary». L'analyse de ces besoins permettra aussi de dégager les principaux critères que le manager devra assimiler et qui vont aussi façonner sa manière de faire. Sofia, une jeune diplômée d'école de commerce estime qu’un capitaine d'équipe doit réunir des qualités relatives aux valeurs pour assurer la cohésion d’équipe et «piloter dans les bonnes conditions son navire». Autre constat dégagé du témoignage de Nabila, chargée de projet au sein d'une PME : «Au-delà de la communication, du sens de l’écoute et de l’implication dans les différents projets, un bon chef d’équipe est celui qui opte pour le management par la confiance. Face à un chef d’équipe qui me fait confiance et qui m’accorde une marge d’autonomie tout en me permettant de libérer ma créativité et de prendre des initiatives, je fais de mon mieux pour ne pas le décevoir. Ceci dit, la confiance n’exclut pas le contrôle. Mieux encore, ce sont ses remarques constructives, sa rigueur professionnelle et ses échanges qui permettent d’évoluer». Cela rejoint aussi l'idée formulée par Mohamed, un jeune cadre qui apprécie le manager qui travaille en synergie avec ses collaborateurs ; celui qui «partage et donne l'exemple pour que ses collaborateurs aspirent à devenir comme lui et soient motivés à apprendre davantage pour exceller».
De son côté, Zineb, téléconseillère, insiste sur un autre point : la nécessite de prêter une grande attention à l’aspect humain sous toutes ses formes. Un manager doit avoir les aptitudes nécessaires pour gérer les situations à risque liées notamment à la qualité de vie au travail : les conflits relationnels, le surmenage, le manque de confiance...
Ces qualités exprimées par la jeune génération sont, en effet, résumées par Karima Rihani, doctorante en psychologie positive, qui note que «quels que soient les difficultés rencontrées et le degré de risque pouvant toucher l’organisation, je pense que le chef d’équipe doit créer en interne une stabilité émotionnelle avec une pression mesurable. Le but étant d’éviter le turnover, solliciter la motivation en légitimant tout changement bénéfique, assurer une garantie d’échanges positifs sans jugements de valeur et créer ainsi des dispositifs de communication fluides et efficaces».
Ces nouvelles exigences sont bien là et sont même bien perçues par les dirigeants. En effet, comme l'explique Ali Serhani, directeur associé Gesper Services, «les managers le reconnaissent volontiers : cette génération les bouscule parce qu’elle refuse un modèle managérial classique. Ils doivent s’éloigner petit à petit des organisations très hiérarchisées pour se rapprocher des réseaux.
Cette génération souhaite contribuer activement au développement de l’entreprise tant que le manager respecte l’équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle». En somme, le style et les outils de travail pourraient être remodelés pour mieux convenir aux nouveaux acteurs : «nos chers e-jeunes», comme les qualifie Serhani. Et pour être plus exhaustif, Youness Bellatif, DG du cabinet Convergence, relève que «la question ne doit pas être centrée sur la génération Y, mais plutôt sur les nouveaux paradigmes qui constituent l'écosystème dans lequel nous vivons, en particulier celui de l'entreprise (…) Changer de paradigme se révèle très souvent plus difficile à effectuer que d'investir dans une technologie ou des moyens. Les habitudes et ancrages ont la peau dure et cela a été de toute génération et de tout âge. La génération Y sera, elle-même, taxée de traditionnelle dans très peu de temps… Ainsi va le cycle des changements». Force donc est de constater que l’époque où l’on demandait au chef d’équipe d’être autoritaire, de garantir la discipline de ses collaborateurs et de veiller à ce qu’ils soient des exécutants est révolue, comme le fait constater Krima Rihani. Place maintenant à un manager agile qui sait rapidement s'adapter aux changements tel un «caméléon».
«Au-delà de la capacité de trancher en cas d’incertitude et de prendre des décisions responsables, le chef d’équipe doit être influent. Il doit avoir les compétences nécessaires pour influencer ses collaborateurs, les impliquer dans les différents projets de l’entreprise et garantir leur motivation. Certes, cela n’est pas évident surtout avec la génération Y ou encore Z qui intègrent de plus en plus l’entreprise, mais des aptitudes telles que l’intégrité et la modestie permettront de relever le défi. Fini l’époque où l’on demandait au chef d’équipe d’être autoritaire, de garantir la discipline de ses collaborateurs et de veiller à ce qu’ils soient des exécutants. Aujourd’hui, ce que l’on demande au chef d’équipe c’est d’être à l’écoute de ses collaborateurs et de se baser aussi bien sur le cognitif que sur l’émotionnel afin de faire émerger le sens de l’innovation et de la créativité. Autres points importants pour être un bon leader, c’est d’être visionnaire, persévérant et de savoir donner l’exemple. Ces qualités sont fortement requises, notamment dans les phases de changement. C’est une réalité, les talents se font rares et la concurrence devient de plus en plus rude, encore faut-il revoir son style de management d’équipe pour relever le défi et garantir la pérennité et la compétitivité de l’entreprise».
«Chez Adecco, nous avons 3 principes pour définir les managers :1. une tête froide : Il s’agit de personnes qui ont des valeurs et qui prennent des décisions, qui établissent des priorités, qui peuvent analyser et résoudre des problèmes et qui répondent aux questions concrètement et convenablement sans laisser leurs émotions influer sur leurs réponses. Ce sont les personnes qui définissent et réalisent des objectifs financiers clairs en utilisant les ressources de l’organisation de manière efficace. Elles sont économes et appliquent les directives sur le contrôle des coûts, y compris en ce qui les concerne. Elles prennent du recul pour résoudre les problèmes, elles prennent les décisions de manière objective, pensent avant d’agir et planifient.
2. Un cœur chaud : Il s’agit de personnes qui savent sensibiliser les autres, qui peuvent tirer profit de ce que les autres ont de mieux en les appréciant et en les respectant et peuvent concentrer les efforts de leurs collègues sur un objectif commun. Elles encouragent les initiatives et le dépassement de soi. Elles délèguent les responsabilités et encouragent la prise d’initiatives et donnent aux autres un avis sur leur performance et s'ils ont atteint les attentes. Ce sont des personnes qui reconnaissent et récompensent la performance, motivent les autres, les amènent à l’objectif grâce à leur pouvoir de conviction et les rallient à leurs points de vue.
3. Des mains travailleuses : Il s’agit de personnes qui aiment leur travail et qui cherchent régulièrement à se surpasser. Elles fixent les délais pour chacun de leurs objectifs et se concentrent sur la réalisation et l’accomplissent de ceux-ci. Elles tirent les autres, y compris elles-mêmes, vers le haut. Elles sont exemplaires dans leur management.Le bon manager pourrait être enfin celui qui se définit par cette citation de Nelson Mandela : «Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends.»
«Le manager “cru” 2016 se doit d’être un facilitateur nourri par la complémentarité de son équipe. Il doit adapter sa stratégie de motivation aux différentes personnalités de ses collaborateurs. Les ressorts de la motivation, facteur essentiel de la bonne marche du groupe, encouragent le manager ou le leader de la structure à savoir “faire” susciter les initiatives de son équipe. Autre aspect caractérisant le bon manager moderne, c’est celui de l’écoute sous toutes ses formes. Elle peut être analytique, empathique, stratégique ou pragmatique. Il est nécessaire pour le bon manager de pouvoir s’approprier toutes ces formes d’écoute afin de pouvoir tirer la quintessence de ses collaborateurs et surtout d’atteindre les objectifs qu’ils se sont permis d’atteindre. Une des caractéristiques fortes de ses compétences est de pouvoir concilier bien-être et performance au sein de son équipe. L’équilibre de ces deux données constitue le levier qui va permettre d’identifier le bon manager de celui qui n’est vraiment pas à sa place».
«Il n’y a pas de recette magique pour devenir un bon manager. Ce qu’on peut dire c’est qu’un manager doit combiner, faire un mix et jongler entre les trois composantes de la compétence à savoir : Le savoir (lié à sa connaissance du métier), le savoir-faire (lié à son expérience) et le savoir-être (lié aux attitudes et aux comportements du manager). Nous vivons de plus en plus un shift d’un management sur-instrumentalisé basé sur les matrices et les semi-vérités de modèles conçus par égocentrisme vers un management malléable capable de surfer sur les vagues du changement et intégrer rapidement des éléments de contraintes. Plusieurs vents dictent les nouveaux commandements du manager moderne, à savoir la démocratisation des sociétés, les incertitudes générées par un contexte politico-économique très instable, le démantèlement du mythe des modèles exportable, et le besoin d’innover pour survivre. Par conséquent, le manager qui cherche à survivre dans ce nouveau contexte sera amené à faire preuve d’une capacité à se régénérer constamment et à challenger ses propres repères».
«Être un bon manager en 2016 n’est pas trop différent d’être un bon manager en 2000. Certes, des évolutions se font de plus en plus remarquer telles que la dimension d’animateur des collaborateurs, homme ou femme, de concertation, la capacité à gérer les crises et les changements brusques, à piloter des projets avec plusieurs interfaces, à travailler sous pression, etc. Ces compétences sont de plus en plus demandées et mises à l'épreuve. Aussi, le manager d’aujourd’hui est dans l’obligation d’inspirer confiance et donner de la visibilité dans un monde de plus en plus imprévisible. Ceci parait presque paradoxal, mais c’est une nouvelle exigence dans un monde de mutations successives».