04 Septembre 2016 À 13:18
Il n'est pas inutile de le rappeler : la discrimination est catégoriquement prohibée par la loi. En effet, l’article 9 du Code du travail pose les principes de cette prohibition : «… Est également interdite à l'encontre des salariés, toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, le handicap, la situation conjugale, la religion, l'opinion politique, l'affiliation syndicale, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, ayant pour effet de violer ou d'altérer le principe d'égalité des chances ou de traitement sur un pied d'égalité en matière d'emploi ou d'exercice d'une profession, notamment, en ce qui concerne l'embauchage, la conduite et la répartition du travail, la formation professionnelle, le salaire, l'avancement, l'octroi des avantages sociaux, les mesures disciplinaires et le licenciement». L’article 12 du même Code punit d'une amende de 15.000 à 30.000 dirhams tout employeur qui contrevient à ces dispositions. En cas de récidive, l'amende précitée est portée au double.
Par ailleurs, la Constitution a consacré dans son préambule l’engagement du Royaume à bannir et à combattre toute sorte de discrimination à l'encontre de quiconque, liée au sexe, à la couleur, aux croyances, à la culture, à l'origine sociale ou régionale, à la langue et au handicap. Ces dispositions ont été complétées par plusieurs conventions internationales ratifiées par le Maroc, notamment la Convention n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession). Bien que les gouvernements successifs aient toujours affiché leur volonté de renforcer la lutte contre toutes les formes de discrimination, l'égalité des chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession n’a guère évolué de manière satisfaisante.
Par ailleurs, l’analyse des facteurs de discriminations au travail est extrêmement importante pour pouvoir les comprendre et les éradiquer. Nous distinguons dans l’analyse de Mehdi Elyoussfi, DGA du cabinet Diorh, deux types de facteurs. Le premier facteur de discrimination provient de la latitude de l’employeur à se baser dans son choix sur des critères autres que purement professionnels. «Pour tel ou tel poste, et sans réelle justification rationnelle, un employeur préférera recruter un collaborateur de moins de 40 ans, ou de sexe masculin, ou encore doté de telle ou telle qualité morphologique», a-t-il fait savoir. S’y ajoute un second facteur, plus généralisé et moins subjectif.
Celui-ci selon l’expert provient d’exigences non explicites, mais admises pour l’exercice de telles ou telles fonctions. «Par exemple, dans certaines entreprises de services, il est admis que pour certains postes requérant une forte exposition au client et un rôle important de représentation, les collaborateurs ne peuvent porter de signes religieux. Dans les métiers des relations publiques ou de la vente, l’allure ou l’apparence physique est parfois un critère de discrimination érigé en critère de sélection», ajoute Elyoussfi.
Interrogé sur le sujet, Ismail Belabbess, consultant RH au sein du Cabinet MCBI Consulting, a souligné que «de nombreux critères discriminatoires sont énoncés tels que l’âge, le handicap et le genre. Mais ce qui est le plus à craindre chez un recruteur, ce sont ces représentations sociales induisant des biais et qui ont des répercussions sur la décision finale dans le recrutement. On peut citer la première impression, l’effet de Halo (les aprioris vont se généraliser à toutes les caractéristiques du candidat), l’effet de similarité et la connivence (les ressemblances objectives vont créer de la complicité avec des idées réciproques qui peut générer de la sympathie ou inversement, l’antipathie peut émerger s’il existe trop de différences idéologiques».
Pour autant, même si le motif de discrimination est identifiable, dénoncer cette pratique est une tâche particulièrement difficile. «Dénoncer un recruteur en cas de discrimination est très complexe, car celle-ci doit se baser sur des éléments factuels, par exemple, lors de la diffusion d’une annonce où l’on indique précisément le genre ou lors d’un recrutement si vous constatez que votre niveau de rémunération est inférieur par rapport à celui de vos collègues masculins pour le même poste et les mêmes responsabilités», affirme M. Belabbess. C’est pourquoi prendre des mesures qui promeuvent l’égalité de traitement sur le marché est primordial. «C’est une affaire collective qui nécessite une sensibilisation accrue des acteurs politiques et économiques. D’autres pays ont mis en œuvre des dispositifs réglementaires tels la discrimination positive, ou des outils tels les labels de promotion de la diversité, le CV anonyme. Ces dispositifs sont probablement imparfaits, mais il est intéressant dans tous les cas de s’inspirer d’expériences étrangères», estime le DGA du cabinet Diorh.
Le CV anonyme est-il la solution pour lutter contre la discrimination à l'embauche ? Pas vraiment si l'on se réfère aux différents avis recueillis. «Bien qu'il ne peut, à lui seul, régler tous les problèmes de discrimination, le dépôt d'un CV anonyme me donnera au moins une chance de rencontrer le recruteur qui me jugera en fonction de mes compétences et mes expériences professionnelles. Le sexe, l’âge et le physique restent pour moi des données facultatives», répond une jeune commerciale en recherche active d’emploi. Cependant, les experts en recrutement ne sont pas du même avis. Selon Ali Serhani, directeur associé Gesper Services, membre de l’AMCR : «quand un recruteur a des idées préétablies, il pourra bien vous recevoir pour faire votre connaissance (car votre CV est anonyme), mais dès qu’il vous verra, il ne vous retiendra pas, même si vous avez les compétences requises. Il préférera un candidat qui correspond selon lui aux valeurs de l’entreprise. Ce genre de CV a montré ses limites aux États-Unis, au Canada et en France et je ne sais même pas pourquoi il demeure toujours en vigueur. Parait-il que c’est pour l’égalité des chances. Et bien c’est faux, car le recruteur s'en tiendra à ses convictions même après avoir rencontré le candidat».
Abondant dans le même sens William Parent, directeur Recrutement & Évaluation Experts groupe Adecco Maroc, ajoute que «les plus fervents défenseurs de l’anonymisation des CV se fondent sur le principe de l’égalité des chances et sur un constat objectif : les discriminations à l’embauche sont nombreuses. Si le CV anonyme s’inscrit dans le cadre de la lutte contre les discriminations, force est de constater que ce mode de recrutement reste imparfait voire à contrecourant de son objectif. Il ôte ou complexifie la possibilité de mener une politique de discrimination positive en favorisant le recrutement de personne sous handicap et donc de favoriser la diversité dans l’entreprise». Selon l’expert «les critères de sélection d’un candidat ne peuvent se fonder uniquement sur des compétences techniques et des expériences professionnelles. Ceci est d’autant plus vrai que dans un monde où les échanges commerciaux sont internationalisés, la connaissance de telle ou telle culture, l’identité propre du candidat, sont des atouts majeurs et des critères à prendre en compte pour un recrutement réussi».
Toujours d’après le directeur recrutement & Évaluation Adecco Maroc : «c’est en premier lieu la loi qui protège le salarié/candidat contre toute forme de discrimination. Si les recruteurs sont libres de choisir les personnes avec lesquelles ils souhaitent collaborer, ils doivent toutefois se conformer à la loi. En clair, les critères tels que l'âge, de religion, l'origine, le sexe….ne peuvent pas être des motifs de refus d'embauche. La solution viendrait peut-être des entreprises qui recrutent sans CV ni lettre de motivation. Les premières sélections ne se font plus sur la base du screening (analyse du CV) et d’un premier entretien téléphonique, mais sur la base d’un questionnaire technique, comportemental et spécifique au poste à pourvoir». Il faut rappeler en outre qu’il y a deux mois Accorhotels, BMCI, Bumaro, Centrele Danone, Jones Lang Lasalle, L’Oréal Maroc, Meditel, Nestlé, SMT, Sodexo, Total et Webhelp ont signé la première charte de la Diversité au Maroc. Une telle initiative, louable, est fondamentale pour lutter contre toute forme de discrimination. Ce groupe d’entreprises a pris une série d’engagements visant à favoriser le pluralisme et à rechercher la diversité dans les recrutements et la gestion des carrières.
Éco-Emploi : Quels sont les types de discriminations lors du recrutement ?Mehdi El Yousfi : Les discriminations à l’embauche peuvent être nombreuses et variées. Plutôt que d’égrener une liste malheureusement trop longue, je me risquerai à classer les types de discrimination en 4 catégories.On peut relever, tout d’abord, un ensemble de discriminations liées à des critères d’identité physique. On peut intégrer dans cette catégorie la discrimination par l’âge, qui peut aussi bien affecter des candidats jeunes que plus âgés, exclus d’emblée et du seul fait de leur âge de tel ou tel poste sans considération prioritaire de leurs aptitudes et expériences professionnelles. Le faciès ou l’apparence physique est un autre critère de discrimination malheureusement fréquent, un employeur refusant par exemple de recruter une personne en surpoids ou aux traits disharmonieux, ou encore une personne dont le visage «ne lui revient pas». Un autre critère particulièrement répandu est celui du sexe : il y a alors discrimination soit au niveau de l’accès à tel ou tel types de poste (hommes comme femmes peuvent être victimes de cette discrimination), soit dans la fixation du niveau de rémunération (les femmes sont malheureusement le plus souvent victimes de cette discrimination). Enfin, on peut intégrer dans cette catégorie la discrimination raciale qui exclut une personne sur le seul principe de son appartenance à une race.Nous pouvons par ailleurs regrouper un autre ensemble de discriminations dans la catégorie des discriminations relevant de l’état médical. Notons en particulier la discrimination fondée sur l’état de santé d’un candidat, le recruteur pouvant l’exclure du processus de recrutement après avoir (indûment !) appris qu’il était atteint d’une pathologie chronique, celle-ci n’occasionnant pas un handicap qui pourrait entraver ses capacités et aptitudes professionnelles. Le handicap constitue du reste un critère très fréquent de discrimination à l’embauche, en plus de toutes les situations de discrimination qui surviennent déjà dans les différents domaines de la vie (accès aux transports, au logement…). Un autre critère fréquent de discrimination à relever est l’état de grossesse d’une candidate (ou ultérieurement sa situation de mère de famille), qui peut réfréner les dispositions au recrutement d’un employeur, et qui lèse objectivement le droit des femmes. Il y a également un ensemble de discriminations que l’on peut regrouper dans la catégorie des discriminations à caractère culturel. Citons dans cette catégorie les discriminations fondées sur l’appartenance ethnique ou religieuse, qui excluent tel ou tel candidat sur le seul principe de son appartenance réelle ou supposée à une communauté culturelle ou confessionnelle spécifique. Un autre critère trop fréquent de discrimination est le patronyme, un candidat pouvant être lésé en raison d’un nom jugé trop ridicule, ou à consonance trop exotique ou encore indiquant telle ou telle origine ethnique ou régionale. Notons aussi dans cette catégorie la discrimination fondée sur l’appartenance familiale, tel ou tel candidat étant préféré à un autre en raison de sa filiation à un membre, un dirigeant ou un partenaire de l’entreprise. Enfin, le mode de vie peut faire l’objet de discrimination (orientation sexuelle réelle ou supposée, tabagisme, port d’un signe religieux…)Il y a enfin les discriminations à caractère social : citons notamment à ce titre la discrimination fondée sur l’appartenance à une organisation syndicale ou politique, mais aussi, le lieu de résidence, qui peut indiquer une appartenance réelle ou supposée à telle ou telle catégorie sociale. Toutes ces discriminations entravent l’égalité des chances pour l’emploi ainsi que l’équité du processus de recrutement ; voire même son efficacité, l’employeur se privant de compétences réelles pour des considérations injustes.
Quels sont les facteurs qui influencent le comportement des recruteurs ? Le processus de recrutement reste une démarche complexe et subtile, car les critères d’évaluation et de sélection relèvent à la fois des champs objectifs et subjectifs. L’adéquation d’un profil à un poste donné ne relève bien entendu pas simplement de ses hard skills, justifiables par son expérience, son ancienneté, son parcours académique. Les soft skills, celles qui permettent d’évaluer l’aptitude d’un candidat à intégrer le système de valeurs de l’entreprise, à repérer les codes facilitant en son sein la coopération, la collaboration et les synergies, tout ce champ d’aptitudes, de qualités, de compétences compte pour beaucoup dans la décision de recrutement. Cela fait donc intervenir inévitablement le ressenti de l’employeur et son propre système de valeur… Cette subjectivité si elle n’est pas soutenue par un cadre précis (une charte déontologique par exemple) peut occasionner un glissement insensible vers de la discrimination. Il y a donc là un premier facteur de discrimination qui provient de la latitude de l’employeur dans l’interprétation des critères autres que purement professionnels. Un deuxième facteur, plus généralisé et moins subjectif, provient d’exigences non explicites, mais admises pour l’exercice de telles ou telles fonctions. Par exemple, dans certaines entreprises de service, il est admis que pour certains postes requérant une forte exposition au client et un rôle important de représentation, les collaborateurs ne peuvent porter de signes religieux. Dans les métiers des relations publiques ou de la vente, l’allure ou l’apparence physique est parfois un critère de discrimination érigé en critère de sélection. Il y a enfin une affaire de maturité de notre société par rapport à certaines questions, telles celle de la diversité, de l’intégration des handicapés dans le monde professionnel…
Y a-t-il des méthodes pour limiter cette problématique ?Il y a d’abord le levier réglementaire, mais qui requiert forcément une implication large à même de faire évoluer la question de la discrimination, et d’assurer un traitement plus équitable de tout postulant à un emploi. C’est une affaire collective qui nécessite une sensibilisation accrue des acteurs politiques et économiques. D’autres pays ont mis en œuvre des dispositifs réglementaires tels la discrimination positive, ou des outils tels les labels de promotion de la diversité, le CV anonyme. Ces dispositifs sont probablement imparfaits, mais il est intéressant dans tous les cas de s’inspirer d’expériences étrangères. Un prérequis important reste de cartographier et qualifier tous les types de discriminations (voir votre première question) de manière à mieux délimiter la question et ainsi mieux l’appréhender et la faire évoluer.À un niveau plus microéconomique, il y a le rôle des cabinets-conseils en recrutement (les recruteurs). À l’écoute du besoin de leur client, ils doivent être capables de discerner ce qui relève effectivement de critères incontestables d’évaluation et de sélection de ce qui relève plus subjectivement de critères discriminants.