Conférence Internationale Du Sucre

Le défi sécuritaire de la gestion post attentats

Après des années de difficultés, l’Afrique aurait enfin pris la bonne voie et toutes les puissances rivalisent pour tirer profit de ses progrès et de ses performances. L’afro-optimisme est désormais de mise. Il se fonde sur l’ampleur des taux de croissance économique, sur les investissements qui se dirigent vers le continent et sur les convoitises qu’il suscite.

28 Janvier 2016 À 19:21

L’attraction des investissements directs étrangers et la convoitise n’existent que si elles sont basées sur de solides réalités, économiques et sécuritaires en particulier. De fait, l'attraction des capitaux étrangers et la sécurité sont intimement liées. Sécurité est mère d’opulence, écrivait Adam Smith. L'Afrique doit concentrer ses ressources sur ce qui lui est consubstantiel – développement, sécurité – et qui ne peut être le fait d'autres acteurs. L'investissement du continent pour sa sécurité et sa stabilité doit être cohérent avec le niveau des menaces et la vision de sa place dans le monde.

Dans quarante ans, l’Afrique comptera un milliard d’habitants en plus. Sans développement, le continent représentera alors une lourde menace pour sa propre sécurité, mais aussi pour celle du monde. Le développement repose aussi bien sur l'investissement privé national qu’international, dans un environnement favorable, à commencer par la sécurité, comme c’est le cas dans d’autres régions émergentes telles l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine. Relever le défi de la sécurité revient à relever en amont les défis de la sécurité alimentaire, de l’éducation et de la formation, de l’eau, du changement climatique, de l’apartheid social et de la bonne gouvernance. C’est à ces conditions que l’Afrique connaitra une paix et une sécurité durables qui lui permettront d’occuper l’une des toutes premières places, celle qui devrait être sienne sur la scène internationale au vu de ses innombrables atouts.

Actuellement, l’Afrique est menacée par la violence à travers les attentats perpétrés par les organisations terroristes qui pullulent sur le continent. C’est un leurre de croire que des attentats comme ceux de Ouagadougou ou de Bamako constituent des épiphénomènes. Donc il y a un autre défi qui relève de la sécurité, mais cette fois-ci en aval des attentats, il s’agit de la capacité à gérer les suites d’un attentat. S'agissant des risques, il y en a partout, nul pays n’est à l’abri des attentats terroristes, mais c’est la rapidité et l’efficacité de la réaction qui diffèrent d’une région à l’autre. Prenons l’exemple de l’attentat contre l'ONU en Iraq en 2003 : les éclats de verre avaient occasionné des blessures très graves, malheureusement, les secours et les hôpitaux ne disposaient d’aucun moyen pour apporter les secours nécessaires.

En Afrique et plus précisément sur la bande sahélienne, il y a une absence de toute capacité à gérer un attentat (pompiers, médecin, services d'urgence...). La sécurité est quelque chose d'important pour rassurer aussi bien les populations que les investisseurs.Certes, on assiste à une plus grande acceptation de l'investissement national et international, mais en même temps on note un déni de l’existence des risques sécuritaires. Ces derniers ne sont pas pris en compte parce qu’il n’y a pas eu d'attentat de grande ampleur. Le vrai risque c’est l’attentat imprévisible, et la façon d’y répondre est d’autant plus imprévisible qu'elle n'est pas organisée de façon harmonieuse. En cas d'attentat dans un pays asiatique ou d'Europe occidentale, rappelons qu’il y en a de moins en moins, la réponse est immédiate et «compétente».

En Afrique, ce n’est pas le cas, ce qui représente un énorme problème sécuritaire.Un des objectifs de la stratégie africaine de lutte contre le terrorisme devrait viser à se préparer, dans un esprit de solidarité, à faire face aux conséquences d'un attentat terroriste et à les réduire le plus possible, en améliorant les capacités à gérer les suites de l'attentat, la coordination de la réaction et les besoins des victimes. Parmi les priorités dans ce domaine figurent la mise au point, au niveau de l’Afrique, de mesures de coordination en cas de crise, la révision du mécanisme de protection civile, le développement de l'analyse des risques et l'échange des meilleures pratiques en matière d'assistance aux victimes du terrorisme. Émerger signifie aussi tirer profit de la mondialisation. Or il est difficile d’y accéder immédiatement, le commerce international étant devenu très exigeant. L’Afrique ne peut y accéder que si elle est bien organisée en interne : non seulement au niveau des prix, mais aussi au niveau de la qualité, de l’hygiène, de la présentation des produits, de la législation et du mode de paiement. Disposer d’un produit ne signifie pas automatiquement qu'on peut le vendre.

S’il existe un domaine où il y a très peu de sentiments, c'est bien celui des relations internationales, il faut mériter sa place en travaillant et en s’imposant par des solidarités régionales (Communauté économique des États de l'Afrique, CEDEAO, Common Market for Eastern and Southern Africa, COMESA). Il ne suffit pas de dénoncer une injustice pour avoir raison, le monde y compris l’Afrique, est pavé d’injustice. Si l’Afrique cherche à établir la défense de ses populations, de son territoire et de ses intérêts, si elle ne veut pas être réduite au rôle de «spectateur périphérique du XXIe siècle» et si elle veut dépasser le stade de «fournisseur de matières premières», si elle veut établir, enfin, la cohérence entre son nouveau statut de nouvelle frontière de la croissance et ses engagements, elle doit consentir les investissements nécessaires pour sa sécurité et se doter des budgets et des capacités de gestion post attentats et de lutte contre le terrorisme adaptés à l'idée qu'elle doit avoir d'elle-même. En ce moment de grand danger, il faut cesser de penser l’Afrique en termes de calculs politiciens. Il faut revenir à l'essentiel, à l’Afrique que nous voulons, à l’Afrique que nous aimons. Il est l'heure de penser enfin le temps long des stratégies, celui des générations futures, en laissant aux esprits médiocres le temps court des sondages et des rythmes électoraux. L’Afrique ne peut pas perdre ce qui serait alors sa bataille pour l’émergence. 


Réformes de l’UE contre le terrorisme

Les États membres de l'Union européenne se sont accordés sur la mise en œuvre d'une stratégie visant à lutter contre le terrorisme et pour avoir la meilleure protection possible pour les citoyens, tout en respectant les droits de l'Homme. Ces dernières années, les priorités ont été notamment les suivantes :• Définition des modalités de mise en œuvre par l'UE de la clause de solidarité, par décision du Conseil adoptée en juin 2014.• Révision du dispositif de coordination de l'UE dans les situations d'urgence et de crise, remplacé par le dispositif intégré de l'UE pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR) en juin 2013.• Réexamen de la législation de l'UE sur la protection civile fin 2013.

Échec de la réponse aux attentats dans les pays de la bande sahélienne

La recrudescence des attentats terroristes en Afrique a permis de relancer le débat en ce qui concerne la gestion post attentat. Le 19 janvier 2016, après l'attentat dans la ville de Ouagadougou au Burkina Faso, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en cause la gestion des événements par les services de protection civile. Ces derniers auraient en effet décidé de lancer l’assaut contre les assaillants plus de 4 h après la première attaque. Toutefois, les autorités sanitaires proposent des améliorations à la qualité de leurs prestations liées à ce type de circonstance. «Il s’agit entre autres de :• L’équipement et la formation des sapeurs-pompiers des différentes casernes du pays.• La mise en place d’un système préhospitalier, communément appelé SAMU (Service d’aide médicale d’urgence) qui par sa composante mobile (SMUR, Service mobile d’urgence et de réanimation) permet de commencer la prise en charge des personnes gravement atteintes sur place afin de leur donner toutes les chances d’arriver à l’hôpital.• La mise en place effective de plans de réaction à des catastrophes impliquant l’ensemble des acteurs avec des tests sur le terrain…Pour ne citer que ceux-là, affirment-ils !»(Le Bureau exécutif national du Syndicat des médecins du Burkina, SYMEB)Outre le cas du Burkina, que dirions-nous du mutisme des autorités camerounaises face à la multiplication des attaques de la secte islamique Boko Haram ou encore de la passivité des forces de l’ordre maliennes dont le recours aux forces étrangères (troupes françaises) est récurrent en cas d’attaques ? En témoignent encore les récentes attaques de Bamako, pour lesquelles il a fallu déplacer les forces spéciales françaises basées à Pau (à plus de 3.500 km de la capitale Bamako), ce qui laisse croire que sans leur intervention nous aurions peut-être eu droit à un bilan plus lourd que les attaques du 11 septembre.Plus d’une soixantaine d’années après les indépendances, le constat est des plus alarmants, au vu du recours à la puissance des pays européens, même pour les cas minimes de sécurité, ou de l’impuissance des forces de secours face à la catastrophe. Ainsi, la gestion de crise devrait être au cœur des préoccupations, tant sur le plan de la défense que des services sanitaires.

Bouchra Rahmouni BenhidaProfesseur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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