Fête du Trône 2006

«Les militaires empêchent la mise en place des mécanismes de démocratie en Algérie»

Dans cet entretien, le président du Centre marocain des études stratégique, Mohamed Benhammou, revient sur les idées clés de son livre intitulé «l’Algérie, crise du régime et illusion d’État». Publié récemment, cet ouvrage décortique la situation en Algérie, son système et la mainmise des militaires sur les rênes du pouvoir. Il explique également les raisons de l’incertitude qui annonce d’ores et déjà l’après-Bouteflika.

Mohamed Benhamou.

01 Mai 2017 À 16:21

Le Matin : Vous venez de publier deux ouvrages  : «L’Algérie : crise du régime et illusion d’État» et «Les Services de renseignement, quelles transformations après le 11 septembre ?» Pourriez-vous nous présenter le premier ouvrage consacré à l’Algérie ?Mohamed Benhammou : Ce travail entamé il y a trois années de cela se propose d’expliquer la situation en Algérie et les mécanismes de son système, ce qui s’y passe et l’avenir incertain qui l’attend. Car ce pays est actuellement dans une phase charnière qui suscite, selon des chercheurs, beaucoup d’incertitudes et d’interrogations. C’est une analyse académique basée sur une documentation algérienne, puisque l'ensemble de la bibliographie sur laquelle je me suis basé est composé d'ouvrages faits par des Algériens, publiés en Algérie et d'autres ouvrages faits par des spécialistes de ce pays. Mais c'est également un livre qui a mis à contribution la méthodologie historique pour mieux comprendre le présent et les différentes dynamiques et évolutions que ce pays a connues. Le livre pose deux questions essentielles. La première est relative à la désillusion de la mise en place d'un État. À travers l'Histoire, j'essaie de m'arrêter sur l'absence de la culture d'État dans ce pays. Après l'indépendance, un système est né. La difficulté a été, et est toujours, de créer un État avec une vision. La deuxième question que je pose est que ce régime a toujours traversé des crises. Il vit actuellement une crise profonde. Le carré de son commandement est fissuré et annonce la gestion difficile de l'après-Abdelaziz Boutaflika.

L’ouvrage évoque aussi la relation entre le pouvoir et l’argent et comment l’intérêt général a été sacrifié pour des intérêts personnels au point de parler de kleptocratie. Qu’est-ce qui étaye vos propos ?C'est la réalité algérienne, comme on peut le voir à travers l'analyse de ce système. On y relève comment les richesses du pays ont été détournées par une élite qui a gouverné et gouverne toujours. Il y a plusieurs affaires qui émergent et qui font la Une des journaux algériens et même à l'échelle internationale. Il y a aussi multiplication de scandales fracassants. Tout le monde sait comment l'argent du gaz et du pétrole est utilisé, son détournement et le rôle des généraux et comment le système se nourrit de cet argent. L’argent des Algériens sert à financer des acquisitions immobilières à Paris et ailleurs quand il n’est pas stocké dans des banques et dans les paradis fiscaux. D’ailleurs, une boutade qui circule beaucoup ces derniers temps en Algérie illustre parfaitement cette réalité amère : «Aljazair hiya dar khali Mouh ghir, koul ou rouh» (l'Algérie est comme la demeure de mon oncle Mouh, mange et part).

Les militaires jouent un rôle malsain dans cette situation. Selon vous, le régime militaire algérien représente-il une entrave au choix démocratique en Algérie ?Oui. C'est ce que j'essaye de démontrer. L'armée empêche la mise en place des mécanismes de démocratie. L'armée a spolié le pouvoir et l'État. Elle est très présente. À travers l'analyse que j'ai faite dans ce livre, j’explique cela à travers l’examen de la succession des présidents depuis son indépendance, depuis Benbella jusqu'à Bouteflika. J'évoque dans quel contexte chaque président est arrivé à la tête de l'État, quelles forces l'ont projeté dans cette position et quels étaient les équilibres à préserver pour se maintenir en place. Ainsi, cette analyse montre que l'armée a toujours été très présente dans la vie politique. D’ailleurs, l'une des principales problématiques non résolues dans ce pays c'est la relation entre le politique et le militaire. Certes, il y a eu le congrès Somam qui avait essayé de trancher cette relation entre le civil et le militaire, mais rien n'a été fait. Après le coup d'État de 1965 mené par Houari Boumédiène, l'armée est revenue avec force à tel point que ce sont les services de sécurité militaire qui font et défont les présidents, et leur influence sur la vie des Algériens n’est pas à démontrer. D’ailleurs dans mon livre, je reviens sur la naissance de cette armée qui était composée à la base des militants politiques qui se sont engagés dans les guerres de libération et qui en ont constitué le noyau central avec l'appui des militaires qui ont fui l'armée française.

Vous avez consacré le dernier chapitre, «L'Algérie avant la tempête», aux évolutions que connaît ce pays, notamment la préparation de la période post-Bouteflika. Comment voyez-vous cette perspective ?Le dernier chapitre est ainsi intitulé, car la période post-Bouteflika paraît être marquée par beaucoup d'incertitudes et beaucoup de craintes. D'abord, il sera difficile de gérer cette transition. Il y a un carré qui gouverne aujourd'hui, surtout le groupe des trois, à savoir le président Bouteflika et son clan composé de son frère Saïd, l'armée représentée par le général Gaid Saleh et les services de sécurité représentés par le général Taoufik. On sait qu'il y a un accord tacite entre les trois hommes. Mais il y a eu un coup fomenté contre le général Gaid Saleh par Bouteflika et le général Taoufik. Une fissure est ainsi apparue dans ce bloc qui avait été toujours homogène, même dans les périodes les plus difficiles. On voit aussi l'utilisation et l'instrumentalisation des conflits internes qui ont toujours été menés par une main de maître par l'armée ou par les services de sécurité. Mais aujourd'hui, la situation est de moins en moins gérable. On voit l'évolution de cette situation à Ghardaya, en Kabylie, dans le sud et dans plusieurs régions.

En parlant de voisinage, vous avez laissé entendre, lors de la présentation de votre livre, que vous étiez en train de finaliser la deuxième partie de cet ouvrage qui portera notamment sur les relations maroco-algériennes. Pouvez-vous nous en donner un avant-goût ?Dans ce premier ouvrage, il n'est nullement question du Maroc. Il est consacré essentiellement à l'Algérie. Il y a donc un deuxième ouvrage que je prépare et qui va traiter des relations entre le Maroc et ce pays. Dans ce travail, que je compte terminer à la fin de cette année, je focalise sur les relations conflictuelles et complexes entre les deux pays et leurs causes. Le fait que le régime algérien ait érigé le Maroc en tant qu'ennemi idéal justifie ce choix. Donc, dans ce deuxième ouvrage, je reviens sur ces relations entre les deux pays depuis l'indépendance du Maroc et avant l'indépendance de l'Algérie. Je parle de tout ce que le Maroc a payé comme prix pour soutenir la révolution algérienne. J'évoque l'indépendance de l'Algérie en passant par la problématique des frontières et la guerre des sables, le problème et l'histoire des frontières entre les deux pays. J'évoque aussi la question du Sahara marocain et la position de l'Algérie. Je parle d'une Algérie victime d'un rêve démesuré dont les conséquences sur l'ensemble des pays de la région ont été néfastes. La principale conséquence est la difficulté à mettre sur pied une intégration régionale. Ce qui prive le peuple algérien et maghrébin d'un avenir commun et d'un espace intégré. Je précise dans ces ouvrages qu'il s'agit des systèmes algériens et non pas du peuple algérien qui est la première victime du régime en place

.Entretien réalisé par Brahim Mokhliss

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