12 Avril 2017 À 20:09
Paru en février dernier, le livre «Où va le Monde ?» est écrit par deux auteurs qui n'ont pas la même conception du monde. En effet, tout au long des 180 pages, deux thèses sont confrontées. L’une souligne l'importance des relations géo-économiques, alors que l'autre défend plutôt une vision géopolitique de la mondialisation. Le premier auteur, Pascal Lamy, qui a été commissaire européen puis directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), prêche l'importance des relations géo-économiques. L'autre auteur, Nicole Gnesotto, professeure de la chaire sur l’Union européenne au Conservatoire national des arts et métiers à Paris, estime que c’est la géopolitique qui est plus déterminante.
Invité par OCP Policy Center et l’Institut français du Maroc, Pascal Lamy a présenté, lundi à Rabat, cet ouvrage. Il a expliqué, à cette occasion que l'idée était née en 2014, suite à la publication dans la revue «Esprit» d'un article sur la mondialisation par Nicole Gnesotto. Ne partageant pas l’analyse, un débat d'idées sur la question s’en est suivi avec l’auteure de l’article. Ainsi, chacun répondait par lettre à l’autre, un échange de lettres entre les deux spécialistes a permis ainsi de dégager un contenu riche qui a fini par atterrir chez un éditeur. C'est ainsi que le livre a pris la forme d’un dialogue entre deux thèses opposées. «On était d’accord sur une seule partie, après discussions, c'est la dernière partie du livre, intitulée l'Europe dans tout cela», souligne-t-il.Le livre écrit sous cette forme, l'actualité a donné une certaine consistance à cet exercice entrepris par les deux auteurs. Présentant le livre, M. Lamy a assuré que les derniers développements dans la vie internationale ont crédité sa thèse. Il a essayé d’expliquer le raisonnement ayant servi de base à sa thèse. Pour lui, la question était de savoir si l’interdépendance économique allait l’emporter sur les passions politiques. En citant, dans ce sens, le cas américain, il a ainsi montré que c’est la vision économique qui l’emportait. Il a soutenu la même chose en ce qui concerne les développements que vit l’Europe.
Étant au Maroc, pays africain par excellence, Pascal Lamy s’est prêté à l’exercice de vérifier la validité de sa thèse et celle de son co-auteure en ce qui concerne l’Afrique. «Est-ce que dans l’Afrique ce sont les forces de la géo-économie qui vont lui permettre de croître de manière à étaler correctement sa pression démographique ? Ou est-ce que ce sont les forces qui existent, notamment celle du fondamentalisme religieux, qui l’emporteront ?» s’est-il demandé.
À ce sujet, il a souligné que Nicole Gnesotto a une position tranchée dans ce livre disant que l’Afrique était mal barrée. Mais lui, il parle d’un scénario qui implique une croissance d’à peu près 4 à 5% du revenu par tête d’ici à 2050. Dans ce contexte, il a livré un exemple concret où le politique dépend de l’économique, en citant le cas marocain. Selon lui, le Maroc présente un exemple de l’intégration réussie depuis 30 ans de la géopolitique et de la géo-économie. «C’est un exemple d’intégration régionale où il y a une constance de ligne, la géopolitique et la géo-économie marchent la main dans la main». Il a rappelé dans ce cadre que le Royaume a rejoint l’Union africaine. «Il n’y serait pas arrivé si l’économie marocaine n’avait pas donné des signes de performance et d’influence en Afrique. Le Maroc est ainsi à la frontière de l’émergence par rapport à d’autres pays africains. Je pense donc que le Maroc ne serait pas parvenu à ce succès diplomatique si l’économie marocaine, depuis un certain temps, n’avait pas donné des signaux d’une certaine performance», soutient-il.
Évoquant le pays voisin, l’Algérie, il l’a présenté comme un contre-exemple. «Aussi longtemps que l’économie algérienne est ce qu’elle est, je ne vois pas comment elle pourrait augmenter l’influence et la puissance de ce pays. Et ce tant qu’elle reste otage des tensions internes. D'autant plus que les revenus énergétiques vont se rétrécir davantage dans les années qui viennent», a-t-il expliqué. Par ailleurs, il a fait une concession à Nicole en reconnaissant que c’est bien la géopolitique qui a cassé le rêve d’intégration maghrébine. «Si le Maroc demande son adhésion à la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et la Tunisie à une autre organisation, c’est la fin du rêve de l’Union du Maghreb arabe», déplore-t-il.