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«Les investissements au niveaux local, régional et national doivent être gérés de manière coordonnée»

L’investissement public s’est développé considérablement durant la dernière décennie. Face à cet effort colossal, la question de l’efficacité a tout lieu d’être posée, notamment dans le nouveau contexte de la régionalisation. Pour tirer le meilleur parti de la territorialisation des stratégies d’investissement, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) propose son conseil au gouvernement marocain.

Claire Charbit, responsable du dialogue avec les autorités locales et régionales à la direction de la gouvernance publique et du développement territorial de l’OCDE.

29 Mai 2017 À 22:58

Le Maroc a accru ses efforts en matière d’investissement public de manière significative ces dernières années. Entre 2000 et 2014, l’investissement a évolué, en moyenne, de 6,6% par an. Le taux d’investissement total, public et privé, a été de plus de 30% du PIB dans la dernière décennie. Ce qui place le Maroc parmi les pays au niveau mondial ayant les taux d’investissement les plus élevés. Mais la question qui se pose concerne la gouvernance et l’efficacité de l’investissement public. Pour en débattre, les services de la primature ont organisé, la semaine dernière, un atelier national de haut niveau sous le thème «Investissement public efficace : pour un développement territorial inclusif et durable au Maroc». Organisé en partenariat avec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), cet atelier avait pour objectif la préparation de l’adhésion du Maroc à la Recommandation de l’OCDE sur l’investissement public efficace. Il s’agit d’un des quatre axes autour desquels s’articule le dialogue Maroc-OCDE sur les politiques de développement territorial, «Dialogue territorial». Dans ce contexte, la régionalisation avancée a permis au Maroc de faire des progrès importants vers la territorialisation des stratégies d’investissement, qui ne sont plus conçues uniquement de manière sectorielle, mais de manière à mieux refléter les besoins des différents territoires, a souligné Dorothée Allain-Dupré, chef de l’unité décentralisation, finances locales et investissements publics à l’OCDE.

«On estime que l’investissement infranational – des villes et des régions – représente aujourd’hui environ un peu plus de 30% en 2015, un chiffre en hausse depuis ces dernières années (24% en 2013) – comparé à 59% dans les pays de l’OCDE. Cependant, ce chiffre devrait encore augmenter de manière sensible dans le cadre du processus de régionalisation. L’investissement représente déjà environ 40% des dépenses locales, par rapport à 11% dans l’OCDE. Au Maroc, les budgets des collectivités locales et régionales sont en grande partie orientés vers l’investissement, comme c’est le cas dans des pays comme la Nouvelle-Zélande ou la Hongrie», a-t-elle expliqué. Les participants ont souligné qu’il était donc essentiel de permettre un meilleur retour possible de cet effort d’investissement, tant au niveau central que local. Visant aussi à élaborer l’ébauche d’une feuille de route nationale pouvant inclure de nouvelles approches et outils pour améliorer la gouvernance et l’efficacité de l’investissement public, cet atelier a été l’occasion de partager les expériences de l’OCDE et des pays membres relatives aux bonnes pratiques de gouvernance, et ce notamment en matière de priorisation des investissements publics et leur adaptation aux territoires, de financement des investissements publics territoriaux et de coordination de ces investissements entre secteurs et niveaux de gouvernement pour renforcer leur efficacité.

Les participants ont posé des questions cruciales dans ce sens : comment améliorer la gouvernance de l’investissement au Maroc ? Quels sont les défis à relever en priorité ? Comment prioriser les choix d’investissements ? Comment renforcer les capacités des collectivités locales ? Les réponses apportées ont mis en avant la Recommandation de l’OCDE qui vise à soutenir les gouvernements, à tous les niveaux, pour mettre en œuvre une bonne gouvernance de l’investissement public. Il faut le souligner, cette recommandation n’est pas juridiquement contraignante, mais la pratique lui reconnaît une force morale importante dans la mesure où elle représente la volonté politique des pays membres. 


Entretien avec Claire Charbit

«Les investissements au niveaux local, régional et national doivent être gérés de manière coordonnée»

Le Matin : Quelle est l’importance de la Recommandation relative à l’efficacité de l’investissement public ?Claire Charbit : L'investissement public est très important. Car il est non seulement le levier de la croissance, mais aussi le levier de l'accès aux services publics pour un certain nombre de citoyens. C'est le levier des conditions dans lesquelles s'exerce l'économie du pays. Dans ces conditions, comment faire des investissements un levier efficace pour bénéficier le plus possible de la dépense qui engendre une dette ? On s'est aperçu qu'avec la régionalisation il y a aussi un rôle majeur du pouvoir régional et local dans cet investissement. Or il faut savoir qu’on ne peut pas gérer les investissements locaux, régionaux et nationaux d’une manière disjointe. Il faut que cet ensemble soit aligné selon des modalités de gouvernance qui permettent d’en tirer le meilleur parti et de suivre des objectifs communs. Donc on a une multitude d’acteurs, mais les deux principaux se trouvent au niveau du gouvernement, au niveau central et au niveau régional, et qui doivent coordonner leurs actions. On a, en plus, au Maroc des entités qui sont les établissements publics qui sont les bras armés, en quelque sorte, de l’État pour l’investissement public et qui sont les principaux acteurs de cet investissement. Aujourd’hui, il faut discuter des moyens selon lesquels ces différentes institutions s’organisent ensemble pour définir des priorités communes. Est-ce qu'il s’agit des priorités sectorielles ou, au contraire, vaut-il mieux avoir une approche fondée sur les régions et les territoires et leur besoin et voir comment elles peuvent être plus attractives pour l’investissement privé ? Il faut aussi s'intéresser à la façon dont ces différents acteurs coordonnent leurs efforts, par exemple entre une commune et sa périphérie ainsi que sa région, entre les différents niveaux du gouvernement. Est-ce que cela passe simplement par des transferts financiers ou est-ce que cela passe par des politiques et des objectifs précis, des contrats par exemple pour pouvoir lier entre les différentes problématiques d’investissement ? Et qui dit investissement, dit finances. On s’intéresse donc à la question de déterminer les leviers de financement, comment les partager, comment évaluer, avant l’investissement et après, les priorités et les impacts. Nous discutons de tous ces éléments dans le cadre de notre dernier atelier.

Justement, à quel stade se trouve le «Dialogue territorial» relevant du programme de coopération conclu entre le Maroc et l'OCDE ?Cette rencontre fait partie du dernier atelier dans le cadre de notre dialogue. On avait organisé plusieurs ateliers qui touchaient des problématiques urbaines et rurales à Taounate, à Berrechid... On en a fait aussi sur des problématiques qui touchaient à la métropolisation de Casablanca, on en a fait également sur les indicateurs territoriaux à Casablanca et à Rabat... Nous avons une multitude d'occasions pour incarner ce dialogue en mettant autour de la table non seulement les différentes parties prenantes au Maroc, mais aussi en faisant participer des experts de l’OCDE qui sont les acteurs de ces politiques-là dans leurs territoires. Par exemple dans cet atelier participe une experte du plan d’investissement dans les territoires en Colombie, un autre expert qui vient au nom du Commissariat général à l'égalité des territoires en France pour partager leurs expériences sur cet ensemble de sujet.

Il est attendu du Maroc qu'il adhère à la Recommandation de l’OCDE sur l’efficacité de l’investissement public. Où en est-on par rapport à ce projet ?La question de l'adhésion est simple. Il suffit qu’il y ait une volonté qui s’exprime par le gouvernement marocain disant qu’il considère que cette recommandation est pertinente et que le Royaume la soutient et s’engage donc, en quelque sorte, à en faire un objectif à réaliser. Ce n’est pas une recommandation contraignante. Cela ne va pas changer les lois ou les règlements du Maroc. Elle place simplement le Maroc parmi l’ensemble des pays de l’OCDE et de ses partenaires considérant que cette recommandation est utile. Le Maroc est prêt. Mais il faut aussi que cela émane des autorités marocaines. Il faut ensuite que ça soit utile. Car on ne fait pas signer des recommandations qui ne servent pas. C’est-à-dire qu'il faut que sur la base de cette recommandation on puisse continuer le dialogue pour que les différentes parties prenantes comprennent et adhèrent à son adaptation au Maroc. Il s’agit d’une recommandation qui n’a de sens que si elle est adaptée aux problématiques et aux institutions marocaines. Dans ce cadre de la régionalisation, il nous semble qu’elle puisse être utile, notamment dans le dialogue entre les régions et l’État.

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