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Les psychiatres se mobilisent contre une loi «qui entrave l’accès au soin»

«À force de vouloir protéger les droits des patients, le législateur a élaboré un texte de loi inapplicable», déplore Hachem Tyal, psychiatre et membre du collectif des associations pour la santé mentale. Pour rectifier le tir, la communauté des médecins psychiatres entend se mobiliser pour que le texte soit amendé par les parlementaires.

La prise en charge des malades souffrant de troubles psychologiques demeure problématique.

26 Juillet 2017 À 19:55

Il y a quelques semaines, le projet de loi 71.13 relatif à la lutte contre les troubles mentaux et la protection des personnes atteintes a été présenté par le ministre de la Santé, El Hossein El Ouardi, devant la Commission des secteurs sociaux. Très attendu, ce texte de loi a surpris la communauté des médecins psychiatriques. Et pour cause, selon eux ses dispositions sont inapplicables et exposent les spécialistes de santé mentale à des sanctions pénales pour des actes dont ils ne sont pas forcément responsables. «À force de vouloir protéger les droits des patients, le législateur a élaboré un texte de loi inapplicable», commente d’emblée Hachem Tyal, psychiatre et membre du collectif des associations pour la santé mentale.

En effet, le projet de loi consacre son chapitre 2 au volet «des sanctions pénales», où toutes les peines prévues sont constituées par des amendes et/ou des peines d’emprisonnement. «Les procédures prévues dans le texte de loi sont très contraignantes et lourdes administrativement parlant, notamment en cas d’hospitalisation dite involontaire. Pis encore, tout acte de négligence ou omission de la part du médecin ou du directeur du centre hospitalier lui fait automatiquement encourir une peine d’emprisonnement», s’indigne M. Tyal. Une situation qui pourrait amener les médecins à éviter toute hospitalisation involontaire d’une personne atteinte de troubles mentaux, même si la demande provient d’un proche, de peur de s’exposer à des peines lourdes. Car poursuit le psychiatre «la loi ne fait pas la différence entre les maladies graves qui nécessitent une hospitalisation dite “d’office”, des troubles aigus qui ne requièrent qu’une hospitalisation d’une courte durée, comme une dépression, une prise de drogue, ou encore un état de folie passagère». C’est pour attirer l’attention sur cet état de fait et sensibiliser les députés à la situation des personnes souffrant de troubles mentaux et de leurs proches que le collectif des associations pour la santé mentale a élaboré un mémorandum pour la santé mentale. Le but est de «soumettre aux représentants du peuple ses propositions sur les principales questions à soulever au sujet de la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiques et de la protection de leurs droits, afin de modifier et d’élargir les dispositions dudit projet de loi», explique le collectif dans son mémorandum. Dans ce sens, des recommandations ont été émises visant à remédier à certains dysfonctionnements «dont souffrent des malades psychiques», que ce soit au niveau juridique, médical, social ou préventif.

Parmi les recommandations, le collectif propose que le traitement du malade soit mené par une équipe médicale pluridisciplinaire, tout en instaurant un suivi à distance. Il suggère aussi de prévoir un numéro vert pour les urgences psychiatriques, de former les usagers de la psychiatrie et leurs familles afin de réduire la fréquence des hospitalisations et des crises, de prévoir des mesures disciplinaires en cas de comportement inadéquat ou abusif du personnel médical, paramédical ou d’accueil.

En outre, les membres du collectif souhaitent créer dans chaque localité une structure mobile d’accompagnement des personnes en charge du malade, ainsi qu’une caisse de solidarité pour les personnes vulnérables en souffrance psychique. Sur le plan juridique, le collectif propose, entre autres, d’assimiler le handicap psychique aux autres handicaps, d'instaurer une nouvelle procédure de tutelle des malades souffrant de troubles psychiques en créant une commission de concertation et de décision qui veillera aux intérêts du malade sans que le processus soit lourd dans son application, ou encore offrir aux malades une égalité des chances au niveau du droit au travail en prenant en considération leur particularité.


Questions à Hachem Tyal, psychiatre et membre du collectif des associations pour la santé mentale

«Le problème de cette loi est qu’elle est inapplicable»

Les médecins ont-ils participé à l’élaboration de la loi 71-13 ?Nous avons participé à l’élaboration des amendements du projet de la loi 71-13. En juin 2015, les psychiatres ont été surpris d’apprendre l’existence d’un projet de loi sur la santé mentale et ont demandé au ministère de tutelle de participer à la réflexion sur ce projet. Sauf que ledit projet avait déjà été adopté en Conseil de gouvernement avant que les psychiatres ne donnent leur avis. Nous avons alors tenu une réunion avec le ministre de la Santé qui a eu le courage de dire qu’il regrettait cette situation et qu’il était prêt à défendre les amendements qu’on proposait. Donc pendant plus d’une année, nous nous sommes réunis au sein du collectif pour réfléchir sur les articles du projet, pour en faire une loi applicable.

Que reprochez-vous exactement au projet de loi 71-13 ?Le grand problème de cette loi est qu’elle est inapplicable. Présentée comme telle, elle représente une entrave à l’accès aux soins. Pourquoi ? Parce que l’élaboration du projet de loi est partie du principe que les patients sont des malades dangereux et les psychiatres représentent un danger pour leurs malades avec un grand risque d’hospitalisation sans consentement. Donc le but principal de cette loi est de protéger les malades, ce qui est en soi très louable, mais on a mis en place des protections insurmontables. Et en plus, le quart des articles du projet de loi sont des articles relatifs à des peines d’emprisonnement et des sanctions à l'encontre des médecins et des directeurs des centres hospitaliers, pour des fautes administratives.

Que sont devenus les amendements que vous avez proposés en tant que collectif ?Le ministère de tutelle a accepté pratiquement tous les amendements que nous avons proposés, sauf deux ou trois points sur lesquels il n’y a pas eu accord. Maintenant, notre souci est que tous les amendements soient acceptés au Parlement pour que la loi soit applicable. C’est pour cela que le nouveau collectif de psychiatres et pédopsychiatres du Maroc avec le collectif des parents et amis des personnes en souffrance psychique se sont mobilisés, en élaborant un mémorandum et en multipliant les actions auprès des députés, et ce afin que les amendements proposés soient pris en considération par les parlementaires. 

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