Emploi

La formation et le recrutement, nouveaux enjeux de la gestion RH

La transformation digitale, les changements économiques, l’arrivée de la génération Z sur le marché du travail… Autant de facteurs qui bouleverseront en profondeur la fonction RH aussi bien au Maroc qu’ailleurs. Selon les consultants RH contactés par «Éco-Emploi», la formation, le recrutement, l’accompagnement et le développement personnel des collaborateurs continueront à être au cœur des préoccupations des managers RH au Maroc pour les années à venir.

Ph. Fotolia

04 Mars 2018 À 14:37

Considérée comme fonction stratégique, la direction des ressources humaines de chaque entreprise doit constamment revoir ses priorités et les faire adapter aux différents enjeux : économiques, sociaux, voire psychosociaux. Une enquête sur les solutions de gestion du capital humain, menée récemment dans huit pays européens auprès de 2.022 décideurs et personnes influentes, a confirmé que les priorités RH vont changer dans le futur proche. Il en ressort que la formation et le développement seront à la tête des priorités RH dans le futur, suivi par le recrutement. C’est dire que les experts RH européens se rendent de plus en plus compte qu’une offre de formation et de développement est nécessaire pour fidéliser le capital humain et permettre à l’entreprise d’atteindre ses objectifs. Qu’en est-il pour le Maroc ? La question trouve toute sa légitimité dans la mesure où le Maroc s’inscrit dans une ouverture sur le marché international qui le contraint à être compétitif, attrayant et aligné aux tendances. «Éco-Emploi» a posé la question à un certain nombre d’experts et consultants RH. Ils ont confirmé, entre autres, que la formation et le recrutement seront des priorités RH au Maroc.r>Selon Karima Rihani, psychosociologue et coach de performance en entreprise, les managers RH ont compris qu’ils ont tout à gagner à mettre en avant la formation. «Le marché est dans une concurrence permanente d’où l’importance de former les salariés, leur faire gagner en compétences et surtout maintenir leur motivation», explique Karima Rihani. La formation permettra, selon l’intervenante, d’avoir un capital humain capable d’accompagner le développement stratégique de l’entreprise. Même constat dressé par Imane Hadouche, coach certifiée, consultante RH et formatrice. L’intervenante confirme que la formation constitue un axe vital permettant d’assurer le côté opérationnel des équipes. «Nos jeunes sortent des instituts et écoles avec un savoir technique, un bon savoir “théorique”, quelques stages opérationnels, mais avec peu de pratique, et manquent cruellement de formation opérationnelle et pratique», regrette l’intervenante. Et d’ajouter : «Notre système éducatif est malheureusement en décalage avec la réalité du marché de l’emploi au Maroc, et se trouve loin des exigences mondiales. L’entreprise se trouve alors, dans l’obligation d’assurer un supplément de formation» , clarifie Imane Hadouche. C’est donc par le biais de la formation que l’entreprise marocaine assurera, entre autres, une mise à niveau de ses ressources humaines et un rendement compétitif. «Et il ne s’agit même pas d’un choix optionnel, c’est vital pour toute entreprise. Cette priorité concerne les employés actifs et déjà en poste», tient à souligner Imane Hadouche.

Pour Hassan Charraf, vice-président du Centre international pour le développement et la coopération, les nouvelles priorités RH de chaque entreprise dépendront, entre autres, de la maturité desdites fonctions, des secteurs concernés par les différents changements, mais aussi des situations économiques dans lesquelles opèrent les entreprises. L’expert souligne qu’avec l’avènement du digital, la formation figurera sans doute à la tête des priorités RH. «La transformation digitale impose aux entreprises de nouveaux défis et le seul moyen de les relever c’est d’opter pour la formation», souligne Hassan Charraf. Et d’ajouter : «De nouveaux métiers du digital ont fait leur apparition tel que le community management, le développement web et le trafic management. Ces métiers qui ont le vent en poupe et qui doivent exister au sein de toute entreprise souhaitant assurer sa performance et sa compétitivité», souligne l’intervenant. Certes, le recrutement de nouveaux profils permettra de relever ce défi de la transformation digitale, mais il ne faut surtout pas oublier que la formation aura aussi un rôle important. D’ailleurs, «la formation permettra à l’entreprise d’accompagner ses propres collaborateurs et les aider à développer les nouvelles compétences exigées par la transformation digitale», fait savoir Hassan Charraf. L’enjeu d’une formation serait, entre autres, d’adapter les compétences des salariés aux nouvelles exigences du marché de l’emploi et surtout les stabiliser.

Le recrutement et la fidélisation, toujours un casse-têter>S’il y a une chose sur laquelle l’ensemble des consultants sondés sont d’accord, c’est l’importance pour les managers RH de continuer à innover dans les pratiques de recrutement. «Les dirigeants marocains peinent à avoir une personne opérationnelle correspondant à leurs besoins vu que le système produit encore des diplômés “déconnectés” de la réalité du marché», souligne Meryem Benslimane, consultante en développement des compétences et en ressources humaines. D’ailleurs, le marché de l’emploi, tel qu’il se présente aujourd’hui est loin d’être le lieu de rencontre entre l’offre et la demande en termes de compétences. «Nous avons encore des pratiques spécifiques, typiques et qui font que nous nous éloignons des principes de “la méritocratie” et de “l’égalité des chances”», souligne Imane Hadouche. Le piston, la discrimination liée au genre, les grilles de recrutement basées sur les anciens paradigmes sont, entre autres, des pratiques qui persistent encore et qui nous éloignent davantage du concept anglo-saxon «the right man at the right place». Il convient de souligner à ce niveau-là que ces pratiques doivent être bannies absolument et remplacées par d’autres pratiques valorisant les compétences et les talents. Ce n’est plus un choix, c’est une obligation d’autant plus que les profils qui vont intégrer le marché de l’emploi dans le futur appartiendront à la génération Z, encore plus exigeante. «Les jeunes appartenant à la génération Z sont les premiers digital natives et leurs attentes sont très spécifiques», souligne Hassan Charraf. Et d’expliquer que ces jeunes sont à la recherche, entre autres, d’un environnement où ils peuvent développer leur créativité et leur esprit d’innovation dans la transparence et la liberté d’action. «Les managers RH doivent donc revoir leur marque employeur et sortir des schémas classiques des offres d’emploi en mettant en avant des messages de créativité, de défis et de challenges à relever afin d’attirer les bons profils», suggère Hassan Charraf. Le défi aussi pour les managers RH serait de fidéliser ces profils qui, par nature, sont motivés pour le changement. Sur ce volet, Karima Rihani indique que fidéliser les collaborateurs passe par l’écoute de leurs besoins, surtout en termes de formation. «Un plan de formation doit être mené annuellement prenant en compte les besoins exacts des jeunes et répondant à leur souhait d’amélioration. L’humain est la clef de longévité d’une entreprise, il est nécessaire de le former !» souligne Karima Rihani.  

Autre future priorité RH et non des moindres : Le bien-être et le développement personnel des employés. Le bien-être des salariés constitue désormais le socle permettant à l’entreprise de gagner en performance et en efficacité. Plusieurs études ont démontré que le bien-être est facteur clé de succès et de compétitivité au travail. D’ailleurs, on a découvert qu’un «cerveau en mode positif est 31% plus performant qu’en mode neutre ou stressé». C’est dire, en d’autres termes, que pour améliorer la productivité, les managers RH doivent vérifier les facteurs impactant le niveau du bien-être au travail. Mais quels sont alors ces facteurs ? La première étude nationale sur le bien-être au travail, dont les résultats ont été publiés en 2017 par l’Observatoire marocain du bonheur, identifie 12 facteurs. Dans l’ordre : la quête de sens, la maîtrise des tâches, l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle, la rémunération et les gratifications, le niveau d'autonomie et de responsabilité, l'ouverture sur l'extérieur, la sécurité et la salubrité de l'environnement de travail, le support de la hiérarchie et l'entraide des pairs, la transparence et la pérennité organisationnelle, possibilité d'avancement et l'expression de son potentiel créatif, la moindre difficulté physique des tâches à accomplir et enfin l'ambiance de travail. r>Certes, on ne peut pas assurer tous ces facteurs-là, mais il faut tout de même veiller à diversifier les initiatives RH, de façon à permettre aux collaborateurs de développer le sentiment d’appartenance, nécessaire pour améliorer leur rendement. Soulignons, en guise de conclusion, qu’à l’ère de la transformation digitale, le capital humain demeure le facteur clé de compétitivité et de performance, encore faut-il le satisfaire. Le travail d’accompagnement doit être mené sur deux pôles, aussi bien professionnel à travers la formation, que personnel avec des initiatives favorisant le bien-être, voire le bonheur de chacun. 


Entretien avec Imane Hadouche, consultante RH, coach et formatrice

«Les changements de priorités permettront aux métiers RH d’investir complètement leur rôle initial et de se réapproprier leur vraie mission»

Éco-Emploi : Comment les priorités RH évoluent-elles au Maroc ?r>Imane Hadouche : Il est clair que le domaine des RH accompagne l’évolution sociale, économique, culturelle, et humaine que connaît le pays. Puisqu’il s’agit avant tout de «l’humain», dans sa complexité, dans son évolution, et surtout dans son environnement contextuel. Les priorités RH évoluent et s’adaptent aux changements, en palliant les besoins et manques, avec le challenge de répondre aux exigences du marché de l’emploi, aux exigences de la compétitivité locale et globale, tout en composant avec la loi de la réalité.

Une enquête menée récemment indique que la formation sera à la tête des préoccupations RH en Europe dans un proche avenir, suivie par le recrutement. Est-ce le cas pour le Maroc ?r>Le Maroc n’échappe pas à cette règle et il est vrai que la priorité dans les années à venir s’articulerait autour des axes : la formation, le recrutement et l'accompagnement. D’abord parce qu’il est inscrit dans une ouverture sur le marché international, qui le contraint à être compétitif, attrayant, et aligné aux tendances. Mais aussi parce que les besoins au niveau local, purement marocain, révèlent ces mêmes priorités, pour des raisons contextuelles, liées à l’environnement marocain. 

En tant que consultante RH, quelles seront les priorités des DRH au Maroc dans les années à venir ? r>Je confirme les 2 axes précités : formation et recrutement, comme priorités absolues, en y ajoutant l’accompagnement comme troisième axe. La formation, en premier, parce qu’elle est vitale pour assurer le côté «opérationnel» des équipes. Nos jeunes sortent des instituts et écoles, avec un bon savoir «théorique», quelques stages opérationnels avec peu de pratique, et manquent cruellement de formation opérationnelle et pratique. Notre système éducatif est malheureusement en décalage avec la réalité du marché de l’emploi au Maroc, et se trouve loin des exigences mondiales. L’entreprise se trouve alors, dans l’obligation d’assurer un supplément de formation, pour compléter la formation initiale, et remédier aux lacunes de notre enseignement, afin d’assurer la mise à niveau de ses ressources humaines, mais aussi pour assurer un rendement compétitif au niveau local, régional, et international. Et il ne s’agit même pas d’un choix optionnel, c’est vital pour toute entreprise. Cette priorité concerne les employés actifs et déjà en poste : une sorte de «réparation» de ce qui est déjà. Ensuite le recrutement. Puisqu’à ce niveau-là aussi, nous avons des pratiques spécifiques, typiques, et qui font que nous nous éloignons des principes de «la méritocratie» de «l’égalité des chances» et «la bonne personne au bon poste». Parmi ces pratiques liées à notre culture : le piston, l’exclusion sur la base de l’appartenance familiale ou sociale, les lacunes dans l’approche genre et les inégalités liées au genre, les grilles de recrutement basées sur les anciens paradigmes… des pratiques qui nuisent aux bonnes décisions et aux bons choix en matière de recrutement, ce qui se ressent cruellement dans le rendement, l’efficacité, la gestion des équipes, la compétitivité et attractivité globales… cette priorité concerne les futures recrues : il s’agit ici de prévention et d’ajustement de politique RH aux besoins. Au final, l’accompagnement est aussi une priorité, surtout qu’il s’agit de «gestion de changement», qui suscite toujours des résistances. Il s’agit aussi de «changement de paradigmes», liés à la culture, à l’environnement, et souvent aux croyances inculquées dans notre éducation. Cette dernière priorité concerne l’ensemble des entreprises et des postes, et vise à faire tomber les résistances, à mieux gérer les transitions, mais aussi à fixer les bons objectifs et les bons plans d’action. 

Qu’en est-il pour les PME ?r>Les PME restent des entreprises avec les mêmes tâches managériales, sauf que ces rôles incombent à une seule personne : le gérant. Je ne pense pas que les priorités soient différentes puisqu’une PME fait partie du même écosystème, et doit s’aligner pour survivre et offrir un produit ou un service satisfaisant le marché. Dernièrement, les PME nous ont prouvé leur capacité à s’adapter, quand beaucoup de gérants ont commencé à se former depuis que les déclarations en douane ou de TVA sont devenues obligatoirement électroniques. Sans compter que les PME sont plus aptes à penser «job satisfaction» et «bien-être» au travail, puisque le patron et les Managers sont une seule et même personne.

Peut-on affirmer que les dirigeants s’intéresseront au développement personnel au même titre que le poste et la carrière ?r>Les deux notions sont intimement liées et totalement inséparables, il s’agit même de causalité. Le développement professionnel et l’évolution de carrière requièrent un savoir-être basé sur le développement personnel. Mais bien évidemment, aucun développement personnel ni aucune compétence personnelle ne peuvent remédier au manque d’expertise technique et savoir-faire professionnels. Le développement personnel se conclut en développement de carrière, et l’inverse est vrai aussi. Les gens et les entreprises qui réussissent et qui évoluent travaillent sur les deux pôles de développement : personnel (humain) et professionnel (technique). 

Quels seront les impacts de ces changements de priorités sur les métiers RH ?r>Je reste dans le contexte local et je dirai que les changements de priorités permettront aux métiers RH d’investir complètement leur rôle initial, de se réapproprier leur vraie «mission» et retrouver toute la noblesse du métier, avec au centre ce qu’une entreprise ou un pays ont de plus précieux : l’Humain. Cela permettrait aussi de revoir l’importance accordée aux métiers et politiques RH dans nos entreprises. Puisque les dirigeants focalisent sur les politiques de ventes et sur le capital financier, en oubliant qu’à l’origine de la création des richesses, des opportunités commerciales et économiques, de la création et du développement, il y a un seul capital : le capital humain. D’ailleurs, on ne parle plus de «ressources humaines» dans certains pays, on parle de «people and culture» et de «capital humain».

Comment préparer dès maintenant cette transformation ?r>Je reviens à la nécessité de l’accompagnement au changement. Tout changement devrait être précédé par un accompagnement adéquat, qui permettra de faire tomber les résistances, d’unifier les visions, et de se libérer des anciens paradigmes, tout en fixant des objectifs clairs et un plan d’action concret, avec une politique RH efficace. 

Copyright Groupe le Matin © 2025