09 Mai 2018 À 19:08
Depuis que la lutte contre le communisme a muté en guerre globale contre le terrorisme, les différents pays traquent et essayent de neutraliser le nerf de la guerre contre la terreur, en asséchant son financement. Or, depuis les attentats du 11 septembre 2011, alors qu’on devait s’attendre à un tarissement de cette manne sous l’effet d’une plus grande conscience du danger et d’une plus importante collaboration internationale, c’est le contraire qui se produit. Comment ? Et pourquoi ?
Le nerf de la guerrer>Il ne peut y avoir de terrorisme sans financement, comme il ne peut y avoir de financement sans marché assurant l’intermédiation entre ceux qui ont des capitaux pour servir l’idéologie justifiant la violence et ceux qui en ont besoin pour installer et diffuser cette idéologie par la force et la violence. C’est la raison pour laquelle, l’assèchement des sources de financement du terrorisme est l’une des méthodes les plus efficaces pour freiner son expansion, au même titre que les opérations militaires, les renseignements, l’encadrement religieux et l’élaboration des lois. Dans cette configuration, les flux financiers illicites deviennent l’instrument et la finalité de la guerre contre le terrorisme. En effet, dès le début de la guerre globale contre le terrorisme suite aux attentats du 11 septembre 2001, le contrôle des sources de financement du terrorisme figure en position assez avancée dans l’agenda en la matière.
Importance du phénomèner>En dépit des efforts de la communauté internationale pour les juguler, les flux financiers illicites ont connu un développement soutenu depuis le début de la guerre contre le terrorisme. Ils sont passés de 297,4 milliards de dollars en 2003 à 991,2 milliards de dollars à 2012, soit un taux de croissance annuel moyen de 14,3%. SI l’essentiel de ces flux financiers illicites correspond à de «la sous-facturation» dans les opérations de commerce international (77,5% de ces flux entre 2003 et 2012), les activités dites «illicit hot money» ont connu une forte croissance passant de 13% des flux en 2003 à 26% 2012. Cette progression tient à l’innovation dans les méthodes de blanchiment de l’argent sale. Le terrorisme profite pleinement du développement des nouvelles technologies de l’information pour infiltrer le système financier international dont il exploite les moindres failles. Nous avons ainsi assisté ces dernières années à une sophistication des montages, dont les virements électroniques, les cascades de personnes morales, les sociétés fictives ou off-shore et les paradis fiscaux dont certains dans les pays directement victimes du terrorisme. Cette ingénierie financière de la terreur recourt à des cadres expérimentés et à un conseil de haut niveau. Le tout rendu aisé dans un contexte de globalisation financière où la suppression des barrières entre les compartiments de la finance, le recours de plus en plus facilement aux marchés financiers au lieu des intermédiaires classiques (établissements de crédit et assurances) et la déréglementation des flux financiers rend la traçabilité et le contrôle de cette manne, un exercice d’une extrême complexité.r>L’analyse du financement du terrorisme doit distinguer deux groupes en termes d’origine des fonds, en utilisant l’«organisation» de ces groupes comme prisme d’analyse.
Mouvements déterritorialisésr>Ces mouvements peuvent être qualifiés de nébuleuses dont l’exemple le plus connu est celui d’Al-Qaïda. Ils fonctionnent autour d’un noyau dur fortement idéologisé. Ce noyau dur exprime une «proximité cognitive, idéologique et organisationnelle», mais pas forcément une proximité «géographique» puisque ses membres peuvent se trouver à des endroits différents. Les fonds ainsi collectés par ces organisations servent au financement d’opérations ponctuelles, de faible valeur financière et à fort impact médiatique. Leurs ressources ne peuvent donc provenir que d’activité «mobiles» et «transterritoriales». Cela inclut les opérations de contrebande (principalement le narcotrafic et la vente d’armes) et la prise massive d’otages.
Mouvements centrésr>Il s’agit de groupes occupant un pays (Talibans entre 1996 et 2003) ou un territoire à l’intérieur d’un pays, dont ils réclament l’indépendance en totalité ou en partie (ETA en Espagne, FARC en Colombie, PKK en Turquie, Polisario, et plus récemment Daesh). Leurs ressources peuvent provenir des mêmes activités que les groupes déterritorialisés. Toutefois, une partie de leurs ressources financières proviennent d’activités proches de celles d’un État. Ils mènent souvent des opérations de guérilla, voire de guerre et doivent donc entretenir des combattants. Les principales sources de financement des groupes territorialisés, outre le financement commun avec les groupes déterritorialisés, proviennent principalement d’aides étrangères, de trafic de produits licites fabriqués à l’intérieur des territoires qu’ils contrôlent et de l’imposition des populations qu’ils gouvernent.
Mouvements cellulairesr>Il s’agit souvent de cellules ayant une proximité idéologique avec une organisation mère (de type Al-Qaïda ou Daesh) à laquelle elles ont le plus souvent prêté allégeance. Leur première source de financement peut être qualifiée de micro. Elle réside dans les liens qu’entreprennent les organisations terroristes avec le crime organisé, sous forme de trafics de tous genres. Elle est davantage logistique. Elle est anarchique, métastasique et polymorphe. De la contrebande (cigarettes, produits alimentaires, électronique…), au trafic de narcotiques, à la traite humaine (esclavage moderne) et aux rançons récupérées des enlèvements, aux actes de piraterie et au commerce d’armes. La petite délinquance sous toutes ses formes (vol, raquette, fausse monnaie, usurpation de cartes de crédit, cybercriminalité financière…) alimente également ce réseau. Cette première source finance souvent de petits actes perpétrés par ces groupuscules.r>Aujourd’hui non seulement les financements, alimentant la machine infernale, augmentent en valeur, mais se diversifient en typologie, déterminant ainsi la nature même des opérations terroristes. En jeu, l’incroyable ingéniosité des montages financiers et l’apparition de ce que nous qualifions d’ingénierie financière de la terreur.