Économie

Projet de loi de Finances 2020 : «Des dispositions pourraient affecter l’acte d’investir»

Le PLF 2020, qui intervient au lendemain des Assises de la fiscalité, dans un contexte économique jugé morose, prévoit plusieurs mesures censées promouvoir l’investissement et accélérer le développement des industries pour rattraper le retard de croissance. Pour Hicham Mouchir, des dispositions «incohérentes» pourraient affecter la décision d’investissement plus particulièrement chez les sociétés exportatrices et celles ayant le statut CFC. En outre, le PLF 2020 ne contient aucune mesure «complète» pour améliorer le pouvoir d’achat. La tant attendue réforme de l’IR ne verrait le jour qu’en 2021.

Hicham Mouchir : «De manière globale et hormis les quelques incohérences à corriger, le PLF 2020 prévoit des mesures courageuses en matière d’IS et d’IR, en direction des entreprises».

23 Octobre 2019 À 18:14

Le Matin-Éco : L’une des recommandations phares des dernières Assises sur la fiscalité est le rétablissement de la confiance avec les contribuables. Le PLF 2020 répond-il à cet objectif ?

Hicham Mouchir : Cet objectif est essentiel dans la normalisation des relations entre l’administration fiscale et les contribuables et le renforcement du sentiment d’adhésion à l’impôt. 

À ce titre, le PLF 2020 décrète un certain nombre de mesures d’amnistie visant à permettre aux contribuables de régulariser leur situation fiscale sans devoir payer des majorations ou des pénalités de retard, tout en permettant à l’État d’engranger des recettes supplémentaires. Il s’agit notamment de la possibilité prévue pour les entreprises de faire des déclarations rectificatives pour régulariser les irrégularités constatées au niveau de l’IS, l’IR ou la TVA, au titre des exercices 2016, 2017 et 2018 et de payer les droits complémentaires en bénéficiant de l’annulation d’office des majorations, amendes et pénalités prévues par le CGI et de la dispense du contrôle fiscal pour chacun de ces exercices. Mais à condition de justifier les comptes rectifiés par une note explicative établie par un expert-comptable.

Il s’agit également de la régularisation de la situation des titulaires de revenus fonciers -personnes physiques- n’ayant pas souscrit leur déclaration annuelle du revenu global afférente à ces revenus, au titre des années antérieures non prescrites. À titre transitoire, ils peuvent bénéficier de la dispense du paiement de l’impôt sur le revenu au titre des revenus fonciers et de l’annulation d’office des majorations, amendes et pénalités prévues par le CGI, sous réserve de déposer avant le 1er juillet 2020, la déclaration de leur revenu et de payer spontanément, en même temps, une contribution égale à 10% du montant brut des revenus fonciers se rapportant à l’année 2018.

En outre, les personnes physiques résidant au Maroc et ayant des avoirs liquides détenus, sous forme de billets de banque, provenant de revenus ou de profits non déclarés et se trouvant en situation irrégulière vis-à-vis des obligations fiscales prévues par le CGI, pourront régulariser spontanément leur situation fiscale, sous réserve de s’acquitter d’une contribution au taux de 5% et de déposer ces fonds dans un compte bancaire. Cette disposition apportera une bouffée d’oxygène au secteur bancaire en manque de liquidités. En outre, à l’instar de l’action réalisée en 2014, les personnes physiques et morales ayant une résidence, un siège social ou un domicile fiscal au Maroc et qui ont commis des infractions à la réglementation des changes et à la législation fiscale, peuvent procéder à la régularisation spontanée au titre des avoirs et liquidités détenus à l’étranger. Ceci en payant une contribution libératoire -taux entre 2 et 10% en fonction de la nature de l’avoir- tout en bénéficiant de la non-application des sanctions relatives aux infractions de change ainsi qu’aux infractions fiscales, sous certaines conditions.

Par ailleurs, nous pensons qu’en plus de ces mesures importantes, un effort considérable doit être fourni pour encadrer le pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale de manière à réduire les litiges et les abus d’une part, et à renforcer le consentement volontaire à l’acte citoyen de payer ses impôts, d’autre part.

 

Le PLF 2020 prévoit de nouvelles mesures pour la promotion de l’investissement et l’accélération industrielle. Qu’en est-il au juste ?

Tout d’abord, il est important de noter que le PLF 2020 intervient au lendemain des dernières Assises de la fiscalité, dans un contexte économique qu’on peut qualifier de morose, d’autant plus que la prévision de croissance du PIB ne devrait pas dépasser 2,7% cette année, contre 3% enregistrés en 2018, selon le HCP.

Ainsi, parmi les objectifs exprimés dans la note de cadrage adressée par le Chef du gouvernement, c’est de promouvoir l’investissement et d’accélérer le développement des industries pour rattraper le retard accusé sur les dernières années en termes de croissance. À ce titre, le PLF 2020 prévoit plusieurs mesures. Des avantages fiscaux seront accordés aux zones d’accélération industrielle, notamment l’exonération pendant 5 ans avec application du taux réduit de 15% au-delà de cette période. Pour les sociétés exerçant une activité industrielle, qui réalisent un bénéfice avant impôt, inférieur à 100 millions de DH, le taux d’IS de 31% est ramené à 28%. Bien entendu, ces mesures doivent s’accompagner d’un ensemble de mécanismes de facilitation de l’acte d’investir : formalités, procédures, autorisations, disponibilité du foncier, accompagnement et assistance, etc.

Toutefois, nous avons constaté l’existence de dispositions incohérentes qui pourraient affecter négativement la décision d’investissement plus particulièrement au niveau des sociétés exportatrices et des sociétés ayant le statut CFC.

 

Lesquelles ?

On note, par exemple, la suppression de l’exonération de 5 ans pour les exportateurs qui réalisent la première opération d’exportation postérieurement au 1er janvier 2020. S’ajoute l’augmentation du taux d’IS pour les entreprises installées à Casablanca Finance City (CFC), de 8,75% à 15% après la période d’exonération de 5 ans.

 

Qu’en est-il des mesures pour l’amélioration du pouvoir d’achat et la politique sociale ?

À ce niveau, le PLF 2020 ne contient à notre avis aucune mesure complète censée contribuer à l’amélioration du pouvoir d’achat, à l’exception de l’exonération des vaccins de la TVA à l’intérieur et à l’importation.

La réforme de l’IR, tant attendue, en réaménageant les tranches d’imposition n’a pas finalement eu lieu. D’après certaines sources, cela devrait voir le jour à partir de 2021.

 

Outre ces mesures que vous avez citées, que faut-il retenir globalement du PLF 2020 sur le plan de l’IS, de l’IR et de la TVA ?

De manière globale et hormis les quelques incohérences à corriger, le PLF 2020 prévoit des mesures courageuses en matière d’IS et d’IR, en direction des entreprises. À mon avis, le PLF 2020 annonce les prémices d’un cadre fiscal orienté vers l’exécution des engagements pris suite aux dernières Assises fiscales. 

Cela étant dit, il est important que toute réforme fiscale envisagée soit orientée vers les objectifs assignés au nouveau modèle de développement tant attendu. La fiscalité étant un outil parmi d’autres, il est important qu’elle soit au service du développement économique et social du pays. Néanmoins, le projet s’est montré plutôt timide quant à l’IR sur les salaires et la TVA dont l’essentiel des mesures concerne l’harmonisation des taux ou des traitements. Le pouvoir d’achat continue ainsi son recul dans un contexte difficile. 

 Enfin, il faut signaler l’introduction de l’obligation de déclaration de la répartition mondiale des bénéfices des groupes de sociétés multinationales, dite «déclaration pays par pays» et de la sanction pour défaut de production, et ce, conformément aux règles en vigueur à l’international. 

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