10 Février 2019 À 14:12
La reconnaissance est beaucoup plus qu'un simple mot. Ce serait un levier puissant de motivation et d’amélioration de productivité, à en croire plusieurs études qui attestent que les enjeux de ce besoin ne sont pas uniquement économiques et organisationnels, mais aussi humains. Pourtant, rares sont les entreprises qui saisissent cette réalité. Une étude du cabinet Deloitte sur la qualité de vie au travail, réalisée en 2015, citée par Farid Yandouz, expert Change & Transformation, dans son entretien accordé au «Matin-éco», confirme que «La reconnaissance du travail est considérée comme premier facteur d’influence de la qualité de vie au travail. Cependant, 7 salariés sur 10 déclarent ne pas se sentir reconnus à leur juste valeur».r>Par ailleurs, une récente étude du cabinet de consulting Trusted Advisors s’est penchée, à son tour, sur les facteurs clés des départs des cadres. Outre le salaire, le «manque de reconnaissance par rapport aux réalisations de ces derniers» figure également parmi les éléments déclencheurs de turn-over. Ce qui signifie que la non-valorisation du travail et des résultats atteints quand elle fait défaut coûte cher aux entreprises qui perdront des compétences et des talents.r>Aujourd’hui, passer à côté de ce besoin capital ne fonctionne plus, particulièrement avec la jeune génération qui aspire à être considérée et valorisée à la fin de chaque projet réussi. Contrairement aux idées reçues, en comparaison avec la génération Y, la Z n’est pas moins fidèle, mais elle manifeste en permanence ce besoin d’être considérée à sa juste valeur. Il va sans dire que l’heure est au management de la confiance et r>de la reconnaissance.r>«Il faut admettre que le poids du contexte organisationnel conditionne la performance des individus, des équipes et des managers qui les gèrent. L’environnement organisationnel et les postures des managers sont incontournables pour avoir des collaborateurs capables de donner le meilleur d’eux-mêmes, tout en ayant la capacité de se détacher du conditionnement de tous les jours et créer des environnements pro-innovation», avait souligné M. Yandouz.r>Cependant, il n’y a pas de recettes miracles pour motiver et reconnaître le travail d’un individu ou d’une équipe. Cela passe par de simples gestes allant des témoignages de gratitude et de considération en passant par des feedbacks constructifs.r>Des témoignages recueillis mettent en évidence le caractère essentiel de la reconnaissance en milieu de travail. Ce besoin est devenu une revendication unanime chez la totalité des collaborateurs, tous secteurs confondus. r>«Tout collaborateur qui s’investit à fond dans l’accomplissement de sa mission s’attend à être récompensé et à voir ses efforts reconnus par le management. Personnellement, la reconnaissance me procure une grande satisfaction et m’encourage à toujours mieux faire. Ce qui est sûr, c’est que le manque de reconnaissance décourage le collaborateur et le pousse au moins à une baisse de régime quand il ne le contraint pas à quitter carrément l’entreprise», témoigne un cadre au sein d’une entreprise de la place.
Un autre témoignage fort fut celui d’une jeune salariée qui considère la reconnaissance comme le moteur de sa motivation : «Durant ma carrière, j’ai travaillé avec deux types de managers : le premier ne valorisait pas les résultats et les efforts de ses collaborateurs alors que le second ne manquait pas de les féliciter et de les encourager. Au début de ma carrière, je fournissais beaucoup d’efforts, mais sans avoir de considération. Après quelque temps, j’ai commencé à perdre confiance au point frôler la déprime. Heureusement, j’ai intégré un autre service chapeauté par un autre manager qui sait mettre en avant et valoriser les efforts de son équipe. Son style de management est basé beaucoup plus sur la proximité, l’écoute active et l’empathie. C’est avec lui que j’ai pris pleinement conscience de mon potentiel. C’est sa façon de faire qui me pousse à donner le meilleur de moi-même et d’aller au-delà des objectifs qu’on me fixe».r>Même son de cloche chez une commerciale qui avance qu’«avec un peu de respect et de reconnaissance, je peux redoubler d'efforts et faire de mon mieux pour ne pas décevoir la confiance de mon manager. Je tiens aussi à préciser qu’il faut reconnaitre aussi bien les résultats que les efforts déployés par un collaborateur».
Managers, évitez les dégâts !r>«En tout cas, reconnaître les réalisations des collaborateurs est un exercice qui ne permet pas l’improvisation, et ce, quelle que soit la complexité de la situation. Il ne faut surtout pas attendre que le contexte nous pousse à reconnaître une contribution pour le faire d’une manière précipitée. Ceci peut non seulement avoir des effets négatifs (ou au mieux éphémères) sur les collaborateurs concernés, mais il peut aussi provoquer des dégâts collatéraux sur leurs coéquipiers», met en garde M. Yandouz.r>Et de préciser que «Certains managers utilisent la reconnaissance d’une façon très tactique quand ils en ont besoin alors qu’il ne s’agit pas d’une carotte pour atténuer la soif des collaborateurs d’avoir des compliments. Cette utilisation tactique n’est que gâchis si le collaborateur n’arrive pas à la lier à un schéma plus important que le “niveau” compliment. En effet, le feedback devrait être perçu comme générateur de développement personnel et comme le pilier d’une mission qui a du sens pour le collaborateur. À ce niveau, nous venons d’aborder des dimensions qui n’apparaissent pas d’une manière très claire quand nous assistons à de la “reconnaissance des réalisations” de la part des managers».r>Et comme cité par Pierre Laurent Buirette de Belloy , écrivain français : «Après la bienfaisance, le plus grand des plaisirs est la reconnaissance».
Entretien avec Farid Yandouz, expert Change & Transformation
«Les feedbacks positifs sur les contributions individuelles et collectives sont clairement appréciables quels que soient les supports utilisés»
Emploi : Est-ce que les managers reconnaissent souvent les contributions de leurs collaborateurs ?r>Farid Yandouz : La réponse est que, malheureusement, ceci n’est pas le cas (au moins pour une bonne majorité des managers). En effet, une étude de l’entreprise Deloitte sur la qualité de vie au travail, réalisée en 2015, confirme que 7 collaborateurs sur 10 estiment ne pas être reconnus à leur juste valeur ! Par ailleurs, une récente étude du cabinet de consulting Trusted Advisors a analysé les facteurs qui poussent les cadres à quitter leurs entreprises. Cette étude a pris comme cible un secteur à fort taux de roulement (environ 21,4%) au sein du secteur de l’offshoring technologique dans un ensemble de pays qui sont marqués par une forte croissance de la filialisation des activités digitales et celles des prestations relatives aux technologies de l’information.r>À titre de rappel, ce taux représente le «Rapport, exprimé en pourcentage, entre le nombre de travailleurs qui, au cours d’une période donnée, ont quitté une organisation et le nombre moyen de travailleurs que l’organisation a employés au cours de la même période».r>Après un travail d’exploration, les équipes Trusted Advisors ont identifié 7 raisons clés à partir d’un ensemble d’entretiens, puis ils ont demandé à un panel de 423 cadres de choisir 3 raisons parmi les 7 définies initialement. Les résultats des choix effectués par les cadres sont synthétisés sur www.trustedadvisors-group.com/turnover-fr. Le salaire vient en tête des raisons qui poussent les cadres à quitter leurs employeurs, ce qui n’est pas très surprenant (en moyenne, ceci peut paraître prévisible). Par contre, un fait marquant est que la deuxième position en matière des raisons qui poussent les cadres à quitter leurs entreprises est le «Manque de reconnaissance par rapport aux réalisations de ces derniers». Ce critère a un poids relativement proche du premier (le salaire) et dépasse l’importance accordée à une «Meilleure qualité de vie du pays de destination en cas d’immigration». Ce constat est relativement «contre-intuitif», car nous avons tendance à sous-estimer la «reconnaissance» en tant que clé de fidélisation des collaborateurs et du renforcement de leur engagement, et nous continuons, à tort, de favoriser d’autres leviers organisationnels au détriment d’une vraie action vis-à-vis des attitudes managériales favorisant cette reconnaissance.
Quelles conséquences sur la qualité vie au travail ?r>Le manque de reconnaissance pousse certains collaborateurs de quitter le «navire» organisationnel. En parallèle, et souvent, il en rend plusieurs «désengagés» par rapport aux missions ou aux projets qui leur sont confiés. Lors d’une mission de diagnostic organisationnel que j’ai eu l’occasion d’effectuer dernièrement, un collaborateur m’a confié «Il y a des pratiques managériales à même d’accentuer des relations “conflictuelles” entre les personnes et les entités dans la durée… les entités et les personnes qui pilotent un projet reçoivent les éloges alors que les départements qui contribuent à la réussite de ce projet (dans l'ombre) ne sont même pas invités aux cérémonies de présentation des résultats, leur travail n’est pas valorisé et donc, ils deviennent réticents à travailler en équipe pour les prochaines fois qu’on les sollicitera». La reconnaissance est une pratique incontournable pour assurer la pérennité de l’engagement. Sans elle, les équipes se désengagent, se désolidarisent et leur synergie n’est plus à l’ordre du jour.
Quel est le rôle du manager dans la motivation des salariés ?r>Pour reconnaître les réalisations des collaborateurs d’une manière constructive, les qualités du manager en matière de communication jouent un rôle important et incontestable. Savoir communiquer régulièrement et au bon moment est une clé de réussite dans ce sens. Les feedbacks positifs sur les contributions individuelles et collectives sont clairement appréciables quels que soient les supports utilisés : Meetings individuels, réunions collectives, conférences, rencontres informelles, emails ou d’autres communications électroniques. Une chose est certaine : il ne faudrait surtout pas attendre l’entretien annuel de revue de la performance pour reconnaitre les réalisations des collaborateurs ! Reconnaître les réalisations peut prendre plusieurs formes. En effet, les contributions pourraient être reconnues et mises en valeur par le manager dans le cas :r>• d'un collaborateur, à titre individuel en one-to-one, autour de ce qu’il fait pour contribuer les projets ;r>• de l’équipe du manager, en mode one-to-many, en faisant valoir l’esprit d’équipe et le sentiment d’appartenance ;r>• d'un collaborateur en présence d’autres collaborateurs, one-inside-many ;r>• d’un collaborateur, d’une autre équipe ou un autre département, que le manager ne gère pas directement.r>Les différents scénarios ne se valent pas en matière de complexité, et ce, en fonction du contexte (changement, situation d’urgence, stress, crise…). Selon ce contexte, il y aura un effort requis pour le manager et reflétant les pré-requis en matière de préparation et de qualités relationnelles.
De quoi dépend l’efficacité de la reconnaissance ?r>L’efficacité de la «Reconnaissance des réalisations des collaborateurs» dépend d’une manière critique de plusieurs autres dimensions des compétences managériales. Il est très réducteur de ne penser à la reconnaissance des réalisations qu’en tant que question de communication uniquement. Les dimensions qui constituent des préalables dans ce sens sont :r>. La qualité de la définition des objectifs à atteindre, et l’effort du manager à promouvoir ces objectifs d’une manière cohérente en les liant aux tâches.r>. L’efficacité de la «Reconnaissance des réalisations des collaborateurs» dépend d’une manière critique de plusieurs autres dimensions des compétences managériales. Il est très réducteur de ne penser à la reconnaissance des réalisations qu’en tant que question de communication uniquement. Les dimensions qui constituent des préalables dans ce sens sont :r>. La qualité de la définition des objectifs à atteindre, et l’effort du manager à promouvoir ces objectifs d’une manière cohérente en les liant aux tâches.r>. L’alignement «Objectifs – Contributions» est important à effectuer par chaque manager pour s’assurer d’un langage commun quand il s’agit d’apprécier les réalisations. Quand nous parlons de contributions, il s’agit clairement d’apprécier la pertinence et la qualité du travail rendu, mais n’oublions pas qu’elles sont aussi appréciées en matière de mindset. Le manager a un rôle important à jouer pour préciser le type de culture et de comportement auxquels il s’attend et auxquels il croit personnellement pour réussir le projet. La distinction claire entre les contributions individuelles et celles d’ordre collectif, et explication des relations entre ces contributions et comment elles sont nécessaires les unes aux autres.
La reconnaissance individuelle est-elle plus motivante que celle collective ?r>En fonction des organisations, l’importante donnée aux contributions individuelles en comparaison avec celles d’ordre collectif peut varier. En tout cas, le manager a un rôle à jouer pour communiquer clairement dans ce sens et définir une zone où la contribution individuelle peut être reconnue à sa juste valeur, ainsi que la contribution collective. Noyer une au sein de l’autre ne créera que de l’ambiguïté contre-productive.r>La définition des schémas qui facilitent la dynamique de la contribution dans le cadre collaboratif en insistant sur les rôles et les responsabilités. Les matrices RACI sont, dans ces cas, des outils très importants. Elles permettent de répartir les rôles d’une manière visuelle, mais ne doivent pas servir dans une pure intention de planification. Leur réelle valeur est dans l’utilisation régulière que le manager peut en faire par une implication régulière dans les feedbacks associés à leurs contributions.r>En parcourant ces dimensions, vous imaginez comment elles permettent d’éviter des malentendus autour de l’interprétation des contributions. Leur maîtrise par le manager prépare une reconnaissance efficace des contributions, et une communication constructive dans ce sens.