Culture

Bariza Khiari : «Pour un Islam spirituel, libre et responsable, un Islam d’amour qui ne peut que rapprocher les gens»

Le Festival de Fès de la culture soufie clôt, aujourd’hui, sa 13e édition après avoir donné le temps aux passionnés de spiritualité et de soufisme de savourer des moments uniques et très riches en compagnie des spécialistes en la matière. Une édition exceptionnelle, malgré le fait qu’elle se soit déroulée en version virtuelle, à cause des restrictions imposées par la situation sanitaire. Car sa programmation fut une vraie odyssée de l’élévation de la pensée et de l’esprit, menée de main de maître par Faouzi Skali, président du Festival.

Festival de la culture soufie.

25 Octobre 2020 À 15:29

Chaque soir, depuis le 17 octobre, «L’art de la transmission» était au rendez-vous, en virtuel, à travers les tariqas et samaa programmés. De la Boutchichiyya à la Charqawiyya, en passant par la Rissouniya, la Sqalliya,  la Ouazzaniyya… Puis le ton a été donné à Nizar Liemlahi, Abderrahim Hafidi et Karim Ifrak de Grenade,  à Naïla Hayat Noon Mohamed Iqbal, de Lahore (Pakistan), l’héritage de Rûmî et du soufisme moghol avec du qawwali et du Niger le Pr Salamatou Sow. Des voix venues d’ailleurs qui ont rapproché les cœurs et les esprits spirituellement, même si la pandémie les a éloigné physiquement. Le festival a aussi été une occasion pour parler des valeurs et les faire valoir à travers les tables rondes tenues avec d’éminents intervenants qui ont apporté leurs connaissances autour de thématiques d’actualité et en étroite relation avec le soufisme. Des moments particuliers où les gens se sont retrouvés et la pensée s’est élevée, avec des discussions très profondes, tout en écoutant de la musique et des chants extraordinaires.

C’est le cas de la rencontre avec Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation Islam (France), qui développe un travail remarquable en ce qui concerne  les cultures de l’Islam. Son intervention a été très intéressante, l’intervenant ayant parlé de l’islam en Occident. Il a fait allusion à l’héritage Andalou, en évoquant Lissane Eddine ibn al-Khatib, philosophe, homme politique, médecin, écrivain et soufi, en relation avec les huit siècles de présence de l’Islam en Andalousie. «La Fondation de l’Islam en France œuvre pour le champ éducatif culturel, la prise en charge sociale, notamment de la jeunesse dans les domaines philanthropique et humanitaire et surtout dans la dimension civilisationnelle, sachant, par exemple, qu’une bonne partie de l’Europe avait été islamisée avant que les Balkans ne se christianisent», a-t-il indiqué dans son intervention.

«Ce combat de la mémoire et d’une histoire partagée, n’est-il pas celui qu’on doit mener ?» s’est demandé Skali. Assurément, répond Bencheikh, c’est pour cela que ce festival est d’une grande utilité pour faire connaître cet héritage aux jeunes musulmans qui vivent en Occident. Selon Bariza Khiari, femme politique française musulmane, vice-présidente du Sénat en France et très active dans la vie sociale, «apporter de la lumière et de la raison ne peut se faire sans un Islam spirituel, libre et responsable. Car c’est un Islam d’amour qui ne peut que rapprocher les gens. Il nous permet de nous transcender et de nous dépasser et aller accueillir l’autre. Il est responsable parce qu’il est dans l’action». Par ailleurs, les tables rondes se sont focalisées sur deux points, le premier en posant la question : «Que faire ensemble de l’héritage d’Abraham ?» qui a suscité l’intervention des représentants des différents cultes, dont le cardinal Cristobal Lopez Romero, archevêque de Rabat, François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, Moulay Abdellah Ouazzani, Katherine Marschall, Karim Ifrak, Gad Ibgui, Khaled Roumo. Puis «Sagesses et spiritualités face aux enjeux politiques», avec les étudiants de l’association Sciences Po Monde arabe (Paris), Bariza Khiari, Mustapha Sehimi et Moulay Abdellah Ouazzani. Des débats pertinents qui ont montré que la spiritualité doit être au cœur de l’actualité que nous vivons.

Les soirées, de cette session digitale, se sont poursuivies avec celle sur «Les résonances de Rumi à travers le monde» et la conférence de Leili Anvar autour de la question : «Comment Rumi transmet-il dans le Mathnawi ?» Ensuite, c’était au tour du professeur Abdullah Ozturk d’approfondir la thématique «Sur les pas de Rumi». La 13e édition du Festival de Fès de la culture soufie prend, ainsi, fin aujourd’hui en attendant d’autres rencontres de ce genre qui permettront d’en savoir plus sur les valeurs humaines et spirituelles à transmettre aux générations futures. 

Programme de la journée de clôture

• 14 h 30 : Dernière sagesse de Joha  issue de la  série d’instants d’écoute, avec la comédienne Amal Ayouche qui livre avec talent et humour les pépites de sagesse du célèbre Joha, puis Younes Lahiaoui  qui proposera un Commentaire inspiré des parutions dans Nafs magazine de Faouzi Skali.

• 20 h 30 : Synthèse du festival et sa plateforme Sufi Heritage, avec une dernière halte dans un haut lieu du soufisme au Niger en compagnie du professeur Salamatou Sow à la découverte du peuple peul et de la transmission du soufisme.

• Clôture : Documentaire sur le soufisme en Afrique réalisé par Ahmed Lakhlii pour Medi 1 TV.

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Questions à Faouzi Skali, président du Festival 

«La digitalisation de cette édition montre que rien ne peut constituer un frein à notre capacité de penser et de créer»

Que gardez-vous comme impression de cette édition que vous avez tenue à maintenir malgré la suspension des activités artistiques et culturelles en cette période de pandémie ?r>Rien ne peut, et en tout cas ne doit, constituer un frein à notre capacité de penser et de créer et encore moins au déploiement de notre vie spirituelle, car ces activités constituent précisément nos possibilités de ressourcement et de résilience en des temps d’épreuve. Pour nous donc, il ne s’agissait pas d’une solution de substitution ou de pis aller,  mais une façon de faire prévaloir quelque chose de différent en cherchant à créer un projet dans lequel les nouvelles technologies sont au service de la culture et de la spiritualité.

Quels genres de difficultés avez-vous rencontrées dans cette première expérience digitale ?r>C’est une expérience nouvelle de bout en bout que l’on découvre au fur et à mesure que nous avançons. Nous avons été aidé en cela par le fait que cela faisait un moment que nous réfléchissions au développement d’une plateforme numérique intitulée «Sufi Heritage» qui aurait pour but de nous faire voyager par le digital à travers différents lieux et à la rencontre de différentes personnalités du patrimoine de la culture soufie à travers le monde. La crise sanitaire et l’approche du Festival ont suscité une très grande accélération pour la réalisation de ce projet, dont finalement le Festival est l’un des volets. Les deux autres volets étant les masterclass et la digitalisation du patrimoine culturel soufi, comme certaines expressions artistiques ou des manuscrits rares ou difficiles d’accès. Le programme du Festival de cette année s’est décliné de telle sorte qu’il est devenu une expérimentation en temps réel de tous ces volets. Nous avons pu aussi apprendre d’une façon plus précise quels doivent être les moyens technologiques à mettre en œuvre. L’expérience s’est révélée concluante, mais elle doit se développer et évoluer encore à l’avenir.

Est-ce que, selon vous, cette manière de faire connaître la culture soufie peut avoir de l’impact, même à distance, ou faut-il vraiment une présence humaine et un contact direct ?r>Les deux sont différents et complémentaires. Cela ne peut pas remplacer à mon avis l’enseignement vivant et direct dans une voie soufie, mais peut être très intéressant lorsque l’on cherche à faire revivre aujourd’hui le soufisme en tant que patrimoine culturel et en faire découvrir l’extraordinaire richesse artistique, intellectuelle et spirituelle à travers le monde. Je pense que cette complémentarité est la condition d’une renaissance et d’une vitalité de l’Islam en tant que civilisation à notre époque. C’est ce que l’on pourrait appeler l’Islam soufi et dont le Maroc, comme cela a été en diverses occasions souligné par Sa Majesté le Roi, porte une tradition particulièrement riche et féconde. C’est ce qui, à mon avis, définit le Maroc non seulement comme nation, mais aussi comme une civilisation à part entière.

 

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