Culture

Le soufisme marocain revisité par Faouzi Skali

24 Avril 2020 À 23:46

Le soufisme est une voie d’enseignement et de «cheminement» spirituels qui s’inscrit au cœur de la tradition de l’Islam. Cette voie est aussi une expression de sa culture et, l’on pourrait dire, l’esprit même de sa civilisation. En ce sens, le soufisme qui est d’abord une expérience spirituelle, un «Dhawq» ou une saveur personnelle, a été ensuite, tout le long de l’histoire, la source continue d’une créativité intellectuelle, poétique, littéraire, artistique (en particulier musicale) et, d’une façon encore plus globale, bien qu’insuffisamment explorée, la source d’une productivité sociétale particulièrement riche et créative. 

Au Maroc, ces culture et valeurs du soufisme constituent un paradigme, une sorte de «logiciel» de civilisation. r>Il suffit, pour s’en convaincre, de découvrir l’extraordinaire richesse et diversité de la littérature et des traités soufis dans notre pays dont l’un des plus anciens a été publié avec une édition critique remarquable par l’historien et écrivain Ahmed Taoufiq, actuellement ministre des Affaires islamiques, «Regards sur le temps des Soufis» d’Ibn al Zayyât al Tâdilî. r>C’est ce lien entre expérience spirituelle et la diversité des colorations de ses expressions culturelles et sociales, que nous souhaitons aborder dans ces chroniques. Car l’une des caractéristiques de la voie du soufisme est de permettre cette articulation si rare entre l’accomplissement d’une transformation de soi et celui d’une transformation collective. Cette interaction entre le personnel et le collectif permet la production d’une culture vivante, qui change avec le temps et les lieux, mais dont le but ultime est d’être l’expression de valeurs spirituelles universelles.r>Les enseignements, les chants, l’art ou la littérature du soufisme exprimés traditionnellement dans les langues et les modalités culturelles du continent sub-indien, de l’Afrique noire, du Maghreb, d’Asie, d’Europe centrale ou du Moyen-Orient -mais largement occultés de nos jours- font référence à la nécessité de dépasser les limites de nos égocentrismes, personnels ou communautaires, pour accéder au sens ultime et universel de l’amour, de la connaissance ou de la compassion. Valeurs essentielles que l’on trouve au cœur de toutes les grandes traditions de sagesse.  Cela suppose que ces cultures diverses ne sont pas seulement approchées comme des patrimoines ou des legs du passé mais plutôt de par ce qu’elles peuvent transmettre à notre monde d’aujourd’hui de leurs messages les plus féconds, la célébration d’un sens ultime de la Beauté – celle dont Dostoïevski disait qu’elle seule pouvait sauver le monde – qui s’exprime dans une sagesse, une poétique et un art de vivre. Il est important aujourd’hui, en mettant en relation ces cultures et les valeurs qu’elles véhiculent, de rendre possible la mise en œuvre de ce paradigme au cœur de notre pays à un moment où, avec la crise actuelle, chacune de nos sociétés s’interroge sur les leçons de vie à tirer de cette épreuve et quelles seront ses nouvelles orientations. Sur la manière aussi dont cette culture spirituelle peut contribuer à apporter des réponses aux défis improbables que connaît l’époque. De quelle façon avec d’autres projets, d’autres courants de pensée ou de cultures, d’autres civilisations, elle peut contribuer à «donner une âme à la mondialisation». Étant bien sûr entendu qu’il nous faut donner à cette dernière non pas le sens technofinancier qu’elle revêt aujourd’hui mais celui d’une interconnexion et interdependance de fait de l’ensemble de nos cultures et sociétés. Une mondialisation qu’il nous appartiendrait alors de réguler de manière à aboutir à de nouvelles chaînes de solidarité et de collaboration. r>Une telle démarche pourrait ainsi esquisser un «humanisme spirituel» en ce sens où l’aspiration à l’accomplissement de notre humanité serait au centre de nos préoccupations et de nos gouvernances politiques et économiques. Il s’agit donc d’évoquer d’une façon illustrative l’élaboration d’une orientation vers un développement qualitatif et solidaire. D’ouvrir des voies à l’échelle de notre société mais aussi à une échelle globale, vers ce qu’Edgar Morin a appelé une politique de civilisation. Esquisser aussi certains projets ou pistes expérimentales qui peuvent être issus d’une telle réflexion. r>Les prémices d’un projet de société porteur de ces valeurs et ouvert à l’enrichissement de diverses cultures et pensées peut paraître un vœu pieux et naïf. Il a pourtant existé, d’une façon certes imparfaite, comme toutes les choses humaines, à certains moments de notre histoire et de nos civilisations. r>Il nous appartient d’en saisir (en se ressourçant certes dans un patrimoine spirituel marocain d’une immense richesse, mais d’une façon nouvelle qui répond aux besoins propres de notre temps et notre société) en ces moments de grand bouleversement, l’opportunité, le sens et la vision. De chercher à en cerner le concept qui en est la représentation ou le «germe» synthétique. r>Une telle réflexion n’a de sens que par le fait qu’elle vient à un moment où elle devient possible. Il nous appartient de faire alors de ce temps de confinement un temps de mûrissement, car tout changement de société est d’abord un changement de conscience et la naissance d’une nouvelle perception. 

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Par Faouzi Skali

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