09 Mars 2020 À 19:42
Le très attendu rapport du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) sur «les manifestations d’Al Hoceïma» vient d’être rendu public. Adopté lors de la dernière assemblée générale du Conseil, le document de 400 pages («le Matin» détient la copie d’un résumé synthétique de 60 pages) est le fruit d’un travail «pénible» qui a duré plusieurs mois. Et le mot «pénible» est un euphémisme, tient à préciser la présidente du CNDH. Amina Bouayache, qui était accompagnée du SG du Conseil, a en effet exposé devant quelques journalistes dimanche dans l’après-midi les principales conclusions de ce rapport. «C’est le résultat de plusieurs mois d’investigations, de collectes d’informations, de recoupement de témoignages, d’analyses de rapports et de visites des familles et des détenus… Notre objectif est de présenter de manière transparente et objective le déroulement chronologique des faits», souligne-t-elle, ajoutant qu’il s’agit d’un descriptif des événements sans parti pris ni prises de position, mais à travers une approche droit-de-l’hommiste basée sur les normes reconnues sur le plan international. À cet égard, le choix des termes utilisés est d’une importance primordiale. À commencer par l’intitulé du rapport. S’agit-il d’«événements», de «Hirak du Rif» ou de «manifestations». Pour le CNDH, le terme idoine est «Manifestations». Car «Hirak» comporte une connotation idéologique malvenue, s’ajoute à cela que les faits ont eu lieu uniquement à Al Hoceïma, qui est une partie seulement du Rif. Donc parler de «Hirak du Rif» est exagéré, selon le Conseil. Chronologiquement, le rapport distingue trois phases de «Manifestations» : la première a été marquée par des manifestations pacifiques, la deuxième étape a été émaillée d’actes de violence (jets de pierres contre les forces de l’ordre, en réaction aux dispersions des attroupements...). La troisième phase a été marquée des violences graves et par des affrontements avec les forces de l’ordre.r>Le rapport revient également sur l’arrestation de Nasser Zefzafi. Là, la conclusion du CNDH ne souffre pas la moindre ambigüité : M. Zefzafi s’est mis dans son tort en faisant irruption dans la mosquée en plein rituel de la prière. «Nous avons considéré au sein du CNDH que cet acte est une atteinte à la liberté de culte et de croyance. S’il avait critiqué l’imam en dehors de la mosquée, on aurait considéré cela comme l’expression d’une opinion et donc comme un droit. Mais le fait est qu’il est entré dans un lieu de culte, et tout le monde sait que les lieux de culte partout dans le monde ont un statut particulier et qu’ils doivent être protégés par les pouvoirs publics, ce faisant il a attenté aux droits des autres». S’agissant des allégations de torture que certains détenus mettent en avant, le CNDH affirme dans son rapport qu’il a tenu à vérifier chaque cas, en se rendant sur les lieux de détention et en faisant examiner les détenus par des médecins légistes ou en encore en menant ses propres investigations. Le Conseil affirme aussi qu’il a visité les lieux de détention pour vérifier leur conformité aux normes en vigueur sur le plan international. Les conclusions, estime Mme Bouayach, sont claires et sans équivoque : il n’y a pas eu d’actes de torture et les conditions de détention sont normales et s’alignent sur les normes internationales. Les cas de violence constatés sont consécutifs au fait que les détenus ont fait de la résistance au moment de leur arrestation».
Plus de 10.000 posts fallacieux incitant à la violence ou à la haine
Élaborer un rapport objectif et impartial sur les manifestations d’Al Hoceïma n’était à l’évidence pas chose aisée pour le CNDH. Et pour cause, à l’ère du numérique où tout détenteur d’un smartphone peut s’autoproclamer journaliste, la vérité se perd souvent dans les méandres des fake news, des vidéos truquées et des informations montées de toutes pièces. Pour tirer les choses au clair, le Conseil aux destinées duquel préside Amina Bouayache a formé toute une équipe qui avait pour principale mission de collecter, décortiquer, analyser et vérifier l’origine et la véracité des posts, des tweets et des vidéos sur les manifestations d’Al Hoceïma. Et là, force est de reconnaître que les résultats donnent à réfléchir. Les chiffres sont parlants : quelque 302.000 posts ont été publiés sur internet, dont près de 10.000 incitaient à la violence, à la haine ou induisaient en erreur, car comportant des informations inexactes (de bonne ou de mauvaise foi).r>Ces détails indiquent sans nul doute qu’une machine médiatique parfaitement huilée était à l’œuvre depuis le début des manifestations. Son objectif consistait à attiser le feu en poussant les manifestants à rester dans la rue, en propageant des informations mensongères ou trompeuses. Cette analyse est corroborée par les explications fournies par Mounir Bensaleh, le SG du CNDH, qui s’exprimait dimanche dans l’après-midi lors de la rencontre avec la presse destinée à présenter les grandes lignes du rapport du Conseil sur les manifestations d’Al Hoceïma. Selon M. Bensaleh, outre les contrevérités et les informations inexactes diffusées à tour de bras (10.000 faut-il le rappeler), les fake news ont été aggravées par une sorte de «matraquage» et par l’évocation de faits de mémoire ou historiques sans relation avec les revendications des manifestants. L’origine des posts, des tweets et des vidéos est un autre détail significatif : 80% des informations sur les événements d’Al Hoceïma qui ont été recensées ont été publiés par des sites électroniques situés à l’extérieur du Maroc. Près de 20% seulement provenaient de sites situés au Maroc. Mieux encore : selon les précisions de M. Bensaleh, plus de la moitié des sites (non marocains) ayant publié ces informations sont situés en Europe, et les deux tiers parmi eux sont concentrés dans trois pays : la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne.
Quelques chiffres
• Les «manifestations d’Al Hoceïma» se sont étalées d’octobre 2016 à octobre 2017.r>• 814 manifestations, dont 340 ayant demandé un encadrement spécifique.r>• 788 éléments des forces de l’ordre blessés.r>• 400 personnes arrêtées, dont 129 mineurs (84 ont été remis à leurs parents).r>• 49 personnes purgent des peines d’emprisonnement (à la date de mars courant).r>• Les dégâts matériels de la DGSN s’élèvent à 25 millions de DH, ceux de la Gendarmerie Royale à 4 millions de DH et 1,16 million de DH pour les Forces auxiliaires.r>• 136 petits commerçants ont déposé des plaintes auprès des autorités en raison des dégâts ayant touché leurs activités.