Culture

«Je déplore qu’il n’y ait ni prix ni reconnaissance ni hommage pour les professionnels de ce métier»

Artiste make-up, Souad El Attar évolue dans le monde du cinéma et de la télévision depuis plus de 20 années. Cette maquilleuse professionnelle déplore le manque de reconnaissance pour ce métier qui contribue, selon elle, à 50% de l’apparence extérieure du personnage. Longtemps marginalisée par les professionnels du secteur au Maroc, la profession du make-up commence à être revalorisée par certains cinéastes, mais sans lui donner l’importance qu’elle mérite et sans reconnaître le rôle qu’elle joue pour mettre en valeur l’aspect du personnage.

Souad El Attar.

20 Mars 2020 À 20:17

Le Matin : Commençons par vos premiers pas dans le métier de maquilleuse…r>Souad El Attar : Mes premières tentatives remontent à l’enfance où je prenais des crayons de couleur pour maquiller mes sœurs, mes amies et des filles de la famille. Alors que je ne connaissais pas le danger de ces matières. Quand j’ai grandi, je suis allée faire une formation d’esthétique pour avoir un diplôme. Mais mes ambitions étaient plus grandes, car je voulais devenir professionnelle.

Comment êtes-vous entrée dans le domaine ?r>Le premier réalisateur avec qui j’ai travaillé était Georges Dumoulin, à travers une publicité qu’il avait tournée au Maroc au début des années 1990. C’était par un pur hasard. Car l’école où je suivais les cours d’esthétique était dirigée par une Française qui connaissait ce réalisateur. Dans le temps, il n’y avait pas beaucoup de make-up professionnels. Donc, le réalisateur avait demandé à la directrice de lui trouver quelqu’un pour sa publicité. Elle m’a choisie, en lui disant que je pouvais être à la hauteur de ce qu’il demande. Dans le temps, je n’avais pas cette idée d’entrer dans le cinéma. Mais cette expérience m’a fait découvrir un autre monde, un autre maquillage et une autre manière de le faire que j’ai beaucoup appréciée. Je me suis retrouvée très faible face à cet univers. Cette publicité a été pour moi une école où j’ai énormément appris, à travers les conseils et recommandations du réalisateur qui a cru en moi. Ainsi, à chaque fois qu’il venait au Maroc, il faisait appel à moi.

Quand avez-vous pensé à aller suivre des formations en France ?r>C’était grâce à ce réalisateur, qui m’avait encouragé à évoluer dans ce métier en faisant des stages en France pour apprendre les effets spéciaux que je ne connaissais pas. Car je ne voyais que les films marocains où on n’utilisait pas ces techniques. Donc, il m’a donné des adresses d’écoles. Mon seul problème était de convaincre ma famille. En fin de compte, je suis parvenue à faire des formations dans de grandes écoles à Paris. En revenant, j’ai commencé à travailler avec des réalisateurs de cinéma.

Qui sont les premiers réalisateurs avec qui vous avez travaillé ?r>C’était avec Mohamed Haidar et Farida Bourkia à la télévision. Ils étaient conscients de l’importance d’une maquilleuse professionnelle pour leurs programmes.

Après vos débuts avec Haidar et Bourkia, comment êtes-vous arrivée à vous faire connaître ?r>Dans le temps, il n’y avait pas Internet. Je cherchais à partir de Télécontact les sociétés de production et les réalisateurs. À cette époque, les make-up professionnels se comptaient sur les doigts de la main. On avait toujours du travail. Mais actuellement, ce métier est envahi par des personnes qui n’ont pas les connaissances nécessaires pour l’exercer. Sauf que beaucoup cherchent à payer le moins cher possible...

En quoi consiste le travail d’un make-up de cinéma ?r>Le make-up nécessite une période de préparation avec les acteurs. Ce travail doit être confirmé par le réalisateur avant le tournage. Beaucoup de réalisateurs me disent que la maquilleuse a raté son travail. Car au cinéma, on travaille essentiellement sur le personnage du film.

En tant que professionnelle, y a-t-il une différence entre les productions marocaines et étrangères ?r>Ici au Maroc, la professionnelle n’était pas considérée comme un make-up, mais une simple maquilleuse qui fait un travail accessoire. Alors que normalement elle doit lire le scénario pour faire un maquillage qui correspond au personnage. Je dois prendre tout mon temps, parce que je travaille sur des parties du corps très sensibles, notamment le visage. Il y a des réalisateurs qui ne donnent pas de valeur au maquillage et au raccord. On remarque beaucoup de faux raccords dans le maquillage. Des fois, on trouve des problèmes aussi avec les actrices. Par exemple, une actrice qui perd son mari dans le film et veut rester avec le maquillage. Ce qui n’est pas normal. Des femmes en prison… Parfois, certaines le font à mon insu. Alors que devant le réalisateur je suis responsable de leur maquillage. Mais il y a beaucoup d’actrices marocaines qui respectent ce métier et me laissent faire mon travail.

Quels sont les réalisateurs marocains avec qui vous avez travaillé ?r>Noureddine Lakhmari, Ahd Benssouda, Yassine Fennane, Ali El Majboud et beaucoup d’autres, ainsi que des réalisateurs étrangers. Mais avec ces derniers, on n’est pas totalement responsable du maquillage, parce qu’ils font venir avec eux un chef de département. Donc avec les étrangers, on travaille en tant qu’aide à leur maquilleuse. 

Pour le cachet des make-up, y a-t-il une différence entre le Maroc et l’étranger ?r>Ces dernières années, certains cinéastes marocains ont décidé de nous payer avec le barème du CCM (Centre cinématographique marocain). Normalement, c’est le même cachet qu’avec les étrangers, sauf qu’avant, on se faisait payer en devises.

Avez-vous fait d’autres métiers en dehors du make-up ?r>Au temps de feu Haidar, il y avait une émission spéciale pour la femme, où ils avaient besoin d’une rubrique de maquillage et de conseils de beauté. Après, j’ai été sollicitée par la chaîne nationale pour une émission en direct «Yaoum Saïd», devenue au mois sacré «Layali Ramadan». C’était une belle r>expérience.

Avez-vous regretté un jour d’avoir choisi ce métier ?r>Avec plus de 20 ans dans ce métier, je n’ai jamais regretté. Je fais toujours des recherches et j’ai l’ambition de faire plus et mieux, car la technologie se développe chaque jour. Mon rêve est d’apprendre la sculpture dans ce domaine. Par exemple, au Maroc, on est obligé de faire venir un étranger pour faire une tête de quelqu’un. Mais ce que je déplore, c’est qu’il n’y ait pas de prix pour le costume et le make-up dans les festivals, ni une reconnaissance ni des hommages pour ces gens qui travaillent dans les coulisses. 

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