Économie

«La libéralisation du dirham jouera un rôle d’amortisseur post-crise»

La crise due au Covid-19 que traverse le Maroc va inéluctablement imprimer de lourdes séquelles sur l’économie du pays. Toutefois, la poursuite de la libéralisation du dirham va jouer un rôle d’amortisseur face aux chocs et pendant l’après-crise sanitaire, en accroissant notamment la compétitivité des exportations. La faible inflation, à présent ancrée dans les anticipations, facilite cet assouplissement, tout comme les conséquentes réserves de change du Royaume. L’analyse de Dominique Fruchter, économiste chargé de l’Afrique chez Coface.

13 Avril 2020 À 18:06

Le Matin : Quels sont, selon vous, les secteurs d’activité qui souffriront le plus au Maroc de la crise sanitaire ?r>Dominique Fruchter : Il s’agit du tourisme, qui contribue directement pour un peu plus de 8% au PIB, du fait de la fermeture des frontières au trafic passager. Les compagnies aériennes et maritimes nationales, l’hôtellerie, la restauration, les agences de voyages locales, les guides locaux seront profondément affectés. Le commerce de détail sera extrêmement touché aussi, à la fois par la disparition des touristes, la possible baisse des transferts des expatriés (6% du PIB) en provenance de France et d’Espagne, mais aussi par le confinement qui contraint la consommation des résidents. Seul le commerce agroalimentaire devrait limiter la casse, car exempté de confinement.r>Le secteur automobile, qui contribue pour 6% au PIB avec la fabrication de pièces et l’assemblage de véhicules surtout destinées à l’exportation, souffrira aussi du fait du confinement qui entrave la production locale. Il va pâtir aussi de la chute du marché et de la production en Europe, auxquels il est étroitement lié, tant par ses importations de pièces détachées que par ses exportations de pièces et de véhicules.r>L’aéronautique (6% des exportations), secteur en plein développement, sera affecté par la réduction de la production d’aéronefs dans le monde. D’ailleurs, Airbus a décidé de la réduire d’un tiers. L’agriculture, qui représente 15% du PIB et plus de 30% de l’emploi total, en plus d’être encore touchée par la sécheresse, le sera aussi par la désorganisation de la chaîne logistique : le transport vers l’Europe étant confronté au renforcement des procédures de contrôle aux frontières, à la raréfaction des rotations maritimes, mais aussi à la baisse des ventes de produits frais en Europe, ainsi qu’aux campagnes visant à y favoriser les produits locaux. Enfin, dans une moindre mesure, les phosphates (6% du PIB) pourraient pâtir, comme les autres matières, du ralentissement mondial, d’autant qu’ils ont un gros débouché comme l’Inde.

Quels sont vos pronostics par rapport à la croissance économique du Royaume en 2020 et en 2021 ?r>En mars, notre prévision de croissance pour le Maroc en 2020 était de 1,5%. Mais, c’était avant la mise en place du confinement local et sur les principaux marchés d’exportation du pays. Nous serons vraisemblablement amenés à l’abaisser, jusqu’à passer dans le rouge. La prévision est difficile compte tenu des incertitudes sur la suite de l’épidémie, donc sur la durée des mesures de confinement.

Est-ce que vous pensez que les mesures prises par le Maroc sont capables d’absorber les chocs ?r>Les mesures prises, notamment grâce au Fonds spécial, permettront d’atténuer les chocs, mais ne pourront les absorber totalement. Déjà, toutes les entreprises peuvent reculer le paiement de leurs charges sociales jusqu’au 30 juin, les moyennes, petites et très petites, qui constituent l’essentiel du tissu productif, également le paiement de leurs impôts et le remboursement de leurs dettes. Par ailleurs, le gouvernement a décidé de garantir les nouveaux crédits accordés aux TPPE à hauteur de 95%. De leur côté, les salariés, perdant leurs emplois et affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale, vont recevoir 2.000 dirhams par mois et bénéficient d’un moratoire sur leur dette jusqu’au 30 juin. Les foyers, non-cotisants à la sécurité sociale, car travaillant dans le secteur informel, qui n’ont plus de revenus du fait du confinement obligatoire, mais bénéficiant du Régime d’assistance médicale (Ramed) reçoivent, quant à eux, de 800 à 1.200 dirhams suivant la composition du foyer. Enfin, les autres foyers dépendant du secteur informel, mais immatriculés à aucun régime, vont pouvoir bientôt s’enregistrer grâce à leur numéro de téléphone portable ou à celui de leur carte d’identité afin de recevoir un code leur permettant de percevoir la même allocation. On voit bien le souci des autorités de ne pas oublier les personnes dépendant du secteur informel estimées à 2,4 millions.r>Les contributions au Fonds s’élèvent déjà à 37 milliards de dirhams, notamment grâce aux contributions privées. Mais, l’Union européenne a versé 450 millions d’euros. De plus, les autorités viennent de demander à bénéficier des 3 milliards de dollars qui étaient disponibles au titre de la ligne de liquidité de précaution auprès du FMI (Fonds monétaire international). Cela vient renforcer opportunément la puissance de feu des autorités.

Quels sont, à votre avis, les véritables leviers post-crise à activer par l’État pour un redressement de l’économie ?r>Il est vraisemblable que les autorités poursuivent sur la voie de la libéralisation du change du dirham. Déjà, le 6 mars, la bande de fluctuation autour du cours pivot est passée de 5 à 10%. Cela va jouer un rôle d’amortisseur face aux chocs et dans l’après-crise, notamment en accroissant la compétitivité des exportations. La faible inflation, à présent ancrée dans les anticipations, facilite cet assouplissement, tout comme les conséquentes réserves de change du Royaume.r>La poursuite de la diversification économique, afin de moins dépendre de l’agriculture, et donc des précipitations, devrait se poursuivre, notamment dans l’automobile et l’aéronautique, qui vont finir par repartir, mais sans louper la révolution électrique. L’énergie et l’électronique paraissent également prometteuses. D’autant que le pays devrait profiter de sa proximité géographique avec l’Europe qui va rechercher un rapprochement de ses chaînes de valeur.r>La lutte contre le chômage très élevé chez les jeunes, ainsi que les inégalités sociales et régionales sont des pistes, comme l’augmentation de la participation des femmes au monde du travail, l’optimisation de l’utilisation de l’argent public. La réduction de l’informel pourrait contribuer à l’accroissement de la productivité. L’enregistrement volontaire des foyers vivant dans l’informel et souhaitant percevoir des aides peut être l’occasion. Enfin, l’Europe ayant parlé de développer ses infrastructures, on peut imaginer que le projet de lien routier et ferroviaire avec le Maroc sortirait enfin des tiroirs. 

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