13 Septembre 2020 À 17:12
L’usage du numérique pour l’enseignement et la formation au Maroc est un sujet qui ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier. Dans le supérieur, cela fait plusieurs années déjà que le processus a été mis en marche à des cadences variables et avec des résultats plus ou moins probants. Pour bon nombre d’établissements, la question n’était pas prioritaire jusqu’à ce que la crise sanitaire vienne lui donner un caractère d’urgence indiscutable et que l’idée d’«aller doucement, mais surement» ne soit plus de mise.r>«La stratégie d’intégrer le digital comme composante fondamentale de notre enseignement existe depuis plusieurs années et figure comme axe fondamental dans les différents projets de développement des universités et établissements d’enseignement supérieur marocain. Nous relevons toutefois que les réalisations jusqu’alors, malgré quelques expériences réussies, étaient en deçà des aspirations», confirme Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences économiques, juridiques et sociales à l’Université Hassan II Casablanca.r>Bousculés par la pandémie, les acteurs de l’enseignement supérieur ont en effet dû réagir rapidement pour réussir le pari de l’enseignement à distance et assurer la continuité pédagogique durant la phase du confinement. Ils ont ainsi parcouru sous la contrainte plus de chemin en quelques mois qu’ils n’ont pu le faire en plusieurs années.r>Alors que le secteur privé ainsi que les établissements publics à accès limité ont été mieux préparés pour réussir le passage au distanciel, les universités publiques, elles, ont dû mettre les bouchées doubles pour faire face aux défis rencontrés, notamment la limite des ressources en lignes, le manque d’infrastructure et l’adaptation des étudiants aux nouveaux modes d’apprentissage.r>Des défis qui, en dépit des progrès réalisés, restent d’actualité alors que la prochaine rentrée universitaire s’approche à grands pas. Certes, les établissements pourront désormais capitaliser sur le travail accompli pour améliorer leurs performances, sont-ils pour autant bien préparés pour la suite ?r>«Évidemment que les universités sont préparées à faire face à faire face aux défis de l’enseignement à distance», répond Thami Ghorfi, président de ESCA École de Management. «Tout d’abord, il ne faut pas raisonner en termes d’établissements publics ou privés. Nous sommes là, les uns et les autres, pour servir le même Maroc. Le monde entier a été mis sous pression dans cette expérience de gestion de la pandémie. L’enjeu est d’oser mettre en place des méthodes pédagogiques, de les expérimenter et d’évoluer», a-t-il relevé avant d’ajouter : «Personne ne détient la vérité, dans aucun pays au monde. Nous devrions imaginer comment travailler en synergie pour partager les expériences et améliorer les processus au service de nos apprenants. Nous avons à construire ensemble le monde de l’éducation de demain».r>Pour sa part, Abdellatif Komat a indiqué que, pour la prochaine rentrée, «certaines difficultés d’ordre logistique et technique restent à régler notamment celles relatives à la connectivité de certains étudiants et l’adoption généralisée de plateformes institutionnelles. De même, une partie des enseignants a encore besoin de formation et d’accompagnement pour professionnaliser davantage leurs prestations», a-t-il noté, ajoutant qu’«il serait regrettable de ne pas capitaliser sur cette dynamique qui a permis de réaliser en quatre mois dans le domaine de l’enseignement à distance ce qu’il nous aurait fallu plusieurs années pour y arriver».r>Réussir l’enseignement à distance dépend, certes, des moyens mis en place pour le bon déroulement de l’opération, mais également de la capacité d’adaptation de l’étudiant et surtout de sa volonté d’utiliser ce nouveau mode. Selon une enquête du Haut-Commissariat au Plan (HCP), menée du 14 au 23 avril 2020 auprès de 2.350 ménages, 56% des étudiants de l’enseignement supérieur ont poursuivi les cours à distance d’une façon régulière et 31% de façon irrégulière, en utilisant les différents supports numériques mis en place, contre 13% qui ne les suivaient pas du tout. Toutefois, l’intérêt porté au suivi des cours à distance a été impacté par le report ou l’annulation des examens comme le démontre une seconde enquête du HCP, menée cette fois-ci du 15 au 24 juin 2020 sur un échantillon représentatif de 2.169 ménages. r>En effet, la part des étudiants qui suivent ces cours de façon régulière a reculé à 51,1% et de façon irrégulière à 11,3%, alors que 3,3 ont complètement abandonné les cours à distance.r>Il parait que «le chemin vers un nouvel équilibre ne sera pas simple à construire» comme l’a affirmé au «Matin» le Pr Mohammed Ouazzani Jamil, doyen de la Faculté des sciences de l’ingénieur relevant de l’Université Privée de Fès. Pour lui, ce sont des systèmes hybrides autour de chaque formation qui sont à concevoir, à mettre en place et à tester. «Aujourd’hui, on parle de digitalisation, d’apprentissage à distance, du e-Learning… mais la formation en présentiel demeure à bien des égards le vecteur incontournable de la transmission du savoir sans oublier qu’elle permet de maintenir et entretenir des relations humaines, entre étudiants et enseignants et aussi entre les étudiants eux-mêmes», a-t-il déclaré.
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L’enseignement à distance, une évidence et une exigence
L’enseignement à distance devient une évidence et une exigence. Ce système d’apprentissage avec plus ou moins des lacunes à combler, qu’il peut être adopté à une large échelle et avoir une valeur ajoutée durant tout le processus éducatif. Ce constat a été partagé par Khalid Chegraoui, Senior Fellow au Policy Center For The New South, lors de la dernière rencontre des «Mardis du PCNS» organisés par Policy Center sur le thème «La rentrée scolaire à la lumière du coronavirus». r>L’expert y voit même une opportunité de développement et un tournant vers la modernisation du système éducatif avec la possibilité de réfléchir à des méthodes d’enseignement nouvelles et innovantes. Il a par ailleurs, indiqué qu’il demeure difficile d’évaluer qualitativement cette pratique qui représente à ce jour une expérience assez nouvelle en matière pédagogique, qui a été déployée rapidement sans préparation préalable. Cependant, M. Chergaoui estime que la gestion de l’enseignement à distance est plus aisée aux niveaux supérieurs par rapport aux niveaux primaires qui nécessitent davantage de moyens matériels. Quant aux défis auxquels sont confrontées les populations rurales, et en particulier la difficulté d’accès aux moyens technologiques, le chercheur a souligné que le défi est grand, «vu que les mécanismes pouvant être adoptés au niveau de l’enseignement à distance ne sont pas faciles à déployer sur le terrain.»r>De son côté, le Pr Abdallah Saaf, chercheur senior au PCNS, a signalé que la méthodologie suivie par le ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, s’adapte aux évolutions en cours, tout en rappelant que la proposition de combiner le mode d’enseignement à distance et le mode présentiel demeure sujette à des amendements possibles et exige la participation de tous les acteurs concernés. En outre, il est impératif de développer des programmes de soutien appropriés au profit des élèves et des étudiants en tenant compte du contexte numérique actuel afin d’améliorer les moyens et les ressources d’enseignement et d’éducation disponibles.
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Deux questions à Khalid Chegraoui, professeur universitaire et Senior Fellow r>au Policy Center For The New South
«Il faudra sûrement institutionnaliser le mode d’apprentissage à distance, et pour toujours»â
Pour un pays comme le Maroc, l’enseignement à distance constitue-t-il un atout ou un risque ?r>C’est même devenu une évidence et une exigence, étant donné la situation générée par le Covid-19. De plus, l’enseignement à distance a toujours été pratiqué, certes de manière limitée, pour des formations continues et certaines diplomations professionnelles, qui ne stipulent pas de présence obligatoire, sauf un travail assidu, de cours et d’exercice, avec un système d’évaluation aussi à distance, ce qui a été fait dans les années 1970 et 1960 avec des institutions nationales et étrangères. Ce système a permis un développement de beaucoup de capacités personnelles de petits et moyens cadres ainsi que le développement des rendements. Alors qu’aujourd’hui, avec les moyens de communication et de travail dont on dispose, et vu la situation de la pandémie et, peut-être, d’autres catastrophes auxquelles il faut s’attendre, je trouve que l’enseignement à distance doit impérativement faire partie des cursus, crise ou pas crise. Ce qui demandera une nouvelle approche pédagogique et didactique et des formations adéquates. Et, d’un autre côté, il faudra revoir nos curriculums et nos systèmes d’évaluation et de notation des examens finaux, vers moins de sanctions, pour plus de rendements, à travers des approches par compétences et des classes inversées… Ce qui donnera plus d’opportunités à l’apprenant de développer sa créativité, ses capacités d’innovation et de réflexion par lui-même…
Ce mode d’apprentissage doit-il être considéré comme un élément structurel du système éducatif marocain ou seulement une réponse conjoncturelle au contexte de crise, comme c’est le cas avec le Covid-19 ?r>Il faudra sûrement l’institutionnaliser et pour toujours. La crise du Covid-19 est certainement une catastrophe, mais elle aura eu l’avantage de nous pousser à prendre un nouveau virage, au moins dans le secteur de l’enseignement qui, comme beaucoup d’autres secteurs, en aura pâti. Car, plus que l’économie et autres secteurs, la paralysie de l’enseignement aura un impact très négatif sur les enfants et les jeunes, l’avenir de toute la société, en somme, du fait du confinement et de ses relations complexes imposées à la structure familiale et la société en général. Cette institutionnalisation impose de nouvelles structures et de nouveaux procédés, car cet enseignement, à part ses exigences matérielles, pour l’institution comme pour l’apprenant, et qui ne sont nullement une entrave, nécessite une nouvelle approche didactique et pédagogique qui doit être inculquée dans les centres et les institutions de formation et d’enseignement. Ce nouveau cadre exige, aussi, de nouvelles formes de partenariat public-privé avec intégration des centres de réflexion et des universités. Il faut aussi une meilleure compréhension et confiance en la jeunesse et en ses capacités d’adaptation et de maîtrise des nouvelles techniques et des moyens de communication. Ce modèle impose également un engagement renforcé de la part des communes et des acteurs civils, avec un retour obligé de la responsabilité familiale, car l’éducation est sa fonction quand l’instruction est le fait des structures de l’enseignement et de l’École.