Société

«Le meilleur scénario de déconfinement doit être basé sur la progressivité, la veille sanitaire, la réactivité, le dépistage ciblé et le respect des règles d’hygiène»

Un grand nombre parmi nous ne savent pas comment interpréter les chiffres annoncés quotidiennement par le ministère de la Santé concernant l’évolution de la pandémie du coronavirus au Maroc. Dr Saïd El Kettani, interniste libéral, nous fait une analyse de la situation épidémiologique au Maroc et donne aux lecteurs du «Matin» des conseils pour apprendre à mieux vivre avec ce virus.

28 Mai 2020 À 20:57

Le Matin : Depuis quelques jours, nous remarquons que le nombre de cas de personnes touchées par le coronavirus baisse par rapport au mois dernier, tandis que le nombre d’analyses réalisées quotidiennement a considérablement augmenté. Que pensez-vous de cela ? Est-ce un indicateur positif ?r>Dr Saïd El Kettani : En effet, le Maroc a fait un effort colossal en matière de disponibilité des tests. Il s’agit des réactifs et des laboratoires virologiques dotés d’un niveau de sécurité élevé (P3 ou P4). r>La définition des cas suspects était trop restrictive au début de l’épidémie, actuellement on teste les sujets contacts, donc les chiffres augmentent. Le Maroc est donc passé d’un total de 3.345 tests effectués jusqu’au 1er avril à 34.841 tests au 30 avril puis actuellement (26 mai 2020) à un total de 161.365, soit une progression respectivement de 10,4 fois puis de 4,6 fois. Entre le 1er avril et le 26 mai, le chiffre a été multiplié par 48,2 fois, c’est énorme ! Le taux de positivité des tests fluctue entre 2,9% et 23,3% avec un total actuel (26 mai) de 4,7%. Donc sur 100 malades potentiels testés, seuls un peu moins de 5 sont des porteurs du virus. Cela est excellent. Les premières semaines étaient marquées par une ascension importante jusqu’à 1.200 cas par semaine atteints, lors de la semaine du 13 au 19 avril, puis nous avons enregistré une stagnation relative avec fluctuation des chiffres entre 800 et 1.100 cas par semaine. r>La semaine qui vient de s’écouler confirme la baisse. Pour avoir une vision plus globale, nous allons comparer les situations entre 1er avril, le 30 avril et le 26 mai.  Le nombre total des cas positifs est passé de 654 à 4.423 puis à 7.577, donc il a été multiplié respectivement par 6,8 puis par 1,7. Le nombre global des décès a quant à lui était multiple par 4,4 puis seulement par 1,2. Le taux de létalité qui était de 6% le 1er avril est passé à 3,8% à fin avril puis actuellement à 2,7%. Donc il y a une réelle baisse des chiffres, les semaines à venir vont, je le souhaite, confirmer cela.

Quel est d’après vous le scénario idéal de déconfinement pour éviter une nouvelle rechute et une recrudescence des cas ?r>En analysant les évolutions des nouveaux cas en Italie et en France, il ne semble pas y avoir de deuxième vague après le déconfinement. Nous avons encore 14 jours de recul devant nous. Le meilleur scénario doit être basé sur la progressivité, l’adaptation au contexte local, la veille sanitaire, la réactivité, le dépistage ciblé et l’utilisation raisonnée des moyens d’hygiène et de protection. Concernant la veille sanitaire, il s’agira de rétablir toutes les consultations en incitant les gens à consulter au moindre doute tout en instaurant un système de tri et de double circuit. Il faut inciter le citoyen à une autosurveillance de son état de santé. Combien de ménages disposent d’un thermomètre à domicile. Pour le dépistage, le ministère de la Santé table sur 20.000 tests par jours. Il faudrait privilégier un dépistage ciblé, adapté à chaque ville ou province et périodique des professions les plus exposées (comme réceptrices ou comme émettrices). Le dépistage permet essentiellement d’isoler les contaminants potentiels. Concernant l’hygiène, globalement, protéger les autres passe par l’hygiène constante des mains et l’utilisation adéquate de masques faciaux efficaces, lorsqu’on est à proximité d’une autre personne. L’État doit faciliter aux citoyens l’application des gestes barrière. Les grandes surfaces, les magasins et même les administrations doivent revoir leur mode de fonctionnement. Il faudrait ouvrir les magasins, les guichets de poste vers l’extérieur et ainsi diminuer la condensation à l’intérieur des magasins et des administrations.

Quels conseils pouvez-vous donner aux citoyens pour apprendre à «mieux vivre avec le virus» ?r>Le SARS-Cov-2 actuel va s’ajouter aux autres virus grippaux. Il sera en principe toujours là, pour toute la vie. D’autres virus, plus ou moins dangereux, vont apparaître par la suite. Mon conseil aux citoyens est qu’ils doivent concilier droits et devoirs. Il faut se protéger et protéger les autres toute l’année. C’est l’hygiène constante des mains, se protéger de la transmission par les gouttelettes de salive lors de la parole, l’éternuement ou la toux ! Utiliser l’eau et le savon le plus souvent possible et chaque fois qu’on a touché un objet potentiellement contaminant. Tousser ou éternuer dans un mouchoir jetable ou au niveau du coude. Il va falloir continuer à saluer avec respect, tout en considérant que la main est un objet souillé jusqu’à preuve du contraire. Donc ne pas toucher le visage avant de la laver. Ne pas trop se rapprocher des gens, laisser une zone d’intimité et de courtoisie sociale (gestes barrière). Pendant l’hiver, utiliser de manière adéquate des masques faciaux efficaces lorsqu’on est à proximité d’une autre personne. D’autre part, ce que l’État ou le système sanitaire doit leur fournir pour leur faciliter la tâche est l’éducation civique et la gestion du risque. Est-ce que nous avons investi dans l’éducation civique des citoyens bien avant cette pandémie ? Quand nous observons le nombre de «brûleurs de feu rouge» dans nos ronds-points, nous avons la réponse à cette question. Comment nous comportons-nous dans notre maison avec la bonbonne de gaz, avec le grand couteau de Aïd Adha ou en sortant des toilettes ? Il s’agit de la notion de risque et de sa gestion qui est une donnée malheureusement presque inexistante au Maroc. En tant que médecin, nous en souffrons dans la prise en charge de nos malades chroniques chaque jour. Ici, il s’agit du risque respiratoire et celui lié aux mains.

Y a-t-il une catégorie de personnes qui devrait prendre plus de précautions ?r>Nous devons toutes et tous prendre les précautions habituelles de la voie courante. Les personnes qui devront prendre le plus de précautions peuvent être classées en deux catégories : les émetteurs (contaminateurs potentiels) et les récepteurs (victimes). Les émetteurs sont les personnes qui ont des contacts très sociables ou qui ont un contact étroit avec beaucoup de clients. Ils doivent éviter de contaminer les autres. Parmi les récepteurs, les plus vulnérables et qui peuvent donc présenter des formes graves, voire mortelles du Covid-19, nous citerons les personnes âgées et les malades chroniques. Les études ont montré que les facteurs modifiables responsables de décès sont le surpoids et l’obésité. Pour les éviter, il faut observer une bonne hygiène de vie avec une activité physique régulière adaptée pendant un minimum de 30 minutes par jour ainsi qu’une alimentation saine comportant peu de produits sucrés et peu de pain.

D’après vous peut-on espérer un retour à la vie normale dans quelques semaines, voire dans quelques mois ?r>Le retour à la normale peut se faire dès demain, si nous intégrons l’hygiène et la gestion du risque dans notre vie quotidienne. Les systèmes de santé doivent s’adapter pour faire face aux situations extraordinaires. N’oublions pas que certains épidémiologistes estiment que la grippe saisonnière tue autant que le Covid-19, sinon plus. En Afrique, le paludisme et la famine tuent encore plus. La normalité est une notion relative que la société adopte à un moment donné. Elle change avec le temps et le contexte. Dans les années cinquante en Europe, il était normal qu’une femme n’ait pas de chéquier. Actuellement la norme a énormément changé !

Copyright Groupe le Matin © 2025