12 Mai 2020 À 22:20
Par Faouzi Skali
Les mystiques de l’Islam ont beaucoup médité le hahîth qudsî (propos non coranique où Dieu s’exprime par l’intermédiaire du Prophète-PLS) : «J’étais un trésor caché, J’ai aimé à être connu, J’ai alors créé la création afin d’être connu par elle». Il s’agit de la prière, de l’aspiration de Dieu à être connu, aspiration qui va constituer du point de vue des soufis la finalité de cette création. Le Coran dit : «Je ( Allâh) n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent» (Cor. 52/56), c’est-à-dire selon Ibn Abbâs, l’un des compagnons du Prophète (PLS) et des principaux interprètes du Coran : «afin qu’ils Me connaissent».r>Le sens de la prière et de l’adoration renvoie donc ici du point de vue le plus profond à une forme de connaissance spirituelle. Le terme prière en arabe est généralement traduit par celui de «salât». Le Coran l’emploie aussi bien pour désigner l’office accompli par le musulman au moins cinq fois par jour que pour évoquer la Prière divine par laquelle Dieu, dit le Coran, «est Celui qui prie sur vous ainsi que Ses anges afin de vous faire sortir des ténèbres à la lumière» ( Cor. 33/42). Dans cette perspective spirituelle, ce passage «des ténèbres à la lumière» désigne le processus d’une connaissance par laquelle l’orant est amené à réaliser à travers sa propre prière le vœu et l’aspiration de Dieu (tout d’abord «trésor caché») à être connu.r>La connaissance constitue donc le point de jonction ultime entre l’Aspiration divine et l’aspiration humaine, entre la Prière de Dieu et la prière de l’homme. Cependant, ces mêmes mystiques insistent sur le fait qu’Allâh, Infini et Absolu, restera toujours au-delà de toute connaissance humaine. La prière de chaque être n’est alors que cette aspiration de l’âme à se rapprocher autant que cela pourrait lui être possible de la Présence ou Proximité divines : «... au-dessus de chaque détenteur de connaissance se trouve un autre connaissant», dit le Coran (12/76). Par cette connaissance chaque âme se rapproche d’elle-même, de sa nature (fitra) profonde et intérieure.
La prière cosmiquer>Plusieurs versets du Coran renvoient à cette prière naturelle qui s’exprime dans différentes manifestations de la création : «Ne vois-tu pas que c’est Allâh que louent tous ceux qui sont dans les cieux et la terre, et aussi les oiseaux en volées ; chacun certes connaît sa prière et sa forme de louange, et Allâh sait ce qu’ils font» (Cor. 24/41). Ou encore : «Ne vois-tu pas que devant Allâh se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et ceux qui sont sur terre, et le soleil et la lune, et les étoiles et les montagnes, et les arbres, et les animaux, ainsi que bien des gens...» ( Cor. 22/18).r>L’homme lui-même lorsqu’il est conforme à sa nature première (fitra) est comme toute la création dans un état de louange permanent. C’est ce qu’évoque le verset suivant : «Tiens-toi tourné vers la religion en sincérité, selon la nature première selon laquelle Allâh a créé les humains. C’est la religion immuable mais la plupart ne savent pas» (Cor. 30/30).r>À la différence des autres manifestations de la création qui restent conformes à leur nature première, l’homme perd celle-ci à sa naissance et doit la retrouver d’une manière consciente précisément à travers une démarche spirituelle. Il est remarquable que l’institution de la prière rituelle est la seule parmi les cinq piliers ou arcanes de l’Islam qui ait été révélée au Prophète (PLS) et rapportée par lui à sa communauté, après le voyage nocturne (isrâ’) suivi de l’ascension cosmique (mi’râj) qui devait le mener au-delà du temps et de l’espace, au-delà, nous dit le Coran, du «Lotus de la limite» (sadrat al muntahâ) à proximité de «deux coudées d’arc ou un peu moins» de la Présence divine.
Il y a une analogie symbolique entre le modèle de ce voyage prophétique et celui de la prière elle-même selon un hadîth : «La prière rituelle (salât) est l’ascension cosmique (mi’râj) du croyant» ou encore : «La prière rituelle est un entretien intime (munâjât) entre le serviteur et son Seigneur». Il faut noter que l’orant reproduit dans la séquence du «tashahud» (qui signifie littéralement «rendre présent»), qui suit l’accomplissement de deux cycles complets à l’intérieur de chaque prière rituelle, les termes mêmes de l’entretien qui fut celui du Prophète (PLS) lorsqu’il entra, lors de son mi’râj, en proximité de la Présence divine.r>Lors de ce voyage nocturne la tradition rapporte que le Prophète Muhammed (PLS) va d’abord rencontrer au temple de Jérusalem les grands prophètes qui l’ont précédé pour accomplir, sous sa conduite (PLS), une prière commune. Cette relation horizontale entre le temple de La Mecque et celui de Jérusalem indique que celle-ci s’inscrit dans le sens d’une histoire sainte dans laquelle l’Islam se situe dans la continuité des traditions monothéistes antérieures. La dimension verticale ou ascensionnelle marque un chemin de connaissance dans lequel on retrouve la nature ou la typologie spirituelle de chaque prophète et de son enseignement.r>Cette double dimension n’est pas sans nous rappeler les mouvements rituels de la prière. C’est dans l’acte de la prosternation, qui exprime ce moment extrême de dévotion et de renoncement à soi, que nous sommes, selon un hadîth, les plus proches de Dieu. Un moment qui symbolise, sans que nous en soyons toujours conscients, cette signification ultime de la prière, en tant qu’aspiration et connaissance spirituelles.