16 Mai 2020 À 00:12
Dans le cheminement spirituel, on considère que l’âme passe par plusieurs degrés de connaissance ou de conscience que l’on décrit symboliquement comme étant au nombre de sept. Dans le Coran comme dans le langage soufi, ce chiffre peut désigner la quantité correspondante, mais aussi, dans un sens plus large, une pluralité indéfinie. Il y a en réalité dans ce cheminement intérieur une transformation continue de notre état de conscience, mais aussi cependant des «stations spirituelles» (maqâmât) qui définissent une certaine typologie de l’âme, telle qu’elle est évoquée dans le Coran.r>On pourrait esquisser la description de ces sept degrés de conscience selon la hiérarchie suivante, que l’on retrouve dans différents traités du soufisme et notamment dans les «fuyûdât ar rabbâniya» du Shaykh Abd al Qâdir al Jilânî :r>1. L’âme despotique (an nafs al ammâra) : «Je ne cherche pas à m’innocenter car c’est le propre de l’âme d’inciter (ammâra) au mal, à moins qu’elle ne soit touchée par la grâce de Dieu...» (Cor. 12/53). Ce degré de conscience (ou plutôt ici d’inconscience) se caractérise par certains attributs psychologiques : la cupidité, la négligence, l’arrogance, la recherche de la célébrité, l’envie et l’inconscience.r>2. L’âme «qui se blâme» ou admonestatrice (an nafs al lawwâma) : «Non !... Je jure par l’âme qui admoneste» (Cor. 75/2). Elle est décrite ainsi : le blâme, ressasser des pensées d’une façon incessante (fikr), l’esprit de contradiction, la tendance à déprimer et d’une façon qui peut sembler paradoxale un certain narcissisme (‘ujb). r>3. L’âme inspirée (an nafs al mulhama) : «Par une âme ! – Comme Il l’a modelée en lui inspirant [ce qu’est] son libertinage et sa piété» (Cor.91/7). Dont les qualités sont les suivantes (sans les citer ici dans une hiérarchie particulière) : la science, le détachement, le contentement, l’humilité, la dévotion, le retour à Dieu, la patience, l’endurance et l’acquittement de ses engagements.r>4. L’âme apaisée (an nafs al mutma’inna) : «Ô toi ! âme apaisée ! retourne vers ton Seigneur agréante et agréée» (Cor.59/27-28). Dont les vertus spirituelles sont la sagesse, la générosité et le don de soi, l’abandon intérieur et la reconnaissance des dons divins.r>5. L’âme satisfaite [de Dieu] (an nafs ar râdiya), citée dans le verset précédent, caractérisée par le scrupule spirituel (wara’), la loyauté, le renoncement (tirk), la sincérité ou la libération de tout ce qui est autre que Dieu (ikhlâs), le sentiment de plénitude.r>6. L’âme agréée (an nafs al mardiya), citée également dans le verset précédent. Elle se distingue par la proximité de Dieu, la noblesse de caractère, la délicatesse (lutf), une attitude compassionnelle envers toute la création et une méditation continuelle sur la Magnificence divine.r>7. L’âme accomplie (an nafs al kâmila) qui est l’accomplissement et la synthèse de l’ensemble des qualités précédentes. Pour les soufis, c’est à celle-ci que fait référence le hadîth prophétique : «J’ai été envoyé pour parfaire la noblesse du comportement (ou des vertus)». Dans cette perspective, elle exprime le modèler>«Muhammadien» : «Vous avez dans l’Envoyé de Dieu un beau modèle pour quiconque espère en Dieu, en le jour dernier et invoque Dieu très souvent» (Cor. 33/21). Et, parlant du Prophète (PLS) : «Tu es vraiment d’une grande noblesse de caractère» (Cor. 68/4). Ainsi que le verset suivant : «Nous ne T’avons envoyé que comme une Miséricorde pour les univers» (Cor. 21/107).r> Il faut cependant noter que ce cheminement de l’âme, qui se réalise le long de ces états de conscience, s’exprime aussi en degrés de connaissance et donc par une capacité d’intellection ou d’intelligence de plus en plus affinée et élevée de l’appréhension du réel. Celui-ci étant considéré dans tous les aspects de ses manifestations, matérielles r>et spirituelles.
C’est en ce sens que nous trouvons dans le soufisme, et aussi dans une grande part de la philosophie islamique classique (comme chez Avicenne), ces différents degrés d’approfondissement de l’intelligence (al ‘aql), qui part de la raison pour atteindre, à travers une procession de degrés d’intelligence, l’intelligence universelle (al ‘aql al kullî), qui s’exprime dans tout le cosmos et qui est précisément celle de l’âme muhammadienne.r>L’incapacité d’envisager d’autres formes d’intelligence qui se situent au-delà d’une rationalité matérialiste avait déjà fait dire à Ibn Khadûn : «En se bornant à affirmer l’existence de la raison sans se soucier de ce qui se trouve au-delà, ils firent comme ces naturalistes qui se contentent d’affirmer l’existence des corps sans se préoccuper de Révélation ou d’intelligence, pensant qu’au-delà du corps il n’existe rien d’autre dans l’ordre divin».r>C’est précisément cette question qui a été soulevée d’une façon elliptique à Cordoue, vers 1180, entre Ibn ‘Arabî et Ibn Rushd (Averroës) concernant les liens et les articulations qui existaient entre ces différents types d’intelligence. La conception rushdiennne (qui est celle d’Aristote) a joué un rôle essentiel dans l’émergence du modèle de rationalité qui s’est développé depuis le 14e siècle en Occident pour devenir planétaire. Celle d’Ibn Arabî porte un modèle fécond qu’il nous reste à explorer.