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David Goeury : «Une grande coalition serait difficile à négocier, le RNI pourrait s’orienter vers une alliance restreinte»

Une alliance forte entre le RNI, le PAM et l’Istiqlal serait, selon David Goeury, membre du laboratoire Médiation de la Sorbonne et chercheur associé au think tank Tafra, difficile à gérer et pourrait ne pas tenir sur le long terme. L’expert semble pencher plutôt pour le scénario d’une coalition restreinte.

10 Septembre 2021 À 21:50

Avant de commenter les résultats du triple scrutin du mercredi 8 septembre et de se pencher sur les scénarios possibles des alliances, l’invité de L’info en Face, David Goeury, a souligné la particularité de ces élections générales qui ont particulièrement mobilisé les électeurs du monde rural plus que celui urbain avec un taux de 94%. «On le savait, les élections communales mobilisent largement les électeurs ruraux avec des taux d’inscription record sur les listes électorales dans le monde rural. En revanche, il y avait toujours cette difficulté à mobiliser les électeurs dans le monde urbain avec une situation où le taux d’inscription est resté à 56%», explique le chercheur.

Une situation que les partis politiques ont bien saisie auparavant, notamment le RNI, l’Istiqlal et le PAM. «Nous l’avons bien noté, les campagnes électorales étaient très différentes entre le rural et l’urbain. On le constatait clairement dans les stratégies des partis qui ont dessiné une trajectoire de mobilisation dans ce sens. Ce constat, nous l’avons soulevé chez le RNI, le PAM et le Parti de l’Istiqlal qui avaient augmenté leur taux de couverture des circonscriptions communales. En revanche, on note un effondrement des candidatures du PJD qui avait perdu 47% de ses candidats entre 2015 et 2021», explique M. Goeury. En plus de cette vision stratégique, le RNI a profité d’une adhésion de nouveaux électeurs, notamment les primo-électeurs qui aspirent au changement et qui sont très séduits par les valeurs de l’entreprise. «Il faut bien comprendre que c’est une toute petite minorité de l’électorat urbain. Ça ne représente que 3 à 5% des électeurs urbains, mais dans un contexte de très forte abstention, ce pourcentage séduit par le discours du RNI a pesé sur la balance des choix», ajoute-t-il.  Pour toutes ces considérations, et grâce à une campagne électorale bien maîtrisée, le RNI est désormais en tête et prendra de ce fait la présidence du gouvernement pour déployer son programme et ses promesses. Mais quelles alliances seront possibles pour constituer une majorité appelée à travailler à l’unisson pour relever les défis, et quelle opposition auront ces formations politiques ? Selon notre invité, «le RNI a déjà organisé, lors des élections professionnelles, des alliances et notamment avec l’Istiqlal, en permettant à ce dernier de contrôler deux Chambres du commerce et de l’industrie et des services stratégiques, à savoir Casablanca-Settat et Tanger-Tétouan-Al Hoceïma. Il a aussi fait alliance avec l’USFP, à qui il a permis de présider la Chambre de commerce de Rabat-Salé-Kénitra. On voit donc que le RNI a déjà anticipé des alliances en amont.

La question maintenant, c’est de savoir s’il continuera sur cette dynamique d’alliance ou si, au contraire, il va intégrer le PAM, malgré la très grande rivalité électorale qui s’est constituée entre le PAM et le RNI pendant cette campagne», répond l’invité de L’Info en Face. Certains diront qu’une coalition RNI-PAM est improbable, compte tenu de la rivalité apparente entre les deux formations, mais notre expert rappelle cependant que les deux partis avaient signé, en 2015, alors que l’un était dans la majorité et l’autre dans l’opposition, des accords pour prendre le contrôle d’un certain nombre de régions. «À partir de là, il faut bien comprendre qu’il y a des liens qui se font aussi sur le terrain, mais aussi des oppositions», note M. Goeury. Pour lui, «la grande question qui va se mettre en place, c’est ce rapport entre les dissensions ou les rapprochements nationaux, mais aussi entre les dissensions et les rapprochements potentiels au niveau territorial. Chose qui apparaît quand même beaucoup plus complexe avec l’Istiqlal». Et de noter que «ces arbitrages sont difficiles à mesurer parce qu’il faut avoir à l’esprit aussi la situation dans tous les espaces territoriaux, parce que le Chef du gouvernement ne va pas seulement devoir négocier avec ses alliés des portefeuilles ministériels, Il devra également négocier avec eux des présidences de régions qui sont aujourd’hui hautement stratégiques dans le cadre de la régionalisation avancée qui s’accélère».  Entre le scénario d’une grande coalition RNI-PAM-Istiqlal et un arbitrage entre la formation de Nizar Baraka et celle de Abdellatif Ouahbi, le prochain Chef du gouvernement en charge de former l’exécutif aura donc à trancher.

Une question que notre invité juge complexe. «Si vous faites une grande coalition, il va y avoir beaucoup de négociations pour garantir la stabilité sur le long terme et surtout le partage des responsabilités. Et là, on voit bien que dans ces trois partis émergents beaucoup de profils ministrables et que cela va donc être difficile», souligne l’expert avant de remarquer qu’il va y avoir peut-être une difficulté à faire une grande coalition, parce qu’il est préférable d’avoir un parti d’appoint qui finalement demandera peu que d’avoir des grands partis très exigeants. Donc une grande alliance serait à exclure, selon notre invité au profit d’une coalition restreinte menée par un grand parti, qui est le RNI, et des partis d’appoint, USFP et UC ou le parti de l’Istiqlal, laisse entendre notre invité. De ce choix d’alliances dépendra également la composition du prochain gouvernement. Selon notre invité, le choix de l’exécutif sera déterminant pour mener des politiques de coordination. «Le Chef du gouvernement est avant tout un médiateur au sein de la coalition et, à partir de là, il doit toujours veiller à permettre à chaque ministre de se coordonner avec les autres ministres, notamment si on a à mener des politiques multisectorielle, comme c’était le cas auparavant. Aujourd’hui, on voit bien que les attentes des citoyens sont pour de grandes réformes dans certains secteurs, dont la santé et l’éducation. Mais la question économique et du marché de l’emploi reste aussi stratégique et nécessite donc une politique multisectorielle», explique l’expert. Ceci pour dire qu’un exécutif resserré «permettrait d’éviter les rapports de tension, chaque ministre est un peu le champion de son parti et peut présenter ses résultats aux électeurs. Dans le cas d’une politique multisectorielle et avec beaucoup de ministres, il peut y avoir des tensions très fortes, comme ce qui s’est passé au sein de la coalition précédente», note l’invité de L’Info en Face. 

 

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