11 Juillet 2021 À 20:45
Souveraineté numérique et cybersécurité, ces deux termes résument à eux seuls aujourd’hui les défis majeurs du digital. Des défis qui ont été au centre des débats, vendredi dernier à Casablanca, dans le cadre d’une «Matinale» organisé par le Groupe Le Matin. Prenant part à cette rencontre, la troisième d’une série de quatre, autour des thématiques de la digitalisation, des experts marocains ont insisté sur l’importance de «l’individu», qui doit désormais dépasser le statut du simple consommateur du numérique pour accéder à la citoyenneté numérique. r>Ouvrant les travaux de cette rencontre, le PDG du Groupe Le Matin, Mohammed Haitami, a rappelé le pouvoir de plus en plus grand des multinationales régnant sur le monde de la technologie. «Le pouvoir que se sont arrogé les GAFAM et autres NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) les positionne en réels rivaux des États», a-t-il affirmé en soulignant qu’on est désormais face à des enjeux incommensurables et que les États peuvent être dépassés par la puissance des grands acteurs du numérique. r>Les participants à cette matinale, placée sous le thème «Souveraineté numérique et cybersécurité : enjeux de la transformation digitale», ont assuré en effet que les défis étaient multiples et complexes. Ils ont souligné que rares sont les pays qui arrivent à affirmer leur souveraineté sur le plan numérique, alors que la cybersécurité nécessite, quant à elle, de très grands moyens sur le plan humain et financier.
Souveraineté numérique, seulement deux pays y parviennent
Asseoir sa souveraineté numérique est l’un des principaux défis des gouvernements à l’ère du digital. Pour le moment, deux pays seulement y arrivent. Il s’agit des États-Unis et de la Chine. Malgré tous ses efforts, l’Europe, tout à son développement technologique, n’y parvient toujours pas. Selon Ali El Azzouzi, directeur général de Dataprotect, les grandes multinationales, notamment les GAFAM, ont pris tellement de poids qu’il faudra désormais que les États entrent en discussion avec elles. r>Revenant sur le cas du Maroc, l’expert a affirmé qu’on a encore du chemin à parcourir pour atteindre la souveraineté numérique, laquelle ne peut pas être atteinte rien qu’avec de l’infrastructure. «Il ne suffit pas d’avoir quelques Data Centers sur le territoire marocain et une offre de Cloud locale pour s’autoproclamer souverain sur le plan numérique. Il faut traiter l’ensemble des éléments essentiels de la chaîne de valeurs du numérique», a-t-il souligné en insistant sur le rôle de «l’élément humain» dans ce «combat» pour la souveraineté. r>Un point de vue que partage également Omar Seghrouchni, président de la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP). Intervenant également lors de cette Matinale, le haut responsable a affirmé que «dès lors qu’on sera à même de garantir une société de citoyens du numérique, il serait plus simple pour les États de faire évoluer leurs prérogatives afin d’assurer la dimension de souveraineté». Toutefois, cette souveraineté ne sera jamais absolue, a tempéré M. Sghrouchni.
Dans ce sens, il a assuré que le but est de pouvoir assurer une souveraineté relative, car celle-ci ne «doit pas être appréhendée de façon statique, puisqu’on ne peut pas maîtriser toute la chaîne. Peut-être qu’on pourra maîtriser le mouvement, la capacité de changer de fournisseur, le fait d’être pris en otage d’un paradigme technologique… mais il n’est pas sérieux ni raisonnable de se dire qu’on pourra maîtriser toute la chaîne», a-t-il insisté. r>Affirmant, de son côté, que la souveraineté numérique est un projet de Nation qui en appelle à l’implication de toutes les parties, Abdellah Marrakchi, Head Of Sales Sage Afrique du Nord, a rappelé que la souveraineté doit se travailler dans le temps. Pour y parvenir, l’expert met en avant trois prérequis à prendre en compte : être conscients de l’état des lieux, changer de Mindset et favoriser l’inclusion.
Cybersécurité, un défipour tous
Chaque année, gouvernements et secteur privé dépensent des centaines de milliards de dollars pour se protéger contre les cyberattaques. Et si le secteur financier est la principale cible des «pirates», les autres secteurs ne sont pas épargnés. Ce qui fait de la cybersécurité l’un des défis majeurs du digital. Intervenant également lors de cet événement, le président de l’Association des utilisateurs des systèmes d’information au Maroc (AUSIM), Mohamed Saâd, a affirmé que la position du Maroc dans ce domaine n’est pas très confortable, comme l’atteste le «Global Cybersecurity Index 2020», dans lequel le Royaume est classé en 50e position.
Appelant à la mise en place d’organismes nationaux spécialisés dans la sécurité digitale, l’expert a affirmé que le projet d’une «digital nation» se construit sur le terrain avec le développement d’une offre technologique adéquate et la formation des bonnes ressources humaines. Ce volet en particulier fait encore défaut au Maroc. Selon M. Saâd, il est toujours difficile de trouver de bons profils dans certains domaines. Il rejoint dans ce sens les affirmations de M. El Azzouzi, lui aussi très insistant sur l’importance de la formation.r>L’intervenant, a mis l’accent, dans ce sens, sur l’importance, en plus des financements, des ressources humaines afin de faire face à l’enjeu sécuritaire. «Si le Maroc arrive aujourd’hui à produire quelque 15.000 ingénieurs par an, les profiles spécialisés dans la cybersécurité restent très rares», ont déploré les participants, notamment Ahmed Saïhi, IBM Security Channel Sales Leader Nord et Ouest Afrique. Et de conclure que le maillon le plus faible de la chaine du numérique est l’individu, d’où l’importance de la formation et de la sensibilisation.
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Discours d’ouverture de Mohammed Haitami, président-directeur général du Groupe Le Matin
Souveraineté numérique : «L’enjeu est incommensurable et les États peuvent être dépassés en l’absence d’actions efficaces et organisées»
«Qui dit enjeux de souveraineté numérique dit aussi confiance dans le numérique, ce qui suscite deux conséquences : confiance dans la présence d’un régulateur doté de pouvoirs et d’autonomie et confiance dans la fiabilité des réseaux et plateformes, ce qui nous mène tout droit vers la cybersécurité.»
«Bienvenue à cette troisième Matinale du cycle de conférences du Groupe Le Matin autour des nouveaux enjeux de la digitalisation. Le thème d’aujourd’hui concerne la souveraineté numérique et la cybersécurité. Deux mots qui embrassent un champ vaste et résument à mon sens les défis du digital. Parler de souveraineté numérique renvoie au concept de puissance de l’État. Or les activités humaines sont désormais régies par les technologies, ce qui met les États en choc frontal avec les grands acteurs qui règnent sur ces technologies.
Pour le dire simplement, nos sociétés dépendent de ces technologies et ces technologies sont contrôlées par ces multinationales. Les réseaux, la connectivité, les plateformes échappent aux États. Si vous ajoutez les objets connectés, les robots, les algorithmes et l’intelligence artificielle qui sont régis par des codes informatiques et non pas par le Code civil, le Code de la famille ou le Code électoral. Lesquels standards et normes techniques sont élaborés par des ingénieurs informatiques en lieu et place des textes juridiques élaborés par les Parlements. Le pouvoir que se sont arrogé les GAFAM et autres NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) les positionne en réels rivaux des États. Les modes de gouvernement sont bouleversés et la data devient le pétrole du 21e siècle. Rappelons-nous les manipulations des élections dans plusieurs pays, l’industrie des fake news, l’affaire Snowden, etc.
Nous sommes face à des enjeux incommensurables et les États peuvent être dépassés par la puissance des grands acteurs du digital, en l’absence d’actions efficaces et organisées. Aujourd’hui, force est de constater que certains pays commencent à peine de prendre conscience de ces problématiques, comme c’est le cas en Europe avec le RGPD (Règlement général de protection des données personnelles) qui a consacré certains droits comme le droit à l’oubli – au déréférencement, à la portabilité des données et au consentement –, à l’information et à la rectification. Qui dit enjeux de souveraineté numérique dit aussi confiance dans le numérique, ce qui suscite deux conséquences : confiance dans la présence d’un régulateur doté de pouvoirs et d’autonomie et aussi confiance dans la fiabilité des réseaux et plateformes, ce qui nous mène tout droit vers la cybersécurité. C’est pour dire que la thématique que nous proposons au débat lors de cette Matinale est d’une importance cruciale pour le présent et le r>futur du monde.»
https://www.youtube.com/watch?v=zk2G787a6pc&t=4s&ab_channel=MATINTV
L.M.