Économie

Ce que propose le patronat pour une croissance économique durable

Le Livre blanc de la CGEM, dévoilé en fin de semaine dernière, présente les 10 priorités de la Confédération pour les années à venir. De l’appui aux TPME à la fiscalité, en passant par le financement des entreprises fragilisées par la crise ou encore la promotion du Made in Morocco, le document renferme une série de recommandations et mesures pour une relance économique durable. Le détail point par point.

Le Livre blanc a été présenté vendredi dernier, un moment fort pour la CGEM. Ph. Seddik

17 Octobre 2021 À 19:12

Appui aux TPME : mettre  en place des mécanismes  d’accompagnement intégrés

La CGEM recommande de doter le Maroc d’un Small Business Act (SBA), cheval de bataille d’une refonte du cadre juridique et institutionnel de la TPME. Une revendication qui ne date pas d’aujourd’hui. Ce SBA assurera la mise en place de structures en charge de la promotion de la TPME, l’octroi de mesures incitatives ainsi que la facilitation d’accès aux marchés publics. La CGEM préconise également de faire évoluer la société nationale de garantie et de financement de l’entreprise (ex-Caisse Centrale de Garantie) vers une banque publique d’investissement orientée TPME, s’appuyant sur les mécanismes existants, tels Finéa, Maroc PME, pour offrir des solutions de financement innovantes et adaptées aux besoins des différentes catégories de TPME (crédit, garantie, aides à l’innovation, fonds propres), ainsi qu’un service d’accompagnement de proximité.


Commande publique : stimuler la demande et promouvoir le Made in Morocco

Le Nouveau Modèle de développement préconise «d’actionner la commande publique comme levier stratégique de développement productif». Pour la CGEM, une commande publique efficiente et transparente doit permettre d’irriguer l’économie nationale, de développer un renouveau du capitalisme marocain à travers de nouveaux types d’acteurs, de favoriser l’émergence de nouveaux secteurs stratégiques et d’optimiser l’allocation des ressources de l’État.  Elle propose donc de changer les codes de la commande publique, pour les administrations ou les établissements publics afin de permettre de donner une chance aux entreprises jeunes et petites, en supprimant, par exemple, les critères discriminants (telles années d’expérience, taille de l’entreprise), omniprésents dans les appels d’offres publics. Elle recommande aussi de renforcer la préférence à l’intégration locale dans la commande publique, tout en garantissant la compétitivité, notamment à travers la justification systématique et factuelle d’achats publics ne favorisant pas le développement de contenu local.


 Énergie : accélérer la libéralisation maîtrisée du secteur électrique

Le NMD fixe l’objectif pour le Maroc de «devenir champion régional de l’énergie bas carbone» et d’atteindre un coût de l’énergie électrique pour les industries énergivores de 0,5 dh/kWh à horizon 2035. Le Livre blanc de la CGEM met l’accent sur la réforme du secteur et de ses acteurs et fait le plaidoyer d’une libéralisation progressive du secteur, en intégrant la moyenne tension dans le périmètre libéralisé, avec un régulateur fort, garant de la véracité des coûts et de la qualité des opérateurs. Il est également recommandé de libérer le plein potentiel de la production décentralisée, notamment en ce qui concerne l’injection de l’excédent d’énergie avec contrepartie et la possibilité d’investissement par des tiers avec faculté de vente d’électricité à l’autoconsommateur.


Financement : instaurer  une solution de distribution de quasi-fonds propres

La crise économique liée à la Covid-19 a entraîné une dégradation majeure de la solvabilité du tissu entrepreneurial marocain. Beaucoup de PME marocaines ont dû s’endetter lourdement pour traverser la crise, notamment via Damane Oxygène/ Relance. Dans ce sens, la CGEM préconise d’allier les capacités de l’État, des investisseurs institutionnels et des investisseurs privés pour injecter des quasi-fonds propres via le Fonds Mohammed VI pour l’investissement afin de rééquilibrer les bilans des PME et entreprises performantes affectées par la crise. Des fonds sectoriels dotés de 2 à 3 milliards de DH pourraient être déployés pour investir des obligations convertibles avec bons de souscription d’actions (OC-BSA) auprès des PME performantes opérant dans des secteurs stratégiques comme le tourisme et l’industrie. Ces mécanismes sont en ligne avec l’appel du NMD à «diversifier le système financier, au service du financement de l’économie et des besoins des entreprises». Ils permettraient ainsi de poser les bases nécessaires pour une dynamique de relance économique saine et pérenne.


Capital humain : nouvelle  approche pour développer les compétences professionnelles

Le développement du capital humain, abondamment évoqué par le NMD, constitue l’une des clés de la réussite du Maroc. À court terme, deux mesures sont proposées par la CGEM. La première est d’amender la Loi 60-17 qui ne fait que renforcer les dysfonctionnements chroniques dont souffre le dispositif de la formation continue. En effet, le NMD pointe la gouvernance comme un frein à la réforme, en raison de la position dichotomique de l’OFPPT, à la fois allocataire de ressources et gestionnaire de l’offre de formation professionnelle. Pour la Confédération, il est urgent de simplifier et digitaliser les mécanismes des Contrats spéciaux de Formation dont la complexité ne permet qu’à 1% des entreprises assujetties à la taxe de formation professionnelle (TFP) d’en bénéficier et de mettre en place une gouvernance participative et cohérente définissant clairement les rôles et les responsabilités des parties prenantes. La seconde mesure consiste à créer de nouveaux types de centres de compétences alliant les forces du public et du privé. Au niveau de la formation professionnelle, elle recommande l’instauration d’Instituts à Gestion déléguée (IGD), cités par le NMD comme un modèle à succès. Cela pourrait se traduire concrètement par l’opérationnalisation d’ici 1,5 à 2 ans de centres publics-privés d’un nouveau genre pour couvrir progressivement l’ensemble des secteurs.


Fiscalité : changer de paradigme pour relancer la demande

La révision de la fiscalité est aux yeux du patronat, une nécessité qui appelle à optimiser le plein potentiel fiscal de l’économie nationale. «La fiscalité marocaine présente aujourd’hui plusieurs distorsions, et est marquée par une pression élevée sur les opérateurs nationaux, une concentration des contribuables, une multitude de taxes locales, un vide autour de l’économie verte et sociale, une faible attractivité au regard des investisseurs, et une confiance limitée entre les contribuables et l’administration», déplore la Confédération. Celle-ci propose ainsi 8 mesures pour rendre le cadre fiscal plus attractif, dont l’initiation de la baisse de l’IS afin de le ramener au taux internationalement admis, la réduction progressive de la cotisation minimale en vue de sa suppression (au plus tard en 2025), la réforme de la TVA qui doit assurer la neutralité de cette taxe pour les entreprises. La Confédération patronale propose, en outre, davantage d’innovations. L’objectif étant d’accélérer la formalisation de l’économie à travers des statuts spéciaux permettant un mode simplifié de recouvrement de l’impôt et des cotisations sociales, ou encore la mise en place d’une fiscalité verte pour accélérer la décarbonation de l’économie. Elle recommande par ailleurs l’introduction d’une TVA intermédiaire de 10% sur 2 ans pour les secteurs économiques les plus touchés par l’informel.


Code du travail : l’indispensable mise à jour

Le Code du travail, promulgué en 2004, est resté inchangé pendant ces 17 dernières années alors que certains de ses articles sont devenus obsolètes ou sujets à différentes interprétations. Comme le NMD, le Livre blanc de la CGEM souligne un déphasage entre la législation du travail et les mutations économiques et sociales en cours. Un code du travail adapté à l’économie moderne et aux nouveaux modes de travail, ainsi qu’aux défis de l’emploi et de la justice sociale devient donc une nécessité et un outil incontournable pour le développement de notre pays. La CGEM prône l’introduction de la flexibilité du travail au niveau des dispositions du Code du travail, en conciliant compétitivité des entreprises et sécurité légitime des salariés. La CGEM considère en effet cette flexibilité comme une «véritable» solution pour contribuer à la baisse du chômage puisqu’elle procurerait aux entreprises les outils pour un meilleur équilibre offre-demande, qui prendrait en considération les fluctuations de leurs marchés et la conjoncture économique. De même, le patronat recommande de réglementer les nouveaux modes de travail comme le travail à distance et le travail à temps partiel, qui pourraient avoir un impact déterminant sur l’activité économique des femmes et des travailleurs en région, et participer fortement à la portabilité des droits des travailleurs et à la mobilité de l’emploi.


Logistique : encourager la productivité des ressources foncières industrielles

Le secteur logistique constitue un enjeu majeur du développement socio-économique du pays. Comme le souligne le Nouveau Modèle de développement, l’activité représente un facteur majeur de compétitivité et d’attractivité économique et une condition nécessaire à la réalisation des plans de développement sectoriels. Dans son Livre blanc, la CGEM propose plusieurs mesures pour atteindre l’objectif du NMD de diminuer le coût du transport et de la logistique à 12% du PIB en 2035. Parmi les enjeux clés du secteur figure sa structuration. En effet, la fragmentation et le manque d’optimisation du secteur entraînent un renchérissement des prix et découragent les initiatives d’externalisation. Dans ce sens, la CGEM recommande d’implémenter rapidement une mesure encourageant l’agrégation des acteurs logistiques, soit en proposant des incitations à l’investissement, soit en orientant les marchés publics vers des achats auprès d’agrégateurs logistiques structurés. Le patronat préconise, à court terme, une mesure «forte et coercitive» visant à stimuler la valorisation du foncier existant. Il s’agit, en effet, d’une injonction légale qui donnerait un an, à partir du 1er janvier prochain, aux détenteurs de foncier industriel inexploité pour démarrer les investissements promis, sous peine d’être contraints de le remettre sur le marché au prix initial d’achat. Pour la CGEM, l’accès au foncier industriel reste entravé par plusieurs barrières, dont l’étroitesse de la réserve foncière. Or, l’amélioration de cette accessibilité représente un enjeu majeur pour le renforcement de la compétitivité de l’économie nationale, tant pour améliorer la compétitivité individuelle des entreprises, notamment face aux concurrents étrangers, que pour susciter davantage d’investissements productifs, créateurs d’emplois durables.


L’innovation et la R&D, incontournables pour la compétitivité

Le NMD se fixe comme ambition de faire du Maroc une terre d’opportunités pour toute entreprise souhaitant engager une démarche novatrice, en développant un système national d’innovation qui permettrait de mobiliser l’ensemble des acteurs publics et privés autour de l’enjeu de la montée en gamme de l’économie marocaine et de l’accès des entreprises à la R&D. Dans ce sens, le Livre blanc propose un certain nombre de mesures autour de la fiscalité, la gouvernance ou la structuration de l’écosystème national. Parmi celles-ci, deux mesures prioritaires pourraient être implémentées relativement rapidement. Il s’agit de labelliser des centres de recherche de qualité, qu’ils soient universitaires, centres privés ou même intra-entreprise, et subventionner tout projet de R&D industriel réalisé par ces centres. Ces centres labellisés serviraient de catalyseur de l’innovation en permettant le co-financement public-privé de projets de recherche émanant d’entreprises privées et respectant des cahiers des charges prédéfinis. Le patronat propose en outre de procéder à la refonte du cadre réglementaire et à la levée des barrières pour permettre aux acteurs porteurs d’innovations technologiques, notamment dans le domaine numérique, d’accéder aux marchés cibles.


Renforcer le rôle de l’État régulateur et planificateur

Le NMD repose sur le principe d’un État «fort» et une vision pragmatique du rôle de ce dernier. Le cœur du modèle de développement étant d’accélérer l’entrepreneuriat et les initiatives privées, les prérogatives économiques de l’État doivent évoluer et progressivement se resserrer autour des fonctions de régulation des marchés. Objectif, permettre une plus grande compétition et une protection des consommateurs, ainsi qu’une meilleure planification, y compris régionale. L’un des principes de la nouvelle administration doit également être l’efficience des dépenses publiques. L’État doit permettre, selon le patronat, de libérer des marges de manœuvre pour le recrutement d’une élite de l’administration intéressée et focalisée sur des problématiques de régulation, y compris sur les Accords de libre-échange, et de planification à très haute valeur ajoutée. Concernant les métiers traditionnellement considérés comme du service public, de nouveaux modèles publics-privés doivent être explorés afin de fournir aux entités en question l’autonomie nécessaire pour gérer leurs opérations et ressources humaines sur la base de la performance et ce, pour mieux répondre aux besoins des administrés et attirer davantage les talents. Cela permettra également de lancer des acteurs de référence dans l’économie sociale.

Abdelhafid Marzak - Said Naoumi

 

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