20 Janvier 2021 À 20:21
Le Matin : Quelques années après vous être éclipsé du Festival de Fès des musiques sacrées du monde, vous revenez dans votre ancien poste de directeur général du Festival et du Forum «Une âme pour la mondialisation». Quelle impression cela vous fait de reprendre le direction de cet événement exceptionnel ?r>Faouzi Skali : Il est remarquable que l’esprit de ce Festival colle toujours à l’actualité, chaque fois d’une façon différente. Dans le contexte de cette incroyable pandémie, on s’interroge plus que jamais sur la place de la spiritualité dans nos sociétés et dans un monde qu’il nous faudra en bonne partie apprendre à reconstruire. Comment retrouver un nouveau sens des équilibres, de tempérance et d’un art de vivre qui puisse rétablir une harmonie entre les dimensions matérielles et spirituelles de notre existence, entre savoir et spiritualité, foi et raison ? C’est cette sorte de miracle qui a traversé la civilisation musulmane de l’Andalousie pendant huit siècles, et sa fameuse convivencia (coexistence), dont il nous faudra tirer des leçons pour cette reconstruction de l’avenir. C’est la raison pour laquelle nous avons intitulé cette 26e édition «Nouvelles Andalousies». Le Maroc a plus de 12 siècles d’expérience dans ce domaine précis. Il s’agit d’un axe civilisationnel et stratégique profond qui est porté avec un brio exceptionnel par Sa Majesté le Roi aujourd’hui et qui est à la base du soft power dont bénéficient notre culture et notre pays. Je me réjouis de diriger à nouveau ce Festival et son Forum qui sont des champs d’expérimentation et de réflexion passionnants sur ce sujet et aussi un moyen d’exprimer ces valeurs et cette culture spirituelle qui est au cœur de notre histoire.
Allez-vous garder le même concept du festival ou avez-vous d’autres idées en tête ?r>Ce projet est une œuvre de créativité vivante qui est aussi une réflexion en marche. D’où l’importance de cette association particulière entre les deux aspects de l’art, en l’occurrence la musique sacrée et les échanges et débats qui ont lieu dans le Forum «Une âme pour la mondialisation» qui a constitué, à travers le temps, une sorte de «Davos spirituel». Celui-ci a été fondé en 2001, il y a donc tous justes 20 ans, donnant lieu à la publication de plusieurs ouvrages. Pour les raisons que j’évoquais plus haut, le Forum revêtira une importance toute particulière pour cette prochaine édition.
Quelles sont, selon vous, les perspectives sur lesquelles peut s’ouvrir le festival pour prendre un nouvel élan ?r>Ce Festival touche toutes les cultures et spiritualités du monde et il doit s’élargir, par sa nouvelle équipe multidisciplinaire et multilingue, à sa vocation mondiale d’origine. De nombreux partenariats et réseaux peuvent être créés et réactivés pour, précisément, faire porter cette vision de notre pays à travers le monde. Il y a, certes, un moment fort de chaque édition à Fès. Mais la philosophie de ce Festival, pour laquelle il y a une véritable fascination, doit être exposée, partagée et diffusée tout le long de l’année. Nous avons la chance d’avoir une équipe particulièrement compétente pour réaliser cela. Le développement de l’aspect numérique dans son association avec les rencontres directes et, comme l’on dit maintenant, «présentielles» , va je pense y contribuer d’une façon significative.
En 2020, le Festival n’a pas eu lieu à cause de la pandémie de la Covid-19. Est-ce que cette suspension pourrait avoir un impact sur la prochaine édition ?r>Ce Festival et son Forum, qui sont placés sous les auspices de la sagesse et de la spiritualité, doivent essayer d’être en cohérence avec ces valeurs et savoir-faire face aux épreuves et aux difficultés. D’un point de vue spirituel, les épreuves sont des leçons de vie, mais aussi des opportunités pour trouver des ressources en soi pour continuer et, bien souvent, aller plus loin encore. La culture, ainsi comprise, n’est pas une simple distraction. C’est une nourriture pour forger en toute conscience le monde que nous voulons léguer à nos enfants. Mais aussi, comme cela a été dit, les enfants que nous allons léguer à ce monde. Faisons en sorte que ceux-ci témoignent des valeurs d’art et de beauté que le Festival véhicule. Puis, de notre capacité à échanger pour élever nos pensées et affronter l’avenir. Le Festival doit, dans tous les cas, faire preuve d’adaptation et de créativité.r>Si, par exemple – ce que nous ne souhaitons pas –, les mesures de prévention contre la pandémie persistent jusqu’à la date du festival, comment allez-vous procéder pour gérer le déroulement de cette édition ?r>Un projet comme celui-ci doit bien entendu prévoir toutes les solutions alternatives possibles selon l’évolution de la situation sanitaire. Nous prévoyons si les choses reviennent à la normale de faire le Festival en juin prochain. Nous pouvons le cas échéant faire une partie en «présentiel» pour respecter les jauges prescrites et une autre sous forme digitale et sur grands écrans. Une autre possibilité est la forme purement digitale avec simultanément des partenariats privilégiés avec les médias nationaux et internationaux pour des partages de contenus. Pour dernier recours, nous pourrions, en accord avec tous nos partenaires et contributeurs, décaler la date au moment le plus approprié. L’essentiel est de garder le cap d’un projet culturel et de son ingénierie dont la dynamique, qui s’inscrit dans la durée, puisse être maintenue en toutes circonstances.r>Il ne faut pas oublier, en effet, que le Festival et son Forum ne sont pas seulement des événements ponctuels, mais se déclinent pendant toute l’année sous des formes diverses.