01 Avril 2022 À 19:32
Les prix des matières premières flambent depuis plusieurs mois et ne donnent pour le moment aucun signe d’accalmie. Ce renchérissement dû à plusieurs facteurs et qui a touché tous les marchés frappe de plein fouet surtout les industriels importateurs.
Vu le coût que cette flambée fait peser sur eux et étant donné qu’il est extrêmement difficile de prédire sa durée et son ampleur future, ces opérateurs n’ont d’autre choix que de se couvrir contre cette hausse des prix. D'autant plus qu’une offre importante et ciblée existe sur le marché. C’est la principale conclusion d’une Matinale organisée, la semaine dernière à Casablanca, par Groupe Le Matin, dans le cadre de son cycle de conférences, sous le thème : «Flambée des matières premières : Quelles possibilités de couverture pour les importateurs ?».
«Depuis l’automne 2020, les prix des matières premières n’en finissent pas de s’envoler. Métaux, denrées alimentaires, produits pétroliers, bois et dérivés…, tous les marchés sont concernés. Les hausses sont à deux chiffres, voire trois», lance d’emblée Mohammed Haitami, Président-directeur général du Groupe Le Matin, à l'ouverture de la rencontre.
Pourquoi cette flambée ?
Certes la guerre en Ukraine a contribué au renchérissement des matières premières, mais «le plus gros du mouvement est intervenu bien avant cette guerre», fait remarquer, chiffres à l’appui, Hicham Boularbah, Directeur général de Haris Financial, cabinet indépendant de conseil, spécialisé dans l’accompagnement en gestion des risques de change, de taux d’intérêt et de prix des matières premières.
Un constat partagé par les autres intervenants. Ces hausses «s’expliquent par plusieurs facteurs : dérèglement climatique, perturbation des chaines logistiques mondiales, décalage entre le redressement de la demande et l’offre post-confinement, spéculation boostée par les plans de relance des principaux pays, reprise trop rapide de l’économie chinoise, guerre Russie-Ukraine…», indique Mohammed Haitami. Ces deux pays en conflit armé représentent, en effet, 30% de la production mondiale de céréales et 15 à 20% de l’offre export de ces produits.
D’autres facteurs sont également mis en cause. Il s’agit notamment, selon Hicham Boularbah, d’une poussée du protectionnisme, de la course à l’achat de ces matières pour les stocker, de la rareté de la main-d'œuvre pour la récolte de ces denrées... Cette situation a produit des effets négatifs certains sur le Maroc, aussi bien au niveau des comptes extérieurs que sur les opérateurs.
Le Maroc est en effet un net importateur de ces matières premières. L’année dernière, sa facture énergétique a dépassé 75,63 milliards de DH et sa facture alimentaire a frôlé les 60 milliards de DH, a rappelé Driss Benchikh, Secrétaire général de l’Office des changes. Le Maroc a importé d’Ukraine pour 5 milliards de DH en 2021, dont la moitié en blé, et 18 milliards de DH de Russie, dont les matières premières.
S’agissant des opérateurs, «les industriels importateurs sont fortement bousculés par cette hyper-inflation», indique le PDG du Groupe Le Matin. «Relevant à peine la tête de la crise sanitaire et des arrêts de production, ils sont confrontés à l’indisponibilité des matières qui fait tourner leurs capacités à bas régime. Et quand ils en trouvent, c’est au prix fort et souvent sans possibilité de répercuter la hausse sur leurs clients. Une situation complexe qui menace la survie de pans entiers du tissu économique si la flambée persiste», souligne Mohammed Haitami. «Le pire est que personne n’est capable de prédire la fin de cette flambée», s'alarme-t-il.
«La seule certitude c’est l’incertitude», note, de son côté, Mohamed Fakhreddine, DGA en charge de la Banque de Financement et d'Investissement du Groupe Crédit Agricole du Maroc.
Que faudra-t-il faire alors ?
Il faut se couvrir contre les risques de prix des matières premières, notent à l’unanimité les intervenants lors de cette Matinale.r>«Des solutions pour faire face à la volatilité des prix des intrants existent. Ces solutions se présentent sous forme de produits financiers dits “de couverture” prévus dans la réglementation et offerts par le système bancaire depuis des années, ainsi que par des cabinets spécialisés», rappelle Mohammed Haitami.
Les avancées réalisées par le Maroc dans ce domaine, notamment depuis 2018 avec l’enclenchement de la réforme du régime de change, ont même été qualifiées de révolution par Driss Benchikh. La nouvelle réglementation offre, en effet, note-t-il, des facilitations très importantes. Les opérateurs peuvent appeler leurs banques et trouver tous les instruments dont ils ont besoin, souligne-t-il.
Toutefois, pour bénéficier de cette couverture, l’opérateur doit justifier son adossement à un objet réel, c’est-à-dire une opération financière ou commerciale, l’objectif étant de s’assurer qu’il s’agit d’une maitrise d’un risque et non de spéculation. L’opérateur doit également avoir une politique globale de gestion des risques validée par le conseil d’administration. Ainsi, l’Office des changes offre aux importateurs la possibilité de couvrir 25% du chiffre d’affaires réalisé lors des 3 dernières années et 100% pour les exportateurs.
Cette réglementation a été, d’ailleurs, enrichie. Il s’agit, indique le SG de l’Office des changes, de la possibilité donnée aux exportateurs et aux importateurs dès cette année d’avoir une couverture sans justifier de l’adossement au départ et d’attendre le dénouement de l’opération pour le faire. Il s’agit aussi de la possibilité pour les opérateurs de couvrir ce qui est importé et stocké (auparavant la garantie couvrait seulement ce qui est importé ou exporté), ajoute Driss Benchikh.
Autre nouveauté, ces opérateurs peuvent couvrir ce qui a été acheté localement à condition d’être négocié sur un marché international organisé, indique Driss Benchikh. Ce qui profite à toute une nouvelle population, tels les transporteurs pour ce qui est de l’approvisionnement en carburants et les éleveurs en aliments de bétail, fait remarquer Boularbah.
Par ailleurs, les opérateurs ont également la possibilité de se couvrir à l’international, mais ils doivent passer par une banque marocaine. La couverture contre les risques de hausse des prix est donc vivement recommandée aux opérateurs notamment les importateurs dans ce contexte d'incertitudes. Toutefois, avec la fluctuation des prix, il existe aussi un potentiel de baisse, observe Boularbah. Par conséquent, Ibrahim Ait Salem, responsable trading à Graderco, insiste sur l’optimisation du coût de la couverture, autrement dit «payer le moins pour une protection la plus importante possible».
Et qu’en est-il du coût ? Il dépend de la taille de l’opération, indique Mohamed Fakhreddine. Globalement, ces solutions sont bien exploitées, affirme le Secrétaire général de l’Office des changes, s’appuyant sur des remontées d’information de la part des banques. Toutefois, elles le sont surtout par les grands opérateurs, nuance-t-il. D’où la nécessité de la sensibilisation des TPME, souligne-t-il, notant que cet effort a déjà commencé, en partenariat notamment avec l’association marocaine des salles des marchés.
Nabil Adel : L’inflation importée au Maroc arrive dans un terrain favorable
En plus des facteurs cités pour expliquer la hausse de l’inflation dans le monde, l’économiste Nabil Adel avance un autre facteur qui n’a pas été assez mis en avant, à son avis. Il s’agit, explicite-t-il, d’une politique monétaire accommodante voire «laxiste», avec une injection de liquidités d’une manière inédite dans l’économie. Il relève, en effet, que la Fed achète même des bonds spéculatifs.r>Cette inflation arrive au Maroc sur un terrain favorable, estime-t-il, considérant que le maintien du taux directeur par Bank Al-Maghrib à 1,5% n’est pas prudent. On s’endette pour consommer. Pour lui, il faut plutôt relever ce taux pour juguler l’inflation.
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Ils ont déclaré
Driss Benchikh, secrétaire général de l'Office des changes
« La gestion des risques de changes est très faible chez les PME, il faut miser sur la vulgarisation »
« Après le lancement de la réforme du régime des changes fixes, l’Office des changes a engagé, ces dernières années, une grande réforme en matière de couverture contre les risques financiers, d’une manière globale. Cette réforme englobe la couverture contre les risques de fluctuations des matières premières. En effet, la réglementation des changes a apporté des mesures et des assouplissements très importants, dans la mesure où elle permet aujourd’hui à l’opérateur marocain de se prémunir contre les risques financiers et à la banque marocaine de se prémunir contre les risques de change. Concrètement, un opérateur marocain peut s’adresser à sa banque où il va trouver l’ensemble des instruments de couverture contre les risques de change, de taux d’intérêts, des matières premières. Il peut couvrir les matières importées, exportées ou importées et stockées. Parmi les nouveautés les plus importantes de la version 2022 en matière de couverture contre les risques financiers, il y a la possibilité de se couvrir des prix des matières premières achetées au niveau local, à condition que leurs prix soient négociés au niveau d’un marché international organisé. L’effort à faire aujourd’hui, c’est de continuer les campagnes de vulgarisation et de toucher les PME, parce que la pratique a montré que ce sont généralement les grands opérateurs qui recourent aux instruments de couverture. La proportion des PME qui ont recours aux instruments de couverture reste faible, donc l’effort de vulgarisation, de sensibilisation et d’accompagnement de ces entreprises doit continuer, en concertation avec la Banque centrale et l’association des salles de marchés. D’ailleurs, nous avons organisé une grande campagne au niveau national dans toutes les régions pour initier les entreprises marocaines, surtout les PME, à la culture de gestion des risques de change ».
Mohamed Fakhreddine, DGA en charge de la Banque de financement et d'investissement du Groupe Crédit Agricole du Maroc
« Il y a de la pédagogie à faire au niveau des petites structures pour maitriser la gestion des risques »
« Les banques marocaines disposent aujourd’hui de tous les produits de couverture des matières premières, mais également du change, parce que c’est une composante importante de la vie des entreprises qui sont liées à l’international. Ceci en plus de notre offre classique de financement en dirhams et en devise pour accompagner ces entreprises. Pour les grandes entreprises, le problème ne se pose pas, car elles savent gérer leurs risques et juguler leurs effets. Il y a aussi des PME qui sont très actives sur l’international et qui connaissent les produits de couverture, mais forcément il y a de la pédagogie à faire au niveau des petites structures, qui sont de plus en plus agissantes au niveau international, pour connaitre, comprendre et maitriser les mécanismes de gestion des risques et ainsi pouvoir arbitrer leurs opérations pour avoir les meilleurs agrégats possibles au niveau du change. Notre banque travaille sur le sujet, nous organisons des séminaires de formation que nous relayons également au niveau de notre réseau. Nous recevons également pour leur expliquer l’importance de ces mécanismes. Je pense que le marché du change est assez mature aujourd’hui. Le marché des couvertures des matières premières a été, pour sa part, récemment reboosté par les nouvelles instructions de l’Office des changes, qui accompagne cette volonté de couverture des opérateurs. Donc, je pense que c’est un marché très efficient ».
Hicham Boularbah, Directeur général de Haris Financial
« La crise russo-ukrainienne n'a fait qu'accentuer l'incertitude sur les marchés »
« Cette crise russo-ukrainienne n'a fait qu'accentuer une situation, qui s’est installée depuis fin 2020, sur les différents marchés. Cette incertitude, nous la vivons depuis plus d’un an pour des raisons d’offre, des conditions climatiques, mais aussi pour des aspects liés à la reprise de la demande. Ainsi, de plus en plus d’entreprises devraient s’investir dans la gestion de risques. Le secteur bancaire offre aujourd’hui un accès aux instruments de couverture dans des conditions comparables à ce qui se fait ailleurs. Donc, aujourd’hui, on est plutôt bien outillés pour gérer nos risques, maintenant il faut franchir le pas. Certes, beaucoup d’entreprises l’ont déjà fait, mais malheureusement pour le moment, il s’agit essentiellement des grandes entreprises, les PME ne sont pas assez sensibles à ces aspects. Il y a toute une démarche pédagogique portée par la Banque centrale, l’Office des changes et l’association des salles de marchés pour vulgariser les instruments de couverture et accompagner la PME-PMI à sauter le pas et à mieux gérer son risque de change et des prix des matières premières ».
Ibrahim Ait Salem, Responsable Trading Graderco
« Il faut utiliser les instruments financiers appropriés pour se couvrir contre les fluctuations des marchés »
« Face à l’incertitude et la flambée des prix sur les marchés internationaux, il faut utiliser les instruments financiers appropriés pour se couvrir. Pour une entreprise qui fait de l’import, il s’agit d’abord de sécuriser l’approvisionnement en réservant la marchandise et ensuite d’utiliser les instruments financiers pour se prémunir contre la hausse des prix sur les marchés. Il est également nécessaire d’utiliser des instruments adaptés pour protéger les stocks dont on dispose au Maroc. L’ensemble de ces instruments dédiés à la couverture contre les fluctuations des matières premières sont listés au niveau des marchés financiers internationaux, notamment la Bourse de Chicago. S’agissant des risques de change, on peut avoir accès aux différentes salles de marchés des banques de la place pour choisir les instruments nécessaires. Toute cette démarche doit être cadrée par une politique de gestion des risques ».