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Accord UE-MERCOSUR : une révolution commerciale aux multiples enjeux

Après 25 ans de négociations, l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le MERCOSUR (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) redéfinit les règles du commerce international. Signé le 6 décembre 2024 à Montevideo, cet accord historique ambitionne de créer la plus vaste zone de libre-échange au monde, impliquant près de 722 millions de consommateurs et un PIB combiné de plus de 20.000 milliards d’euros. Mais derrière cette avancée commerciale majeure se cachent des enjeux complexes, mêlant questions environnementales, déséquilibres économiques et répercussions géopolitiques.

09 Décembre 2024 À 15:05

Depuis 1999, les négociations ont été émaillées de périodes de stagnation dues à des désaccords sur l’accès aux marchés agricoles, les normes environnementales et la concurrence industrielle. En 2019, un accord de principe avait été trouvé, mais des préoccupations liées à la déforestation en Amazonie et des résistances politiques en Europe, notamment en France et en Autriche, ont retardé sa ratification. Ce n’est qu’en 2024, sous l’impulsion de dirigeants européens comme Ursula von der Leyen et des chefs d’État sud-américains, que les discussions ont trouvé leur aboutissement, donnant naissance à un texte ambitieux.

Un partenariat bâti sur des bases complémentaires

L’accord repose sur des piliers structurants visant à harmoniser les relations économiques entre les deux blocs. Sur le plan commercial, il prévoit l’élimination progressive de 91% des droits de douane pour les exportations de l’UE vers le MERCOSUR, et de 93% pour les exportations sud-américaines vers l’Europe. Ces mesures concernent des secteurs stratégiques : les produits agricoles, notamment la viande, le soja et le sucre, pour les pays du MERCOSUR, et les produits industriels à forte valeur ajoutée, tels que les automobiles, les machines et les produits pharmaceutiques, pour l’Union européenne.

Cependant, cette répartition soulève des questions sur l’équilibre du partenariat. Le MERCOSUR, dont les capacités industrielles sont inégalement réparties, exportera principalement des produits agricoles sur un marché européen déjà saturé et très concurrentiel. À l’inverse, l’UE bénéficiera d’un accès privilégié à des marchés sud-américains en forte demande d’équipements et de produits manufacturés. Ce déséquilibre pourrait maintenir les pays sud-américains dans un rôle de pourvoyeurs de matières premières, freinant leur montée en gamme industrielle et creusant le déficit commercial entre les deux blocs.

Sur le volet environnemental, l’accord introduit des engagements sans précédent. Il impose des mesures pour lutter contre la déforestation et promouvoir des pratiques alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris. Mais des critiques dénoncent le manque de mécanismes coercitifs pour garantir la mise en œuvre de ces dispositions. En Europe, certains pays craignent que ces engagements ne soient pas suffisamment respectés, tandis que les producteurs sud-américains redoutent qu’ils ne servent de prétexte à des barrières commerciales déguisées.

Une dimension géopolitique qui dépasse le commerce

Au-delà de ses implications économiques, l’accord UE-MERCOSUR s’inscrit dans une reconfiguration des équilibres géopolitiques mondiaux. Il s’agit d’un mouvement stratégique pour renforcer les relations transatlantiques dans un contexte marqué par la montée en puissance de la Chine. Cette dernière a considérablement accru son influence en Amérique latine au cours des deux dernières décennies, notamment à travers des investissements massifs dans les infrastructures et l’énergie. En offrant un accès élargi aux marchés européens, l’accord permettrait au MERCOSUR de diversifier ses échanges et de réduire sa dépendance vis-à-vis de Pékin.

En parallèle, l’accord pourrait amener d’autres puissances, comme les États-Unis, à revoir leur stratégie commerciale dans la région. Les États-Unis, historiquement très impliqués en Amérique latine, pourraient intensifier leurs efforts pour consolider leurs partenariats bilatéraux avec les membres du MERCOSUR afin de contrebalancer l’influence européenne. Cette dynamique renforce la place stratégique de l’Amérique latine dans les échanges mondiaux, tout en offrant aux pays sud-américains des opportunités de diversification, mais aussi des défis dans la gestion de leurs alliances.

Des opportunités et des incertitudes pour chaque bloc

Pour le MERCOSUR, l’accord offre une chance unique de renforcer ses exportations vers l’Europe et d’intégrer des marchés aux normes strictes. Cependant, ces bénéfices pourraient rester concentrés sur les produits agricoles à faible valeur ajoutée, ce qui limiterait leur impact sur le développement industriel local. Par ailleurs, les pressions accrues sur les terres agricoles et les ressources naturelles, telles que l’eau, suscitent des préoccupations environnementales majeures.

Du côté européen, les secteurs industriels bénéficieront d’un accès accru aux marchés sud-américains, notamment pour les produits manufacturés et les équipements industriels. Néanmoins, la concurrence des produits agricoles sud-américains inquiète les producteurs européens, en particulier en France, en Irlande et en Pologne. Ces craintes alimentent le lobbying contre l’accord, notamment dans les secteurs sensibles comme la viande et les céréales, où les agriculteurs dénoncent une distorsion de concurrence.

Un impact tangible pour le Maroc

Bien que le Maroc ne soit pas directement impliqué dans cet accord, il pourrait en ressentir des effets indirects. La relation stratégique entre le Royaume et l’Union européenne place le Maroc dans une position où il doit surveiller les changements dans les flux commerciaux. Sur le plan agricole, les produits phares du Maroc, tels que les agrumes et les tomates, pourraient être confrontés à une concurrence accrue sur le marché européen, en raison de l’accès préférentiel accordé aux exportations sud-américaines.

Dans le secteur industriel, le Maroc, avec ses zones franches comme Tanger Med et Kénitra, reste un acteur clé pour les exportations européennes. Cependant, l’ouverture du marché européen aux véhicules sud-américains pourrait accroître la concurrence, nécessitant une adaptation rapide de l’industrie automobile marocaine.

Enfin, dans le domaine des énergies renouvelables, le Maroc devra renforcer ses partenariats avec l’Europe pour conserver son rôle stratégique, en particulier dans les projets liés à l’hydrogène vert. Bien que le Brésil développe également des initiatives ambitieuses dans ce domaine, le Maroc bénéficie d’une proximité géographique et d’un cadre de coopération déjà établi avec l’UE.

Des perspectives ouvertes, mais une vigilance nécessaire

Alors que l’accord entre dans sa phase de ratification, les débats s’intensifient sur les enjeux qu’il soulève. Les parlements européens et sud-américains devront évaluer les bénéfices économiques tout en tenant compte des préoccupations sociales et environnementales. Ce processus pourrait s’étendre sur plusieurs années, laissant une marge pour d’éventuels ajustements ou amendements.

Pour les deux blocs, cet accord représente une opportunité de renforcer leurs relations économiques, mais aussi un défi pour garantir un équilibre entre compétitivité, durabilité et équité. Dans un contexte global en mutation, il pourrait devenir un modèle pour les futurs partenariats commerciaux à condition que ses promesses soient tenues et que ses limites soient surmontées.
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