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80e Assemblée générale de l’ONU : les vrais enjeux pour le Maroc et pour l’humanité

À partir de ce mardi, le monde sera en conclave à New York. Du 23 au 29 septembre 2025, la 80e Assemblée générale de l’ONU, rassemblera Chefs d’État, diplomates, hauts responsables et décideurs dans le cadre du débat général annuel. Ce rendez-vous s’impose en effet comme un véritable moment de bilan et de réflexion sur l’évolution du monde, ses défis, ses crises et sur l’avenir du multilatéralisme, qui est la raison d’être même du système onusien. Le Maroc prendra bien évidemment part à cette grand-messe où beaucoup de dossiers stratégiques sont abordés et discutés. Quels sont les enjeux inhérents à cette 80e session ? quelle est la place de l’ONU dans un monde qui ne jure désormais que par la force ? sa voix est-elle encore audible ? comment l’humanité peut-elle faire face aux défis existentiels qui menacent la planète ? autant de questions auxquelles Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l'Université Lumière Lyon 2, tentera de répondre, avec un accent particulier sur la meilleure façon pour le Maroc de défendre ses intérêts.

22 Septembre 2025 À 19:06

À New York, la 80e Assemblée générale de l’ONU ouvre les débats sur fond de rivalités entre grandes puissances, de conflits qui s’enlisent et d’urgences planétaires toujours sans réponse. Le thème retenu cette année, «Mieux ensemble : 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits humains», sonne ainsi comme un défi lancé à une institution dont la légitimité et l’efficacité sont mises à rude épreuve. Selon Yassine El Yattioui, enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2, l’Organisation fonctionne encore avec des équilibres nés en 1945 et ne parvient plus à répondre efficacement à la cascade de crises : droit de veto paralysant, opérations de paix mal armées face aux guerres asymétriques, scène internationale fragmentée en coalitions ad hoc... «Le multilatéralisme n’est pas mort, il doit se transformer», souligne-t-il.



Cette «crise de modèle» est particulièrement lisible dans les zones de conflits. En Ukraine comme au Proche-Orient ou au Soudan, la mécanique onusienne donne l’impression de courir après les événements. L’Assemblée générale conserve une valeur tribunitienne, mais le centre de gravité réel reste ailleurs, au Conseil de sécurité. Quand il n’est pas carrément en dehors du cadre onusien, dans des arrangements entre grandes puissances. D’où la perte d’autorité normative de l’ONU aux yeux d’une large partie du Sud global, qui ne se reconnaît plus dans un système jugé peu représentatif.

Pour M. El Yattioui, la sortie par le haut passe par deux chantiers concrets. Le premier est institutionnel : élargir le Conseil de sécurité pour mieux refléter la carte des puissances d’aujourd’hui, avec l’entrée de nouveaux membres, permanents et non permanents, issus d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique, puis encadrer l’usage du veto, au moins dans les situations d’atrocités massives. Le second est politique : accepter que la gouvernance mondiale ne soit plus l’apanage des seuls États. Villes, ONG, universités, entreprises pèsent désormais sur l’agenda, et l’ONU gagnerait à intégrer ces acteurs au cœur de ses processus, au lieu de les cantonner à la périphérie.

Le Maroc à New York : clarifier le récit, cibler les priorités

Dans ce paysage bousculé, l’AG reste pourtant une scène utile pour les pays capables d’y porter un récit clair. C’est le cas du Maroc, estime l’analyste, à condition d’employer New York comme un amplificateur cohérent de ses priorités. La première est évidente : consolider, au grand jour, la dynamique d’appuis à l’initiative d’autonomie pour le Sahara. Trois membres permanents (États-Unis, France, Royaume-Uni) soutiennent déjà cette approche. L’enjeu serait d’obtenir, de Pékin, une position plus explicite, et de Moscou, au minimum une neutralité active via l’abstention lors d’un vote clé. Un tel alignement verrouillerait une majorité et transformerait des soutiens bilatéraux en reconnaissance multilatérale.

Au-delà du Sahara : l’agenda atlantique comme levier

Au-delà du dossier de l’intégrité territoriale, le Royaume peut aussi capitaliser sur des atouts qui dépassent la conjoncture : un positionnement géostratégique charnière, une diplomatie de sécurité reconnue en Afrique, un soft power religieux stabilisateur, des coopérations Sud-Sud tangibles. L’«agenda atlantique» porté par Rabat illustre cette volonté de proposer des solutions concrètes (interconnexions, sécurité maritime, développement partagé...) à l’heure où le système onusien cherche à redevenir utile.

Reste la question du «comment». M. El Yattioui plaide pour une présence marocaine très structurée en marge de l’AG : bilatérales ciblées, groupes d’amis, textes thématiques qui rassemblent au-delà des blocs. L’idée n’est pas de multiplier les déclarations, mais de viser des livrables précis : une formulation qui fasse consensus sur le Sahara, une initiative conjointe sur la paix et la sécurité dans l’espace atlantique africain, une contribution lisible aux débats sur la réforme du Conseil de sécurité. La réussite, dit-il, se mesurera moins aux photos de famille qu’à la qualité des alliances bâties et à la clarté des engagements pris.

Yassine El Yattioui : «L’ONU n’est ni pleinement représentative ni véritablement autonome, deux conditions pourtant essentielles à sa légitimité»

Le Matin : La 80e session de l'Assemblée générale des Nations unies ouvre sa semaine de haut niveau à partir de ce mardi sur le thème «Mieux ensemble : 80 ans et plus pour la paix, le développement et les droits humains». L’ONU a-t-elle encore les moyens de ses ambitions ?



Yassine El Yattioui :
La 80e session de l'Assemblée générale des Nations unies invite en effet à une réflexion critique et lucide sur la capacité réelle de cette organisation à atteindre les ambitions affichées depuis sa création en 1945. Plus qu’une simple crise de fonctionnement, c’est une véritable «crise de modèle» que traverse l’ONU, comparable, toutes proportions gardées, à celle qui avait conduit à l’effondrement de la Société des Nations (SDN) dans les années 1930. La persistance d’un système de gouvernance mondiale figé dans les équilibres de pouvoir de l’après-guerre, l’inadaptation des mécanismes de sécurité collective et l’incapacité à imposer ses décisions face aux grandes puissances révèlent les failles structurelles de l’institution. Pour qu’elle retrouve une réelle influence sur la scène internationale et qu’elle puisse contrer les menaces systémiques pesant sur la paix et la stabilité mondiales, une réforme en profondeur de ses organes politiques, diplomatiques et de persuasion, en particulier du Conseil de sécurité des Nations unies, apparaît impérative.

La comparaison entre l’ONU actuelle et la SDN n’est pas fortuite. Comme le rappelle Paul Kennedy, la SDN s’était progressivement vidée de sa substance parce qu’elle ne reflétait plus les rapports de force réels et parce qu’elle avait été incapable d’empêcher les agressions des grandes puissances de son époque. De même, l’ONU, conçue à San Francisco dans un contexte où cinq puissances victorieuses entendaient encadrer la sécurité internationale, demeure dominée par une structure décisionnelle qui accorde un droit de veto absolu aux membres permanents du Conseil de sécurité, à savoir les États-Unis, la Russie (héritière du siège de l’Union soviétique), la Chine, la France et le Royaume-Uni. Or ce dispositif reflète un ordre mondial largement dépassé, ignorant la montée en puissance d’acteurs émergents tels que l’Inde, le Brésil, les puissances régionales du Golfe, de l’Asie du Sud-Est et africaines comme le Maroc ou l'Afrique du Sud. Comme l’a souligné Boutros Boutros-Ghali dans son Agenda pour la paix (1992), l’ONU souffre d’un «décalage croissant entre ses ambitions universelles et les moyens réels que les États membres consentent à lui accorder». Cette asymétrie entre l’universalité de ses missions et le particularisme de sa gouvernance alimente sa paralysie chronique.

Cette crise de modèle se traduit par une perte d’autorité normative et politique. Alors que l’ONU était conçue comme le cœur d’un système de sécurité collective contraignant, ses résolutions demeurent largement dépendantes de la volonté des grandes puissances. Les blocages répétés du Conseil de sécurité sur des crises majeures, comme en Ukraine depuis 2022, illustrent cette impuissance structurelle. Or dans un contexte de retour de la compétition entre grandes puissances, marqué par l'éternel et malheureux conflit israélo-palestinien, la guerre en Ukraine, les tensions en Mer de Chine méridionale et les crispations autour du Sahel, ce déficit d’autorité affaiblit gravement sa crédibilité. De surcroît, la dépendance financière de l’ONU vis-à-vis de quelques grandes puissances, notamment les États-Unis qui assurent environ 22% du budget ordinaire selon les données de l’Assemblée générale des Nations unies, rend l’organisation vulnérable aux pressions politiques et aux fluctuations des volontés nationales. L’ONU n’est ainsi ni pleinement représentative ni véritablement autonome, deux conditions pourtant essentielles à sa légitimité.

De nombreuses propositions de réforme ont été avancées depuis le rapport de Kofi Annan intitulé In Larger Freedom (2005), qui plaidait pour une refonte du Conseil de sécurité, un renforcement de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies et une meilleure coordination du système onusien. Pourtant, aucune réforme structurelle majeure n’a vu le jour, essentiellement en raison de l’opposition des membres permanents du Conseil qui craignent de perdre leurs prérogatives. Cette inertie institutionnelle alimente un cercle vicieux de perte de crédibilité et de marginalisation progressive. Pour rompre cette dynamique, une réforme d’envergure devrait inclure l’élargissement du Conseil de sécurité à de nouvelles puissances représentatives comme l'Inde, le Brésil et le Maroc pour représenter le continent africain de par sa position médiatrice et de modèle dans les politiques Sud-Sud avec le reste du continent africain, comme le montre l'Initiative Atlantique, permettrait un véritable rééquilibrage du système onusien. Une telle réforme devrait également renforcer les moyens de médiation, de prévention des conflits et de maintien de la paix, aujourd’hui trop dépendants de contributions volontaires et de coalitions ad hoc.

Vu les évolutions dans le monde et les rapports de forces entre les grandes puissances, le multilatéralisme a-t-il un avenir ?

La question de l’avenir du multilatéralisme se pose aujourd’hui avec une acuité renouvelée, à l’heure où les rapports de force internationaux connaissent des recompositions accélérées et parfois imprévisibles. Ces mutations, qui touchent simultanément les sphères militaire, économique et géostratégique, nourrissent l’idée selon laquelle le multilatéralisme serait en déclin, voire condamné à disparaître. Toutefois, une analyse pragmatique et mesurée conduit moins à annoncer sa fin qu’à envisager sa profonde transformation. Le multilatéralisme tel qu’il a été conçu en 1945 est fragilisé, mais il pourrait connaître un renouveau sous des formes adaptées à la multipolarité et à l’interdépendance contemporaines.

Les tensions géopolitiques récentes illustrent avec force l’érosion de l’esprit multilatéral. La guerre en Ukraine a mis en lumière l’incapacité du Conseil de sécurité des Nations unies à assumer son rôle de garant de la paix et de la sécurité collective, paralysé par le veto de la Russie. Les crises prolongées au Sahel ou au Soudan confirment ce phénomène de blocage chronique. Plus récemment, l’attaque israélienne sur Doha, survenue dans un contexte de forte tension régionale, a illustré la vitesse et l’imprévisibilité avec lesquelles les rapports de force peuvent se reconfigurer. Un tel Momentum aurait été inimaginable quelques semaines auparavant, et il souligne combien les institutions multilatérales peinent à anticiper et encadrer ces ruptures stratégiques soudaines. L'architecture multilatérale conçue dans un monde hiérarchisé n’est plus adaptée à un système international caractérisé par des acteurs multiples, aux logiques diverses et aux temporalités stratégiques rapides.

La multiplication des sanctions unilatérales, les restrictions à l’exportation de technologies sensibles et les politiques de relocalisation réduisent la portée des régimes commerciaux multilatéraux, au premier rang desquels l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce basculement affaiblit les instruments multilatéraux traditionnels et alimente une logique de «minilatéralisme» avec des coalitions flexibles et ponctuelles entre quelques États comme le récent accord sécuritaire unissant l'Arabie saoudite et le Pakistan sur les questions sécuritaires, face aux intérêts convergents au détriment des institutions universelles.

Enfin, la survie du multilatéralisme suppose une meilleure articulation avec les sociétés civiles et les acteurs non étatiques. Les institutions internationales ont longtemps été conçues comme des espaces interétatiques fermés. Pourtant, les ONG, les villes globales, les entreprises transnationales et les réseaux scientifiques jouent désormais un rôle décisif dans la gouvernance mondiale, comme l'atteste l'Université Mohammed VI Polytechnique avec ses campus de Benguérir, Rabat et ses antennes à Paris, Montréal ou encore New York montrant réellement un pôle d'excellence marocain, mais pour la réussite de l'ensemble du continent africain. Leur intégration dans les processus décisionnels, sous des formes consultatives ou partenariales, permettrait de renforcer la légitimité et l’efficacité des cadres multilatéraux. Cette ouverture est indispensable pour éviter que le multilatéralisme ne soit perçu comme une structure technocratique déconnectée des sociétés qu’il prétend réguler.

L’avenir du multilatéralisme dépendra de sa capacité à se réinventer autour de trois impératifs : l’inclusion des nouvelles puissances, la flexibilité institutionnelle et l’ouverture aux acteurs non étatiques. S’il échoue à se transformer, il sera progressivement marginalisé par des logiques de puissance bilatérales ou de blocs rivaux.

Face aux conflits en Ukraine, au Soudan et à Gaza, l’ONU paraît impuissante à jouer son rôle. Comment expliquer cette incapacité à faire taire les armes ?

On peut dire que cette impuissance résulte d’abord de l’absence de véritables moyens de coercition autonomes. Conformément à la Charte des Nations unies, le Conseil de sécurité des Nations unies est l’organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité internationale. Or son fonctionnement repose sur le consensus des cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France et Royaume-Uni), chacun disposant d’un droit de veto qui paralyse toute action coercitive dès lors qu’un de leurs alliés est en cause. Ce blocage, manifeste dans le cas ukrainien où la Russie est partie prenante du conflit, confisque toute capacité décisionnelle à l’ONU et la réduit à un rôle déclaratif. Ce blocage peut également être transposé sur le conflit israélo-palestinien avec les vetos incessants des États-Unis du fait de ses liens profonds avec Israël.

Les dispositifs opérationnels de maintien de la paix, tels que les Casques bleus, accentuent cette impression d’impuissance. Conçues dans le contexte de la Guerre froide pour interposer des forces neutres entre États consentants, ces missions sont aujourd’hui inadaptées à des conflits asymétriques, intraétatiques ou caractérisés par la présence d’acteurs non étatiques. Leur mandat limité, leur dépendance au bon vouloir des États contributeurs et leur lenteur de déploiement réduisent considérablement leur efficacité. Au Soudan comme à Gaza, leur absence traduit moins un choix qu’une incapacité à projeter rapidement une force robuste et légitime. Par ailleurs, les instruments économiques de coercition dont dispose l’ONU : sanctions, embargos, gels d’avoirs, ont perdu une grande part de leur efficacité dissuasive. Les États ciblés, à l’image de la Russie, ont appris à en amortir les effets en diversifiant leurs partenariats commerciaux, en contournant les circuits financiers dominés par l’Occident et en s’appuyant sur des économies parallèles. La mondialisation fragmentée actuelle réduit la portée de ces mesures et rend leur application dépendante de la coopération volontaire d’États tiers, souvent réticents. Sans réforme structurelle de ses organes décisionnels et de ses capacités d’action, elle restera prisonnière d’un rôle de médiation sans effet contraignant, spectatrice des conflits qu’elle est censée prévenir. Cette impuissance structurelle menace la pertinence même du multilatéralisme onusien à l’ère des rivalités exacerbées.

Chaque année on assiste à des débats lors de l’AG, mais on a l’impression que l’avenir de l’humanité se joue ailleurs, notamment au niveau du Conseil de sécurité et à travers des arrangements entre les grands pays. Partagez-vous cette analyse ? Pourquoi ?

Le système onusien, conçu à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, est aujourd’hui déséquilibré par la prépondérance du Conseil de sécurité des Nations unies. Alors que l’Assemblée générale, composée de l’ensemble des États membres et censée incarner l’égalité souveraine des nations, demeure un forum d’échanges et de délibérations, le pouvoir décisionnel réel est concentré entre les mains d’un organe restreint de quinze membres, dont cinq permanents (les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni) dotés d’un droit de veto. Cette architecture, héritée de l’ordre bipolaire issu de 1945, confère à ces puissances un rôle quasi hégémonique dans la définition de la paix et de la sécurité internationales, et marginalise de facto le rôle de l’Assemblée générale. De ce point de vue, il est difficile de contester que l’avenir des grands équilibres mondiaux se négocie bien davantage dans les couloirs du Conseil de sécurité, voire en dehors même du cadre onusien, à travers des arrangements bilatéraux ou trilatéraux entre puissances, que dans l’arène universelle de l’Assemblée générale.

Cette concentration du pouvoir au sein du Conseil de sécurité engendre un déséquilibre structurel majeur qui limite l’efficacité globale du système onusien. Ces États n’hésitent pas à paralyser l’action onusienne, comme en témoignent les multiples veto opposés depuis 2011 sur le dossier syrien ou, plus récemment, sur le conflit à Gaza et en Ukraine. Cette paralysie chronique traduit non seulement un biais institutionnel, mais aussi un déficit de légitimité, car elle contredit le principe fondamental d’égalité souveraine et prive l’ONU de sa capacité d’agir de manière impartiale au service de la sécurité collective. L’hyper-concentration du pouvoir décisionnel entre cinq États ancre durablement un déséquilibre entre les intérêts particuliers et l’intérêt général de la communauté internationale.

Ce déséquilibre est d’autant plus problématique qu’il délégitime progressivement l’ensemble du système onusien aux yeux du Sud global, qui représente aujourd’hui la majorité démographique et politique de l’Assemblée générale. Nombre d’États africains, asiatiques et latino-américains contestent ouvertement un ordre institutionnel figé depuis 1945 et qui ne reflète ni la redistribution contemporaine de la puissance ni les dynamiques démographiques et économiques mondiales. Pour illustrer cet argument, l'Afrique à elle seul pèse 28% des pays membres de l'appareil onusien, sans aucun membre permanent dans le Conseil de sécurité... L’absence de membres permanents africains ou latino-américains au Conseil de sécurité est symptomatique de cette inadéquation. Comme l’a montré Boutros Boutros-Ghali, ancien Secrétaire général de l’ONU, le maintien d’un système décisionnel oligarchique dans un monde multipolaire nourrit la perception d’une gouvernance mondiale injuste et illégitime, minant la capacité de l’ONU à incarner une autorité morale universelle.

Une réforme devrait s’articuler autour de deux axes majeurs. Premièrement, l’élargissement du Conseil de sécurité à de nouveaux membres permanents et non permanents, de manière à refléter plus équitablement la répartition contemporaine de la puissance et de la légitimité. Des propositions de sièges permanents pour des puissances émergentes comme l’Inde, le Brésil, le Maroc, l’Afrique du Sud ou le Nigeria circulent et doivent être réactivées avec volonté politique. Deuxièmement, une révision du mécanisme de veto, qui pourrait passer par son encadrement procédural (interdiction en cas d’atrocités massives) ou sa suspension temporaire en cas de blocage prolongé, afin d’éviter que les intérêts particuliers d’une seule puissance paralysent la réponse collective aux crises. L’ONU risque alors de connaître le même destin que la Société des Nations, qui s’était effondrée sous le poids de son incapacité à contenir les ambitions des grandes puissances dans l’entre-deux-guerres. L’histoire montre qu’une institution multilatérale qui ne reflète plus l’équilibre réel des puissances ni les aspirations des peuples finit inévitablement par devenir obsolète.

Comme chaque année, le Maroc prend part aux débats. Que représente cette Assemblée pour le Royaume ? Comment peut-il mettre à profit ce conclave pour défendre ses intérêts ?

La participation du Maroc aux travaux de l’Assemblée générale des Nations unies revêt, chaque année, une importance stratégique singulière, en ce qu’elle lui offre une tribune universelle pour défendre ses intérêts vitaux et asseoir son positionnement sur l’échiquier international. Parmi ces intérêts, la question du Sahara marocain demeure centrale et constitue le cœur de la diplomatie marocaine face à ce conflit artificiel. L’Assemblée générale représente un espace symbolique et politique où le Maroc peut renforcer la dynamique de reconnaissance de sa souveraineté sur cette région, en consolidant les soutiens déjà acquis et en mobilisant de nouveaux appuis parmi les États membres.

Dans cette perspective, la configuration actuelle du Conseil de sécurité offre une fenêtre d’opportunité sans précédent. Trois membres permanents : les États-Unis, la France et le Royaume-Uni soutiennent d’ores et déjà de manière constante l’initiative marocaine d’autonomie, considérée comme sérieuse et crédible par de multiples résolutions onusiennes. Il s’agirait désormais pour la diplomatie marocaine de parvenir à obtenir une position d’adhésion explicite de la Chine, qui jusqu’à présent s’est maintenue dans une neutralité prudente, et de miser sur un absentéisme calculé de la Russie lors d’un vote décisif. Un tel scénario permettrait de sécuriser la majorité requise et de verrouiller l’issue en faveur de la position marocaine, transformant ainsi une dynamique d’appuis bilatéraux en un acte multilatéral consigné dans le droit onusien à quelques jours du cinquantenaire de la Marche Verte, véritable symbole de la Nation moderne marocaine.

Une telle consécration définitive ouvrirait la voie à une redéfinition profonde du rôle international du Maroc, qui pourrait dès lors s’affirmer comme l’un des porte-étendards du continent africain dans les enceintes multilatérales. Fort d’une légitimité historique étatique ancienne et continue, le Royaume bénéficierait d’une crédibilité accrue pour représenter un continent jeune, démographiquement dynamique et désireux d’occuper la place qui lui revient dans la gouvernance mondiale. Le Maroc dispose d’atouts objectifs pour incarner ce rôle : un positionnement géostratégique de première importance à la jonction de l’Afrique, de l’Europe et du monde arabe ; une diplomatie proactive et multidimensionnelle, alliant influence sécuritaire (notamment dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme), soft power religieux (via la promotion du dialogue interreligieux et de l’islam du juste milieu) et initiatives concrètes en matière de développement durable et de coopération Sud-Sud. Ces thématiques épousent les valeurs cardinales de l'ONU et conféreraient au Maroc une stature exemplaire de puissance africaine responsable et contributive.

En capitalisant sur cette session de l’Assemblée générale, le Maroc peut ainsi articuler deux objectifs convergents : clore un contentieux historique qui obère depuis des décennies l’intégration nord-africaine et l’émergence régionale, tout en redéployant sa diplomatie vers un rôle de leadership continental assumé. La reconnaissance multilatérale de la marocanité du Sahara renforcerait son autorité morale et politique, lui permettant de plaider plus efficacement les causes africaines dans les grandes négociations internationales, qu’il s’agisse de sécurité collective, de transition énergétique, de justice climatique ou de réforme de la gouvernance mondiale. Le Royaume doit continuer à se positionner comme l’un des nouveaux pôles de stabilité et de proposition d’un continent africain en pleine affirmation dans le concert des nations.
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