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Charge familiale au Maroc : cinq heures pour les femmes, 43 minutes pour les hommes

À l'occasion de la Journée internationale des soins et de l'assistance, le ministère de la Solidarité, ONU Femmes et l'ambassade de Suède ont organisé, vendredi 31 octobre 2025 à Rabat, une conférence-débat sur la paternité engagée. L'événement intervient dans un contexte de révision du Code de la famille et deux ans après l'instauration d'un congé de paternité de 15 jours pour les fonctionnaires. Les chiffres présentés par le Haut-Commissariat au Plan révèlent un déséquilibre persistant : les femmes consacrent sept fois plus de temps que les hommes aux tâches domestiques et aux soins. Entre volonté politique de réforme et résistance des normes sociales, le Maroc tente de construire un nouveau modèle familial.

02 Novembre 2025 À 17:15

Quarante-trois minutes. C'est le temps quotidien moyen que les hommes marocains accordent aux travaux ménagers et aux soins aux membres du ménage, contre cinq heures et cinq minutes pour les femmes. Ce ratio, dévoilé vendredi lors d'une conférence-débat organisée à Rabat sur le thème «Pères et soins aux enfants», illustre l'ampleur du chemin à parcourir vers une réelle coresponsabilité familiale. L'événement, tenu au Chellah-Rabat en présence de Naïma Ben Yahya, ministre de la Solidarité, de l'insertion sociale et de la famille, de l'ambassadrice de Suède, Fredrika Ormbrant, et de Myriem Ouchen Noussaïri, représentante d'ONU Femmes Maroc, s'inscrit dans le programme régional «Dare to Care». Il vise à transformer les normes sociales patriarcales en engageant les hommes dans les rôles de soins et les responsabilités domestiques.

Le triple rôle : une nouvelle grille de lecture

Mehdi Attaïbi, de l'Observatoire des conditions de vie de la population au Haut-Commissariat au Plan (HCP), a exposé les résultats d'une analyse basée sur le concept du «triple rôle» : productif, domestique et communautaire. «Nous avons rapidement constaté la limite du modèle binaire traditionnel qui noie le care dans le domestique», a-t-il expliqué. Les données de l'Enquête nationale sur l'emploi du temps de 2012 dressent un constat sans appel. Les femmes assument 87,5% du travail domestique non rémunéré. Seuls 45% des hommes y contribuent, y consacrant en moyenne 43 minutes par jour.

Le déséquilibre s'accentue concernant le rôle communautaire, défini comme le «souci d'autrui». Les femmes assurent 84,4% du travail de garde d'enfants non rémunéré. «Lorsque la taille du foyer augmente, avec quatre enfants et plus, la charge de travail non rémunéré pour les femmes atteint 44 heures par semaine, contre moins de six heures pour les hommes», a précisé l'expert du HCP. Cette répartition inégale agit comme un frein majeur à l'activité économique féminine : 63% des femmes inactives, hors étudiantes, citent la garde des enfants et les tâches ménagères comme raison principale de leur inactivité.

Des réformes législatives encore timides

L'intervention de la ministre Ben Yahya a rappelé le cadre constitutionnel et législatif sur lequel s'appuie la dynamique de changement. «La Constitution marocaine de 2011 oblige l'État à œuvrer à garantir par la loi la protection de la famille sur les plans juridique, social et économique», a-t-elle souligné, citant l'article 32. Le Code de la famille, avec son article 4 établissant le principe de coresponsabilité des époux et l'article 51 sur les devoirs mutuels, constitue un socle juridique favorable.

L'avancée la plus significative demeure l'introduction en 2022 d'un congé de paternité de 15 jours consécutifs et rémunérés pour les fonctionnaires. Monsif Hajjar, chef de la division des statuts et des consultations à la Direction de la Fonction publique, a détaillé la genèse de cette mesure. «Auparavant, les fonctionnaires ne bénéficiaient que très rarement du privilège de rester avec leurs enfants à la naissance. Certaines administrations donnaient trois jours exceptionnels, d'autres juste le jour de la naissance», a-t-il rappelé. Cette uniformisation, fruit d'un accord du 30 avril 2022 entre le gouvernement et les syndicats représentatifs, vise à garantir l'équité entre fonctionnaires et à promouvoir la responsabilité partagée. Interrogé sur une extension au secteur privé, M. Hajjar a reconnu que le champ d'intervention de son ministère se limitait au public, tout en exprimant l'espoir que «le privé prenne exemple».

Le congé de 30 jours : un modèle d'entreprise

L'espoir évoqué par l'administration publique trouve une incarnation concrète chez une structure du privé. Ismaïl Haddadi, Customer Experience Teamleader dans une entreprise basée au Maroc, a partagé son expérience de jeune père ayant bénéficié d'un congé de paternité de 30 jours. «Durant ces 30 jours, j'ai eu l'opportunité d'être présent avec ma femme et de vivre pleinement les premiers jours avec mon fils», a-t-il témoigné. Sa compagne ayant subi une césarienne, il a pu assurer le maximum de tâches. «Notre entreprise est l'une des premières enseignes au Maroc ayant instauré le congé de paternité, et cela reflète les valeurs de l'entreprise centrées sur l'humain, l'égalité et l'équilibre entre vie professionnelle et vie de famille», a-t-il ajouté, exprimant l'espoir que d'autres entreprises s'inspirent de ce modèle. Cinq mois après la naissance, le lien créé avec son enfant durant cette période témoigne de l'investissement de ces jours.

Une stratégie multisectorielle en construction

Mohamed Aït Aazizi, directeur de la protection de la famille au MSISF, a présenté les trois axes stratégiques envisagés par le ministère. Le premier concerne le volet juridique, avec l'évaluation du congé de paternité de 2022 et le développement d'un plaidoyer pour son extension au secteur privé, en collaboration avec les syndicats et la CGEM. «Comment développer un plaidoyer pour que cela ne soit pas uniquement dans la fonction publique, mais aussi dans le secteur privé ?», a-t-il interrogé. Le volet programmatique vise à renforcer les capacités des travailleurs sociaux sur la coresponsabilité, en développant de nouveaux services : guidance parentale, éducation parentale, médiation familiale. «Le dialogue au sein de la famille est une entrée principale pour la coresponsabilité», a-t-il affirmé. Enfin, l'axe stratégique inclut l'élaboration d'une politique publique de la famille à l'horizon 2035 et d'une stratégie nationale sur l'économie des soins.

La ministre a évoqué d'autres initiatives en cours : le Plan gouvernemental pour l'égalité 2023-2026, le Programme national de lutte contre les stéréotypes sexistes, et la Stratégie sur l'économie de soins. «Il est absolument injustifiable de régir les activités privées ou domestiques différemment des autres, par des lois ou des coutumes différentes ou discriminatoires», a-t-elle déclaré, citant la recommandation générale n°21 de la CEDAW de 1994.

Des outils statistiques pour mesurer l'invisible

Siham Zarrari, cheffe de la Division des enquêtes auprès des ménages au HCP, a annoncé la programmation d'une nouvelle Enquête emploi du temps pour 2026. «L'important est de bien capter l'économie des soins, car ces activités sont supportées principalement par les femmes», a-t-elle précisé. L'enquête utilisera la dernière version de la nomenclature des activités et intégrera des questions sur les activités simultanées, souvent invisibles, car effectuées en parallèle d'une activité principale. L'analyse de 2012 avait révélé une transmission générationnelle du schéma traditionnel de répartition des tâches, observable également chez les enfants. L'examen de la tendance entre 1997 et 2012 montre une quasi-stagnation de l'implication masculine, avec une augmentation marginale de seulement trois minutes.
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