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Effondrements d’immeubles : un drame récurrent qui interroge la sécurité du bâti urbain

L’effondrement de deux immeubles à Fès vient rappeler avec une brutalité meurtrière l’anarchie qui sévit dans le secteur des constructions dans plusieurs villes. Des vies humaines continuent de tomber à cause des défaillances en matière de contrôle et du non-respect des normes. Au-delà de l’émoi suscité par ce drame, il s’agit de comprendre de ce qui s’est passé pour éviter à l’avenir de nouvelles catastrophes.

11 Décembre 2025 À 15:25

Le Maroc s’est réveillé mercredi sous le choc d’un drame : l’effondrement, dans la nuit de mardi à mercredi, de deux immeubles de quatre étages à Fès, qui ont fait 22 morts et 16 blessés selon un bilan provisoire. Si l’enquête judiciaire ouverte doit encore établir les causes exactes et les niveaux de responsabilité, cette catastrophe remet sur le tapis une question lancinante : comment mettre fin au non-respect des règles de construction et à l’urbanisation anarchique ?



Des drames qui se répètent Fès, Casablanca, Salé, Rabat ou encore Mohammedia... Ces dernières années, plusieurs effondrements d’immeubles ont endeuillé des familles et mis en lumière les mêmes fragilités : bâtiments anciens ou surélevés sans autorisation, matériaux de mauvaise qualité, absence d’ingénierie de structure et laxisme en matière de contrôles. «Le problème, c’est moins un incident isolé qu’un symptôme structurel d’un urbanisme en crise», estime un chercheur en urbanisme interrogé par «Le Matin». «Dans de nombreux quartiers, les bâtiments ont été construits ou surélevés sans respect des normes de solidité. Et cela ne date pas d’hier», déplore-t-il.

Le poids de la construction anarchique

Dans plusieurs villes, notamment à la périphérie des grandes agglomérations, une part importante du bâti a été réalisée de manière informelle, souvent par des habitants cherchant à se loger sans passer par les circuits administratifs réglementaires. Ces constructions échappent en grande partie aux mécanismes de contrôle technique et administratif. «Le ferraillage n’est pas toujours adapté, les fondations ne sont pas dimensionnées pour les extensions et les matériaux proviennent souvent de sources douteuses», explique un expert en immobilier. «Cela peut tenir des années, jusqu’à ce qu’une vibration, une infiltration ou un ajout de charge fasse tout basculer», ajoute-t-il.

Un cadre légal strict... mais mal appliqué Pourtant, la loi n°12-90 relative à l’urbanisme et le Règlement général de construction (RGC) encadrent strictement les règles de construction, de stabilité et d’autorisation. Ces textes imposent l’obtention d’un permis de construire pour toute nouvelle construction ou extension, ainsi que des plans techniques signés par des ingénieurs agréés garantissant la solidité de l’ouvrage. Ils sont renforcés par la loi n° 66-12 relative au contrôle et à la répression des infractions dans le domaine de l’urbanisme et de la construction, qui vise directement les pratiques souvent à l’origine de drames similaires. Cette loi incrimine la construction sans autorisation, la modification des hauteurs, des volumes ou de la destination d’un immeuble en violation du permis, ainsi que toute violation des normes de solidité et de stabilité des bâtiments. Elle prévoit des sanctions sévères, allant de 10.000 à 100.000 dirhams, et étend la responsabilité aux architectes, ingénieurs, maîtres d’ouvrage et autres professionnels ayant participé aux infractions.

Les infractions doivent être constatées par les officiers de police judiciaire, les fonctionnaires chargés du contrôle des constructions et les agents assermentés des Agences urbaines. En cas de non-respect, le président du conseil communal peut mettre le contrevenant en demeure dans un délai de 15 à 30 jours et, si l’infraction persiste, procéder à la démolition de la construction aux frais du contrevenant. Dans le cadre d’une régularisation, le propriétaire doit fournir un certificat d’ingénieur attestant la conformité du bâtiment aux normes de sécurité, de solidité et de stabilité.

S’il y a effondrement d’un immeuble, c’est que, à un certain niveau de contrôle, le travail n’a pas été fait dans les règles. C’est ce qui explique que les extensions sauvages, les constructions non déclarées ou régularisées après coup demeurent fréquentes. «Les outils juridiques existent, mais c’est leur application qui fait défaut», souligne un promoteur immobilier. «Parfois, par manque de moyens, parfois par complaisance. Et c’est la sécurité des habitants qui en fait les frais», regrette notre interlocuteur.

Entre besoin de logement et culture du contournement Les urbanistes reconnaissent que le problème n’est pas seulement juridique ou technique, mais aussi social. Face à la cherté du logement et à la lenteur administrative, de nombreux citoyens construisent sans autorisation, parfois avec l’aide d’artisans non qualifiés. Cette logique de la débrouille, qui répond à une urgence réelle, finit pourtant par alimenter un cercle vicieux de construction fragile et de risque permanent. Et au-delà des pertes humaines, ces effondrements soulignent la vulnérabilité du patrimoine urbain marocain face à la densification incontrôlée.

Les bâtiments vétustes des centres-villes comme les constructions anarchiques en périphérie sont logés à la même enseigne : un contrôle insuffisant et une maintenance inexistante. «La sécurité du bâti est une question de politique publique, pas seulement d’infraction individuelle», rappelle notre urbaniste. «Il faut renforcer les inspections, rendre les permis plus accessibles et responsabiliser tous les maillons de la chaîne», préconise-t-il.

Vers une prise de conscience collective L’enquête ouverte à Fès devra établir les causes exactes du drame. Mais ce nouvel effondrement agit déjà comme un signal d’alarme national. Il rappelle l’urgence de passer d’une approche réactive à une culture de prévention, fondée sur le contrôle effectif, la transparence et la rigueur technique. Car dans un pays où la croissance urbaine reste rapide et la demande en logement pressante, chaque étage ajouté sans autorisation peut devenir un pas supplémentaire vers le drame.

Ce qu’il faut retenir

• Responsabilité partagée : l’architecte, l’ingénieur, le maître d’ouvrage ou tout professionnel ayant donné des ordres illégaux peuvent être considérés comme co-auteurs des infractions.

• Agents habilités : les infractions sont constatées par les officiers de police judiciaire, les fonctionnaires chargés du contrôle des constructions et les agents assermentés des Agences urbaines.

• Mise en demeure et démolition : le président du conseil communal peut mettre le contrevenant en demeure de faire cesser l’infraction dans un délai de 15 à 30 jours. En cas de non-respect, la démolition de la construction peut être ordonnée, aux frais du contrevenant.

• Régularisation encadrée : en cas de demande de régularisation, le propriétaire doit fournir un certificat d’ingénieur attestant la conformité du bâtiment aux normes de sécurité, de solidité et de stabilité.
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