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Hassan Benaddi : La démocratie marocaine a besoin d’institutions vivantes

L’attente était exceptionnelle, la réception quasi unanime. Dans un climat politique lesté par la défiance et le désengagement, le Discours Royal d’ouverture du Parlement a retissé les fils distendus entre institutions et citoyens. Pour Hassan Benaddi, ancien secrétaire général du Parti authenticité et modernité (PAM) et analyste politique, invité de «L’Info en Face», ce n’est pas un simple discours. C’est un signal. Peut-être un tournant.

19 Octobre 2025 À 16:10

Dès les premières minutes, le ton est donné. Pour Hassan Benaddi, le discours d’ouverture de S.M. le Roi Mohammed VI n’était pas une formalité constitutionnelle, mais «un moment politique important» qui fixe les grandes orientations du pays.



«Il faut attendre ce discours, même lorsqu’il n’y a pas de contexte particulier. Mais cette fois, l’attente était exceptionnelle», souligne-t-il, rappelant que même des citoyens désintéressés de la politique étaient à l’écoute. Ce regain d’attention révèle, selon lui, un climat de désenchantement et de perte de confiance envers les élus et les partis. «Platon disait que la pire des choses pour la démocratie, c’est sa théâtralisation excessive.» Et d’ajouter : «Notre Parlement était devenu un théâtre déserté, même par les acteurs».

Une parole Royale pour remettre de l’ordre

Le Discours Royal a été perçu comme un acte de régulation, un rappel des fondamentaux. «Sa Majesté a rappelé que notre choix démocratique était irréversible, mais qu'il devait s’incarner dans des institutions fonctionnelles. Sinon, la démocratie devient un simple slogan», affirme M. Benaddi. Selon lui, le Souverain a voulu répondre à une tentation dangereuse : celle de rejeter le système démocratique au profit d’un pouvoir autoritaire. «Certains, déçus, en viennent à souhaiter un pouvoir fort, centralisé. Le Roi n’a pas cédé à cette tentation. Au contraire, il a rappelé que la solution passe par les institutions.» M. Benaddi résume la posture Royale ainsi : «Il y a ceux qui, face à la crise, baissent la tête et foncent. D’autres prennent peur et sautent du navire. Et puis il y a ceux qui prennent de la hauteur. S.M. le Roi a choisi cette posture». Mais son constat reste sévère : il déplore un Parlement affaibli, où «des lois majeures comme celle sur le droit de grève ont été votées par moins d’un quart des députés». Et d’ajouter : «Certains responsables osent dire qu’ils sont fiers de leur Parlement... Il n’y avait pas de quoi être fier.»



Le Discours Royal trace cependant un cap : refus de l’autoritarisme, recentrage sur les institutions et équilibre entre réformes de long terme et urgences sociales. «On peut vouloir des stades et des écoles. On peut marcher et mâcher du chewing-gum en même temps. C’est le rôle de l’Exécutif de tenir cette tension», illustre-t-il.

La reddition des comptes, «ligne rouge»

Au cœur du Discours Royal, la reddition des comptes occupe une place centrale. Elle s’exprime dans la citation coranique choisie par le souverain : «Celui qui fait le poids d’un atome de bien le verra. Celui qui fait le poids d’un atome de mal le verra aussi». Pour M. Benaddi, le message est clair : «C’est la fin du temps de l’impunité». Et cela commence au sein même des partis : «Les chefs de partis doivent demander des comptes à leurs ministres. Sinon, on est dans l’évitement permanent.» Il compare avec d’autres pays : «Là-bas, un simple e-mail maladroit ou une addition de restaurant peut provoquer une démission. Ici, on vous raconte des choses incroyables, et personne ne bouge.» Pourtant, les outils existent : le Haut-Commissariat au Plan, la Cour des comptes, le Conseil économique, social et environnemental. Mais, regrette-t-il, «ce gouvernement est souvent en conflit avec ces institutions. Comme un malade qui casse le thermomètre pour ne pas voir la fièvre.»

Vers une recomposition politique ?

Sur la question d’un possible renouvellement politique, M. Benaddi estime que le pays se trouve à un moment charnière. De nouvelles dynamiques pourraient émerger d’ici 2026, avec des fusions de partis, la création de nouveaux mouvements ou l’arrivée d’élites inédites. Mais à une condition : «Qu’on aménage le terrain. Sinon, les jeunes se heurteront à un mur.» Co-fondateur du PAM, il rappelle avoir participé en 2007 à la création du Mouvement de tous les démocrates (MTD), né d’une crise de légitimité. «Le contexte est différent, mais la logique reste la même : quand le système s’essouffle, il faut créer de nouvelles voies.» Il dresse toutefois un constat sévère sur les partis actuels : «Aujourd’hui, beaucoup sont gérés comme des confréries ou des zaouïas. Les jeunes qu’on invite à s’y engager risquent de s’y heurter à des murs.» Il appelle ainsi à une réforme urgente de la loi sur les partis et de leurs statuts : «Il faut garantir la transparence, la démocratie interne, la circulation de la parole. Sinon, ces structures ne pourront pas absorber l’énergie nouvelle qui arrive.» Et d’ajouter : «La reddition des comptes ne concerne pas seulement les ministres. Elle doit d’abord exister à l’intérieur des partis. Quand un membre du gouvernement est mis en cause, son parti doit lui demander des comptes.»

Un appel au sursaut collectif

Pour M. Benaddi, le Maroc doit entamer un nouveau cycle politique fondé sur la responsabilité et la confiance. «Le monde est devenu un enchevêtrement d’incertitudes», cite-t-il en reprenant Edgar Morin. Dans cet univers instable, dit-il, «tout peut basculer». Son message final est un appel à l’engagement : «Redonner du crédit aux institutions, restaurer la confiance, assainir la vie politique. Cela passe par une jeunesse qui cesse d’être un objet pour devenir un acteur.» Le Maroc est-il à l’aube d’un nouveau cycle démocratique ? Difficile à dire. Mais une chose est sûre : la tension est posée, la boussole a été montrée. «J’ai un sentiment d’optimisme, confie Hassan Benaddi. Parce que les jeunes s’expriment. Parce qu’ils s’engagent. Parce que notre pays mérite mieux.» Le reste dépendra d’eux. Et de nous tous.
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