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Indépendance financière : pourquoi le Maroc peut servir de modèle en Afrique du Nord

Rabat a abrité, du 11 au 13 novembre, la 40e réunion du Comité intergouvernemental de la CEA pour l'Afrique du Nord. Face aux défis de financement du développement, le Royaume se distingue par ses réformes structurelles soutenues par l'innovation technologique. Avec une croissance économique de 3,8% en 2024 et des perspectives d'accélération à 4,4% en 2025, le pays démontre comment la digitalisation fiscale et la modernisation du secteur financier peuvent transformer les ressources nationales en véritables leviers de développement durable à l'abri des secousses exogènes. Cette performance intervient alors que plusieurs pays de la sous-région peinent à mobiliser plus de 15% de leur PIB en recettes fiscales.

13 Novembre 2025 À 17:28

Rabat, la capitale, a accueilli cette semaine, du 11 au 13 novembre, la 40e réunion du Comité intergouvernemental de hauts fonctionnaires et d’experts pour l’Afrique du Nord de la Commission économique pour l'Afrique (CEA). À cette occasion, les participants ont dressé un constat unanime : la mobilisation des ressources intérieures représente désormais l'unique rempart contre la dépendance aux financements extérieurs, volatils par définition.

L’indépendance financière, pilier du développement durable

«Nous nous réunissons aujourd'hui à un moment décisif», a déclaré Hicham Talby, adjoint au directeur du Trésor et des finances extérieures, chargé des relations avec l'Afrique et l'Europe, s’exprimant au nom du ministère marocain des finances. Le responsable marocain a rappelé l'urgence pour les pays nord-africains de «prendre pleinement en main leur destin» et de «renforcer leur indépendance financière». Cette exhortation intervient dans un contexte international marqué par les limites criantes d'un système financier mondial «souvent inadapté aux réalités et aux priorités des pays africains».

Il faut le rappeler, le Bureau de la Commission économique pour l'Afrique en Afrique du Nord, qui opère depuis le Maroc depuis 1963, a placé au cœur de cette 40e édition une thématique aussi stratégique qu'incontournable : le renforcement de la mobilisation des ressources intérieures par l'innovation et la technologie. Adam B. Elhiraika, directeur du Bureau sous-régional, a souligné que «la mobilisation des ressources intérieures constitue une priorité fondamentale pour l'indépendance financière» des pays de la région.

Des écarts vertigineux entre les pays de la sous-région

Les données présentées lors de cette réunion révèlent des disparités considérables. Selon le rapport de profil sous-régional 2024-2026, plusieurs pays comme l'Égypte, la Libye, la Mauritanie et le Soudan perçoivent moins de 15% de leur PIB en taxes, des montants jugés «inférieurs aux normes internationales et insuffisants pour financer les services publics essentiels». Les écarts entre les sept États membres oscillent entre 5 et 27% du PIB, un fossé qui offre paradoxalement «un large espace d'apprentissage mutuel entre pays», comme l'a relevé Adam B. Elhiraika.

Mais cette hétérogénéité traduit des vulnérabilités structurelles profondes. Pour compenser la faiblesse des ressources domestiques, plusieurs pays dépendent de sources de recettes «plus volatiles et exposées aux chocs extérieurs», telles que les taxes commerciales et l'exportation de matières premières. S'ajoutent à cela des pertes de revenus importantes dues aux flux financiers illicites, à la fraude fiscale, à la contrebande ou à l'économie informelle.

L'expérience marocaine comme référence continentale

Face à ces défis, le Royaume du Maroc se positionne en locomotive régionale. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : une croissance économique qui a progressé de 3,7% en 2023 à 3,8% en 2024, portée par «une forte demande intérieure et un rebond dans certains secteurs non agricoles tels que l'exploitation minière et la construction», précise le rapport de la CEA. Plus spectaculaire encore, l'inflation a fortement baissé au Maroc, «passant de 7,1% en 2023 à 4,0% en 2024, en raison de la baisse des prix tant des denrées alimentaires que des produits non alimentaires», souligne le document de la Commission intitulé «Évolution des conditions économiques et sociales en Afrique du Nord : examen du profil sous-régional».

«L'expérience du Royaume du Maroc illustre ce qu'il est possible d'accomplir lorsque vision, leadership et stratégie convergent», a affirmé Hicham Talby devant l'assemblée. Le responsable marocain a détaillé les acquis de ces réformes engagées «depuis plusieurs décennies» : amélioration de l'équité et de la transparence fiscales, modernisation du secteur financier, attractivité renforcée des investissements étrangers et intégration progressive du secteur informel.

La politique monétaire marocaine témoigne également d'une gestion prudente et réactive. Bank Al-Maghrib a procédé à deux réductions de son taux directeur de 25 points de base en 2024, ramenant ce dernier à 2,50%, avant une nouvelle baisse à 2,25% début 2025. Cette souplesse monétaire, rendue possible par la maîtrise de l'inflation, contraste avec le resserrement agressif maintenu dans d'autres pays de la région comme l'Égypte ou la Tunisie.

Consolidation budgétaire et stabilité macroéconomique

Sur le front des finances publiques, le Maroc poursuit «petit à petit son assainissement budgétaire», selon les termes du rapport de la CEA. Le déficit devrait se réduire pour atteindre 3,6% du PIB en 2025, grâce à «la hausse des recettes fiscales, la baisse des subventions à l'énergie et l'adoption d'outils de financement innovants». Cette trajectoire descendante – le déficit était de 4,0% en 2023 – démontre la capacité du pays à concilier rigueur budgétaire et investissements stratégiques.

La dette publique suit une dynamique de stabilisation progressive. Le ratio dette/PIB devrait légèrement diminuer, passant de 79,8% en 2024 à 79,2% en 2025. Le service de la dette reste maîtrisé à 10% des exportations, un niveau que la CEA qualifie de «circonscrit par des institutions plus solides et des cadres budgétaires crédibles». Les réserves de change, quant à elles, devraient rester stables avec une capacité de couverture de 5,9 mois d'importations.

La technologie comme catalyseur de transformation

Amina Selmane, directrice des affaires économiques de l'Union du Maghreb arabe, a insisté à cette occasion sur la dimension technologique indispensable à cette mutation. «Le Transformation numérique et la modernisation des méthodes de gestion ne sont plus de simples outils techniques, mais sont devenus des leviers stratégiques pour accroître la productivité», a-t-elle déclaré.

Dans le secteur financier marocain, les technologies numériques – paiement mobile, fintech, crowdfunding, paiements électroniques – permettent d'«élargir l'inclusion financière, de soutenir l'entrepreneuriat et de réduire la part de l'économie informelle», a détaillé Hicham Talby. Sur le plan fiscal, la digitalisation des procédures – déclarations, paiements, suivi des impôts – permet de «limiter la fragmentation des données, renforcer la transparence et la conformité fiscale, et réduire la fraude».

Des perspectives encourageantes malgré les vents contraires

Les projections économiques pour le Maroc restent optimistes. La croissance devrait s'améliorer pour atteindre 4,4% en 2025, avant de se stabiliser à 4,0% en 2026, «soutenue par une augmentation de la demande intérieure, par une hausse des investissements – publics comme privés – ainsi que par la reprise attendue de l'agriculture», anticipe la CEA. Le secteur secondaire, notamment l'industrie automobile et l'aéronautique, demeure robuste.

Toutefois, le rapport pointe des risques externes : «Les perspectives concernant l'exportation pourraient être mises à mal par la montée du protectionnisme, en particulier sur les marchés de l'Union européenne et des États-Unis d'Amérique.» Le déficit de la balance courante devrait se creuser modérément pour atteindre 1,8% en 2025, sous l'effet de l'augmentation des importations de biens d'équipement, même si les envois de fonds, les flux touristiques et la résilience des exportations continuent de soutenir les comptes extérieurs.

Un engagement pour le partage d'expérience

Au-delà des performances nationales, le Maroc affiche sa volonté de contribuer au développement régional. «Le Maroc demeure pleinement engagé à partager son expérience et son savoir-faire, tirer parti des leçons apprises et contribuer activement aux réflexions collectives visant à renforcer la résilience et la souveraineté financière de notre région», a assuré Hicham Talby. Cette posture correspond à la mission du Bureau sous-régional de la CEA en Afrique du Nord, qui vise à «encourager l'émergence d'un environnement favorable à une croissance inclusive et accélérée» à travers le renforcement de la diversification économique, la gestion fiscale, l'intégration régionale et la reconnaissance des contributions économiques des travailleurs migrants.

Adam B. Elhiraika a rappelé que le Bureau «est là pour servir les États membres» et que les experts présents «représentent le parlement qui guide le travail de ce Bureau». La réunion d'experts organisée le 12 novembre sous le thème «Renforcement de la mobilisation des ressources intérieures grâce à des politiques innovantes et aux technologies numériques» a permis d'approfondir ces échanges techniques.

Les défis climatiques dans l'équation financière

La question du changement climatique s'est invitée dans les débats comme une donnée incontournable. Le directeur du Bureau de la CEA a souligné que l'Afrique du Nord «est considérée comme une zone climatique chaude, plus affectée que la moyenne mondiale». Une augmentation de la température mondiale de 1% entraîne une baisse du PIB par habitant d'environ 11% dans la région. Face à ce défi, les solutions passent par «la mise en œuvre des réformes nécessaires et le rôle moteur des gouvernements dans la création des conditions du développement vert», a précisé Adam B. Elhiraika. Il a cité l'application de taxes carbone, l'émission d'obligations vertes et l'encouragement de comportements environnementaux responsables. Certains pays de la sous-région, dont le Maroc, ont massivement investi dans les énergies renouvelables, produisant aujourd'hui près de 50% de leur électricité à partir de sources durables.

Une feuille de route pour l'ensemble de la région

Au terme de ces trois journées de travaux, les participants ont rappelé l'importance d'une approche holistique. Celle-ci doit inclure «le développement de systèmes fiscaux modernes, la digitalisation de l'administration fiscale, le renforcement de la transparence budgétaire et la traçabilité des dépenses publiques, le renforcement de l'inclusion financière et le développement de marchés de capitaux pour mobiliser l'épargne et attirer les investissements», selon les termes du document de cadrage de la rencontre.

Amina Selmane a plaidé pour «une vision intégrée combinant réforme économique, innovation technologique et consolidation des principes de bonne gouvernance». Elle a également appelé à «intensifier la coopération avec la Commission économique pour l'Afrique» dans le cadre de l'Agenda 2063 et des Objectifs de développement durable 2030. La réussite de la mobilisation des ressources domestiques exige, certes, des approches nationales coordonnées, mais également, comme l'a souligné Hicham Talby, «une intensification de la coopération régionale». Il a insisté sur la nécessité d'«échanger autour des expériences réussies, d'apprendre également des échecs et de transposer les meilleures pratiques entre nos pays respectifs».

Cette 40e réunion du Comité intergouvernemental aura permis de démontrer qu'en matière de mobilisation des ressources intérieures, l'innovation technologique et la volonté politique peuvent produire des résultats tangibles. Le Maroc, par son expérience et ses performances, s'impose comme un laboratoire grandeur nature dont les enseignements pourraient inspirer l'ensemble d'une sous-région en quête de souveraineté économique et de développement durable.
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