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Le Maroc lance le chantier du siècle : faire de l'Atlantique africain un nouveau centre de gravité mondial

Le 6 novembre 2023, S.M. le Roi Mohammed VI a dévoilé une vision qui pourrait redessiner la carte économique et politique de l'Afrique. L'Initiative Royale pour l'Afrique Atlantique ambitionne de transformer des milliers de kilomètres de côtes, du Cap Spartel au Cap de Bonne-Espérance, en pôle intégré de stabilité et de prospérité. Un rapport stratégique de 167 pages qui vient d’être publié, élaboré en septembre 2024 par l'Institut Royal des études stratégiques (IRES), décrypte les enjeux, les opportunités et les défis de ce projet d'envergure continentale. Regroupant 23 États africains atlantiques et visant à désenclaver les pays du Sahel, cette initiative intervient dans un contexte de reconfiguration géopolitique mondiale où l'Afrique redevient un enjeu stratégique majeur.

08 Octobre 2025 À 19:00

Lorsque les houthis ont commencé à attaquer les navires en mer Rouge, personne n'imaginait que cela redonnerait vie à une route maritime oubliée depuis 150 ans. Entre novembre 2023 et avril 2024, le trafic maritime passant par le Cap de Bonne-Espérance a bondi de 125%. Dans le même temps, le canal de Suez voyait son trafic s'effondrer de 85%, passant de 1.094 navires en novembre à seulement 159 en mai. Cette bascule brutale des flux commerciaux mondiaux a rappelé une évidence géographique : l'océan Atlantique africain est une artère vitale du commerce mondial. C'est précisément dans ce contexte que l'Initiative Royale marocaine pour l'Afrique Atlantique prend tout son sens.
Un arbre aux racines africaines qui respire par l'Atlantique
«Le Maroc est un arbre dont les racines plongent en Afrique et qui respire par ses feuilles en Europe», aimait à dire Feu S.M. le Roi Hassan II. Son fils, S.M. le Roi Mohammed VI, semble avoir trouvé dans l'océan Atlantique le terreau permettant à cet arbre de croître pleinement. Dans son discours du 6 novembre 2023, commémorant le 48e anniversaire de la Marche Verte, le Souverain a tracé les contours d'une ambition qui dépasse largement les frontières du Royaume.



L'Institut Royal des études stratégiques (IRES), dans un rapport de 167 pages élaboré sous la direction de Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l’IRES, coordonné par Mohammed Chater et publié en septembre 2024, analyse cette initiative sous tous ses angles sous le titre : «L’Initiative Royale pour l'Afrique Atlantique : enjeux, facteurs-clés de succès et feuille de route pour le Maroc». Selon les auteurs, «l'Initiative Royale pour l'Afrique Atlantique s'inscrit idéalement dans la mouvance des mutations géostratégiques du monde contemporain». Le document identifie une fenêtre d'opportunité historique : le basculement du monde vers des partenariats de proximité et la fragmentation de la mondialisation.


Une verticalité qui bouscule les logiques régionales
L'originalité du projet réside dans son approche géographique. Plutôt que de suivre les découpages régionaux traditionnels – Union du Maghreb arabe, CEDEAO, CEEAC, SADC – l'initiative trace une ligne verticale du nord au sud du continent. Du Cap Spartel au Cap de Bonne-Espérancel. «Sa verticalité de cap à cap, du nord au sud, outrepasse les partages traditionnels en voguant, par monts et vallées, sur toute la rive africaine de l’Atlantique. La convergence avec la géographie continentale est ainsi réalisée», souligne le rapport de l'IRES.

Cette lecture inédite de la géographie africaine concerne 23 pays riverains de l'Atlantique qui «regroupent 46% de la population africaine et réalisent à peu près 55% du PIB du continent», précisent les rédacteurs. Plus audacieux encore, l'initiative inclut une «composante désenclavement» visant à «faciliter l'accès des pays non côtiers l'océan atlantique», notamment ceux du Sahel.

S.M. le Roi Mohammed VI l'a formulé clairement : «Si, par sa façade méditerranéenne, le Maroc est solidement arrimé à l'Europe, son versant atlantique lui ouvre, quant à lui, un accès complet sur l'Afrique et une fenêtre sur l'espace américain».


Des chiffres qui révèlent un potentiel gâché
Les statistiques compilées par l'IRES dressent un constat sans appel sur l'état actuel de l'intégration atlantique africaine. Le commerce intrarégional dans la zone africaine atlantique plafonne à 9%, contre 66% pour l'Europe et 49% pour l'Amérique du Nord. Quant aux investissements directs étrangers, ils ne représentent que 4% du total de la zone atlantique. Cette faible intégration contraste avec les atouts naturels de la région. Les pays africains atlantiques «disposent d'importantes ressources naturelles stratégiques dans le domaine des hydrocarbures et des mines», rappelle le document. Le potentiel halieutique est considérable, les découvertes gazières au large du Sénégal et de la Mauritanie sont prometteuses, et «l'Afrique dispose de 40% de l'énergie solaire disponible au monde» même si «seulement 1% est à ce jour utilisé.»


Une initiative qui s'inscrit dans une dynamique mondiale
Le rapport place l'initiative marocaine dans un contexte global. Partout dans le monde se développe «une nouvelle conscience maritime qui met, au centre des préoccupations des États, la nécessaire exploitation de l'énorme potentiel de l'énorme bleue». L'Union pour la Méditerranée, le Forum èconomique des îles de l'océan Indien, la route maritime de la Soie chinoise : autant d'initiatives comparables qui témoignent d'une «tendance lourde».

En septembre 2023, 32 pays côtiers de l'Atlantique ont d'ailleurs adopté le Partenariat pour la Coopération Atlantique en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Cette nouvelle instance multilatérale «rassemble des pays côtiers de l'océan Atlantique, en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes». Mais l'initiative marocaine «dépasse les autres formes de régionalisme» selon l'IRES, car elle «met l'accent sur un modèle holistique de coopération» englobant sécurité, économie, environnement, culture et connectivité.


Des projets concrets pour crédibiliser l'ambition
Au-delà de la vision, le rapport identifie plusieurs chantiers structurants. Le port de Dakhla Atlantique, dont la réception est prévue en 2028, doit devenir «un hub économique stratégique en direction de l'Afrique subsaharienne». Le gazoduc Nigeria-Maroc, qualifié de «plus long gazoduc du monde», verra sa «première section mise en marche en avril 2029». Ces infrastructures doivent s'accompagner de la reconstitution d'une flotte commerciale marocaine et du renforcement de la Marine Royale pour «contrôler et sécuriser les routes maritimes et les activités marines de l'espace afro-atlantique». Le document insiste : «La détention de la flotte est une nécessité indiscutable pour un pays maritime comme le Maroc».


Les enjeux de souveraineté et d'autonomisation
Pour les experts de l'IRES, l'initiative répond à un impératif d'émancipation. «L'Afrique continue de subir et essaie de s'adapter à des choix stratégiques effectués ailleurs, jadis en Europe, aujourd'hui en Asie et dans le Golfe», déplorent-ils. Le questionnement est direct : «S'agit-il de considérer l'Afrique comme un continent en voie d'émancipation ou simplement en train de subir une nouvelle forme de dépendance ?»

La question de l'exploitation des ressources est centrale. L'étude révèle que «84% des 893.187 tonnes de poissons exportées en 2013 depuis l'Afrique de l'Ouest l'ont été par porte-conteneurs» contrôlés par des armateurs étrangers. Le manque à gagner annuel pour six pays (Mauritanie, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Sierra Leone) atteint «2 milliards d'euros». Face à ce pillage, le rapport préconise que «l'activité de la pêche, quelle que soit sa forme doit devenir une activité exclusivement réservée aux nationaux».


Des défis géopolitiques et sécuritaires considérables
L'IRES ne cache pas les obstacles. L'Algérie, qui «voit son influence contestée», représente une menace réelle. «Sa capacité de nuisance est grande, car elle est entretenue par une volonté belliqueuse sans limites», avertit le document. Les tensions avec l'Afrique du Sud, la présence militaire russe au Sahel via Africa Corps, l'expansion du terrorisme vers les côtes : autant de défis sécuritaires majeurs. Le rapport identifie également «le risque de sabotage, en provenance des pays en situation d'adversité avec le Maroc» qui est «loin d'être considéré comme négligeable».


Trois scénarios pour l'avenir
Les prospectivistes de l'IRES dessinent trois trajectoires possibles. Le scénario optimiste verrait «un pôle atlantique africain pleinement intégré, maître de son destin, prospère, sécurisé et durable». Le scénario médian aboutirait à «une Afrique atlantique confrontée à des défis majeurs de développement économique, de changement climatique et de sécurité, malgré la mise en œuvre de quelques projets d'intérêt communs». Le scénario catastrophe mènerait à «une Afrique atlantique non intégrée, peu développée, faiblement sécurisée et peu dynamique dans le trafic maritime international».

Pour maximiser les chances de succès, le rapport préconise la mise en place d'une «gouvernance équilibrée, concertée et consensuelle». L'appropriation collective est cruciale : «Si chaque partie prenante ne se sent pas pleinement impliquée dans la gouvernance du dispositif mis sur pied, le soutien de l'Initiative pourrait s'effriter avec le temps». Concrètement, l'IRES suggère l'institutionnalisation du Processus des États Africains de l'Atlantique (PEAA), lancé par le Maroc en 2009, avec des réunions au sommet tous les deux ans, un secrétariat permanent à Rabat, et des groupes thématiques sur la sécurité, l'économie bleue et l'environnement.


Un repositionnement stratégique du Maroc
Pour le Royaume, cette initiative constitue un tournant historique. «Longtemps orienté vers la Méditerranée et l'Europe, le Maroc affirme désormais sa vocation atlantique et africaine», analyse le rapport. Le Sahara marocain est présenté comme «le portail du Maroc vers l'Afrique Atlantique». Les provinces du Sud «sont appelées à innover en matière de conception et de mise en œuvre de projets de développement locaux» et à «consolider les différents atouts dont elles bénéficient». L'enjeu dépasse le cadre économique. L'initiative «participe à la consolidation du processus de la reconnaissance de facto de la marocanité du Sahara», soulignent les auteurs.


Un pari sur l'avenir du continent
L'Initiative Royale pour l'Afrique Atlantique représente, selon les termes du rapport, «un pari sur un avenir prospère du continent». Les experts de l'IRES concluent : «L'initiative a le mérite de considérer le continent dans son intégralité. La convergence avec la géographie continentale est ainsi réalisée». Reste à transformer cette vision en réalité. Les années à venir diront si le Maroc, fort de sa position géographique, de ses infrastructures et de sa diplomatie active, parvient à fédérer les 23 pays atlantiques africains autour d'un projet commun. Comme l'affirme le document : «Le Maroc a les atouts pour promouvoir l'Initiative pour l'Afrique atlantique et en assurer la responsabilité collective par les pays africains atlantiques. Il peut en être le moteur».

Dans un monde en pleine recomposition géopolitique, où les blocs régionaux s'affirment face à la mondialisation défaillante, l'océan Atlantique africain pourrait bien redevenir ce qu'il était avant l'ouverture du canal de Suez en 1869 : une route maritime majeure, cette fois au service du développement africain plutôt que de l'exploitation coloniale.

Du Cap Spartel à Dakhla : le Maroc face au défi de transformer ses côtes en moteur stratégique

Dans les eaux territoriales marocaines, 600 navires chinois croisent chaque année aux côtés des flottes européennes, coréennes et russes. Ils pêchent, transforment et exportent le poisson africain sans que les populations locales n'en voient la couleur. Ce «pillage prédateur» – 2 milliards d'euros de manque à gagner annuel selon l'IRES – illustre le paradoxe d'un continent riche en ressources, mais pauvre en moyens pour les exploiter. C'est précisément cette équation que l'Initiative Royale pour l'Afrique Atlantique entend renverser. Mais les défis infrastructurels sont immenses.



Le port de Dakhla, pièce maîtresse du dispositif

«À mi-chemin entre Casablanca et Dakar, le port de Dakhla Atlantique fait partie des investissements programmés», indique le rapport de l'IRES dirigé par Mohammed Tawfik Mouline, directeur général de l’IRES, et coordonné par Mohammed Chater. Sa réception, prévue en 2028, doit en faire «un outil logistique puissant de connectivité pour le projet atlantique». Les ambitions sont claires selon les experts : transformer cette infrastructure «en hub économique régional» capable de rivaliser avec le succès de Tanger Med sur la Méditerranée. Le port nord-marocain, qui se classe aujourd'hui «au quatrième rang mondial parmi les ports à conteneurs», sert de modèle.

Mais Mohammed Boussif, capitaine de vaisseau/colonel/ER de la Marine Royale, expert des questions maritimes et sécuritaires et co-auteur du rapport, met en garde : «Le dynamisme des échanges et la fonction du port de Dakhla en tant que pôle régional dépendent de la mobilisation du potentiel portuaire ouest-africain». Autrement dit, Dakhla ne peut réussir seul. Sa viabilité économique repose sur l'existence d'un «réseau fourni de ports commerciaux qui garnissent le versant atlantique du continent».

Un réseau portuaire à coordonner

L'étude dresse l'inventaire des atouts existants. «Les quatre premiers ports africains sur l'Atlantique sont, par ordre décroissant de trafic, Lagos, Abidjan, Dakar et Douala, représentant près de 30% de l'ensemble du trafic de l'Afrique de l'Ouest et du Centre». La prise de conscience progresse : «Les projets relatifs aux infrastructures foisonnent», note le document. Le Sénégal, le Nigeria, le Ghana, la Côte d'Ivoire et le Togo multiplient les annonces. Mais la coordination fait défaut. Les rédacteurs du rapport préconisent une organisation en «constellation de ports connectés à un ou plusieurs pôles maritimes d'importance pour assurer la jonction avec les autres continents». Cette coordination structurelle constituerait «une base d'intégration sur laquelle doivent se fonder les stratégies de développement».

Le ferroviaire, nerf de la guerre logistique

«La route précède le développement», répète le rapport en citant Félix Houphouët-Boigny. Et en Afrique, le rail est roi pour les marchandises lourdes. Le constat est sévère : «Le réseau ferroviaire africain est vieillissant, dépassant souvent les 50 ans, alors que la durée de vie maximale se situe autour de 25-30 ans». De 100.000 kilomètres au début du 20e siècle, le réseau s'est rétréci à 75.000 km en 2021. Pire, «il est peu interconnecté, certains segments ayant été construits avec des écartements différents», héritage du découpage colonial.

Face à ce déclin, la Chine s'est engouffrée dans la brèche. Via son initiative Belt and Road, Pékin a construit «plus de 6.000 km de chemins de fer» en Afrique entre 2006 et 2020. Le projet LAPSSET vise à relier le Kenya à Douala, au Cameroun. Les Occidentaux ripostent : au G7 de juin 2024, le corridor de Lobito Atlantic (Angola-RDC-Zambie) a mobilisé «300 milliards d'euros» via le programme Global Gateway.

Le Maroc entre dans la compétition avec son plan rail 2040, «évalué à un coût total de 35 milliards d'euros». L'ambition : «doubler son réseau pour atteindre 132 millions de voyageurs annuels». L'IRES y voit «une aubaine pour attirer les investisseurs étrangers et contribuer au développement du rail africain». Plus stratégique encore, «l'engagement de produire 80 trains au Maroc est une étape initiale dans la stratégie ferroviaire» qui pourrait déboucher sur une véritable industrie d'exportation vers le continent.

La flotte commerciale, outil de souveraineté

«L'existence d'une flotte commerciale nationale est nécessaire pour des motifs de souveraineté, de compétitivité et de leadership», martèle le rapport. Les crises récentes – Covid-19, guerre russo-ukrainienne, tensions en mer Rouge – «démontrent à souhait le besoin d'une flotte commerciale qui puisse assurer les échanges du pays dans les meilleures conditions». Le constat est sans appel : le Maroc ne dispose plus d'une marine marchande digne de ce nom. Le document insiste : «La phase de mise en œuvre doit être initiée rapidement, car elle participe à la crédibilisation du projet atlantique». Les discussions portent sur les modalités : acquisition directe de navires ou partenariats avec des armateurs internationaux ? L'IRES tranche : «L'investissement d'acquisition de la flotte ne peut être public, mais les pouvoirs publics ont intérêt à l'accompagner par une législation fiscale incitante et des garanties aux investisseurs intéressés».

L'industrie navale, chaînon manquant

Un angle mort subsiste dans l'architecture maritime marocaine : l'absence totale d'industrie de construction et de maintenance navale. Le rapport y voit pourtant une «opportunité à saisir assez rapidement». Trois portes d'entrée sont identifiées. D'abord, le démantèlement naval, promis à une «explosion» avec la décarbonation du transport maritime qui «risque d'envoyer des flottes entières» à la casse. Ensuite, l'entretien et la réparation, indispensables pour toute flotte conséquente. Enfin, la construction, d'abord civile (yachting, transport passagers), puis potentiellement militaire. «Rentrer par l'activité de démantèlement et répondre aux besoins d'entretien et de réparation devraient logiquement aboutir à la naissance de chantiers navals», pronostiquent les experts. L'objectif : «se placer idéalement comme composante d'offre sur le marché de la décarbonation maritime».

Le gazoduc Nigeria-Maroc, catalyseur d'intégration

Parmi les projets structurants, le gazoduc Nigeria-Maroc occupe une place centrale. Qualifié de «plus long gazoduc du monde passant par des espaces maritimes», il incarne «le plus grand projet de coopération dans le continent africain». Sa «première section est prévue pour être mise en marche en avril 2029». Au-delà du transport énergétique, l'infrastructure crée des interdépendances positives. «Le projet atlantique et celui du gazoduc Maroc-Nigeria sont d'une complémentarité remarquable. Tous deux sont des initiatives Royales à forte teneur synergique», souligne le document.

L'IRES pousse la logique plus loin : le gaz pourrait alimenter une industrie d'engrais phosphatés compétitive. «Le gaz est un élément important pour transformer la roche phosphorique en des engrais phosphatés», rappellent les rédacteurs. Cette filière serait «un vecteur important pour la matérialisation et la réussite des programmes de développement agricole dans la région de l'Afrique atlantique, une condition sine qua non pour la concrétisation de leur sécurité alimentaire».

Le tourisme balnéaire, un potentiel gâché

Paradoxalement, le Maroc peine à valoriser ses 3.500 kilomètres de côtes sur le plan touristique. Le rapport est sévère : «La situation qui a prévalu jusqu'à présent est déplorable. Le littoral n'a été ni protégé, ni bénéficiaire d'une vision logique et cohérente». L'été 2023 a révélé les dysfonctionnements. Face à la canicule, «un déferlement extraordinaire de citoyens fuyant la canicule vers les côtes du nord» s'est heurté à une «spéculation» sur les locations et «une pénurie de biens de première nécessité organisée par le circuit de distribution».

Résultat : «Une part ascendante non négligeable des vacanciers nationaux se détourne totalement de l'offre marocaine au profit des offres étrangères» espagnoles, portugaises ou turques. «La perte financière causée par le décalage de l'infrastructure touristique et des services qui l'accompagnent est non négligeable». Le document plaide pour une «loi sur le littoral complète, exhaustive et reflétant une vision de progrès, d'inclusion et de durabilité» dont «la mise en œuvre doit être rapide, rigoureuse et correctrice des violations passées».

Dakhla, laboratoire d'un nouveau modèle

Les provinces du Sud concentrent tous les regards. Dakhla doit devenir «un hub économique stratégique», mais le rapport insiste : cela nécessite bien plus qu'un port. Les préconisations sont précises : création de «zones économiques spéciales défiscalisées suivant le modèle organisationnel qui a fait le succès de Dubaï ou encore de Singapour» pour «attirer, en nombre et en qualité, les sociétés de services et d'assistance au monde des affaires». Un «code des investissements hôteliers incitatif» doit être promulgué «pour doter la région d'équipement touristique de qualité et éviter les erreurs commises dans le nord du pays». L'équilibre est délicat : «Les spéculateurs et les chercheurs de gains faciles» guettent.

L'ambition affichée : transformer Dakhla en «hub africain» comparable à ce que Tanger Med représente pour la Méditerranée. Mais les experts préviennent : «Dakhla, sa région et les provinces du Sud en général ne pourront s'affirmer comme pôles économiques émergents sur le littoral atlantique africain que si le Maroc arrive à construire sa connectivité maritime avec l'Afrique subsaharienne».

Les corridors du désenclavement sahélien

Pour les pays du Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad), l'accès à Dakhla représente une bouée de sauvetage. «L'enclavement ampute le PIB de ces pays d'une valeur de moins 20%», rappelle l'étude en citant les Nations unies. Le rapport propose des «Quick Wins» : «construction de ports secs aux frontières et dans les capitales économiques de ces pays, acquisition de camions de transport, réalisation de schémas directeurs logistiques incluant le ferroviaire».

Deux tracés sont envisagés. Le direct, «longeant la frontière algérienne à travers une zone tampon où sont enregistrés de nombreux incidents», présente des «risques liés aussi bien à la phase de réalisation qu'à celle de l'exploitation». L'indirect, «passant par la Mauritanie et/ou le Sénégal», est jugé «l'option la plus plausible». Mais la Mauritanie, «ventre mou du Maroc», pourrait «être tentée de vouloir monnayer à prix fort son ralliement». Le rapport suggère un «partenariat tripartite entre le Maroc, la Mauritanie et les pays du Sahel» pour «exploiter concomitamment les facilités portuaires, logistiques et routières».

La crédibilité à l'épreuve du terrain

«La condition fondamentale de la concrétisation de l'Initiative Atlantique concerne la crédibilité accordée à l'initiative», rappellent les auteurs. Les engagements Royaux – investissements dans les provinces du Sud, flotte commerciale, port de Dakhla – doivent se matérialiser rapidement. Le défi est immense. Entre vision stratégique et réalité infrastructurelle, entre ambitions continentales et contraintes budgétaires, le Maroc dispose d'une fenêtre étroite jusqu'en 2028, date de réception du port de Dakhla, pour démontrer sa capacité à passer «de l'idée à l'action». Comme le conclut sobrement le rapport : «Faire de Dakhla un hub de l'Afrique atlantique et du Sahel requiert de réussir plusieurs chantiers» qui dépassent largement la simple construction portuaire.
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