Dès les premières phrases,
Mahjoub Salek clarifie sa position : il n’est ni nostalgique ni animé par la rancune. Il se présente avant tout comme témoin d’un idéal trahi, d’une cause détournée par des calculs étrangers, et d’une souffrance humaine qu’il faut arrêter. Ses mots, mesurés et incisifs, tissent une chronologie où se lisent les engagements, les désillusions et les ruptures. Invité de l’émission «Nabd Al Omk» diffusée le 6 novembre dernier, il a offert une lecture lucide d’un demi-siècle d’histoire sahraouie.
Aux origines, un idéal de libération, pas une quête d’indépendance
«La séparation n’a jamais fait partie de notre horizon», insiste d’emblée Mahjoub Salek. La mobilisation des jeunes Sahraouis à cette époque, souvent issus de familles ayant combattu dans l’Armée de libération marocaine, n’était pas animée par un projet indépendantiste, mais par la volonté de libérer une terre sous occupation espagnole et de réaffirmer son lien historique et légitime avec le Maroc.
Ayant fait leurs études dans les écoles marocaines et en contact avec les cercles politiques nationaux, ces jeunes ont trouvé dans ce terreau patriotique le socle d’un mouvement de libération authentique. Parmi eux se distinguaient des figures comme El-Ouali Moustapha Sayed, qui, avec Mahjoub Salek, ont structuré l’élan initial, fondé sur le respect des traditions locales et l’attachement à la Souveraineté marocaine. Pourtant, ce premier chapitre de leur engagement fut rapidement mis à l’épreuve. «Nous sommes allés voir les partis politiques, nous avons demandé de l’aide ; on s’est vu répondre de laisser tomber la politique !» Face à cette indifférence institutionnelle, l’énergie juvénile se heurta non seulement à l’inaction des structures politiques, mais aussi à des formes de répression directe : certains jeunes militants furent arrêtés, intimidés, voire sanctionnés pour leurs initiatives de mobilisation patriotique.
Ces épisodes de violence, que M. Salek évoque sans rancune, certes, mais avec un certain regret, ont contribué à créer un vide politico-idéologique, un terrain propice à l’influence d’acteurs extérieurs. Ainsi commença la dérive : ce qui naquit comme une lutte anti-coloniale devint progressivement instrumentalisé, transformé en un objet de concurrence régionale, détournant peu à peu le mouvement de ses racines originelles et de son idéal premier.
Quand le rêve sahraoui devint une carte algérienne
Mahjoub Salek explique : le soutien logistique et militaire venu de Tripoli et d’Alger, à l’époque de Kadhafi et sous l’influence des services algériens, a favorisé l’armement du polisario, mais aussi son éloignement des aspirations originelles. «La mort d’El-Ouali Moustapha Sayed, a été un tournant». En conséquence, M. Salek décrit un processus où les structures internes se sont figées sous l’emprise d’intérêts extérieurs, coupant le mouvement de sa base sahraouie. «Les jeunes d’alors ne comprenaient plus pourquoi ils combattaient ; les leaders leur parlaient de révolution et de séparation. Leur quotidien était façonné par des calculs qui leur échappaient», précise-t-il.
«Du jour au lendemain, le mouvement est devenu dépendant, une extension de l’influence algérienne», explique-t-il. Le rôle de l’Algérie, selon lui, n’a cessé de croître, transformant un mouvement populaire en instrument de rivalité régionale. Selon lui, c’est ainsi que la cause sahraouie voit s’effacer son horizon historique et nationaliste qui a été remplacé d’une logique géopolitique étrangère qui échappe aux jeunes militants. Et M. Salek observe : «Ce que nous avions bâti comme un élan pour la dignité et l’identité sahraouie commençait à être détourné pour servir des intérêts qui n’étaient ni les nôtres ni ceux de notre peuple».
Enterré vivant : l’ultime épreuve de l’horreur
Peu à peu, les camps, initialement conçus comme des refuges et lieux d’organisation, se métamorphosent en instruments de contrôle et de surveillance. Dans ce contexte, les témoignages de torture, d’arrestations arbitraires et d’exactions contre ceux qui osaient contester la ligne officielle révèlent la confiscation totale du projet sahraoui par des forces étrangères. M. Salek ajoute que la répression, orchestrée par des autorités liées à Alger, s’abattait tout particulièrement sur les militants qui réclamaient un retour aux idéaux fondateurs, illustrant ainsi l’ampleur du glissement du mouvement. Puis son récit prend alors une dimension terrifiante. «Ils m’ont enterré vivant pendant six ans», confie-t-il.
À mesure qu’il retrace ces années sombres, il évoque les disparitions et les vies brisées, décrivant les cellules de la «prison du Rachid», les fosses, l’acharnement sur les corps et l’humiliation ritualisée. Sorti vivant «par la Grâce de Dieu», M. Salek choisit de rompre le silence pour rendre visible l’ampleur de la souffrance dans les camps et les mécanismes de domination.
La Ligne du Martyr et l’effort de réforme
À son retour sur la scène publique, Mahjoub Salek décide de mener une bataille d’un autre genre. «Nous ne pouvions plus laisser notre peuple otage d’intérêts étrangers», affirme-t-il. Dès 2004, avec un groupe de militants partageant ses convictions, il tente de réformer le front depuis l’intérieur, pour reconnecter le mouvement à ses idéaux. C’est ainsi que la «Ligne du Martyr» voit le jour. Ce courant dissident, s’est assigné pour mission de remettre le mouvement sur les rails pour être de nouveau au service de l’émancipation des Sahraouis loin des ingérences extérieures.
La réaction du polisario a été violente. «Les pressions sont venues de tous côtés : interdictions de voyage, confiscation de documents, privation d’accès aux camps», se remémore-t-il. L’étau exercé par les relais du polisario, sous la tutelle algérienne, ne suffit toutefois pas à étouffer le souffle du renouveau. Au contraire, la «Ligne du Martyr» devient un signal audible : des voix s’élèvent au sein des camps, des jeunes interrogent la légitimité des dirigeants, et plusieurs centaines choisissent l’émigration pour échapper à la peur et à l’injustice, témoignant de l’ampleur du malaise et de l’impasse. Car selon Mahjoub Salek les dérives de la direction du polisario ne pouvaient pas être camouflées indéfiniment sous des slogans éloquents mais trompeurs. «L’idéal sahraoui a été compromis, sacrifié au profit d’intérêts personnels et de privilèges, transformant une cause légitime en instrument de pouvoir et en source de rente».
Marche Verte et Accord de Madrid : légitimité marocaine face à la dérive séparatiste
Évoquant l’année 1975, Mahjoub Salek parle d’une année décisive dans l’histoire du Sahara et du Maroc. Pour lui, la Marche Verte a marqué un tournant qui a confirmé devant le monde entier et de manière pacifique la souveraineté marocaine sur ce territoire et l’attachement profond de son peuple à la mère patrie. Dès l’annonce de la Marche Verte, le polisario a tenté de minimiser sa portée et d’en réduire l’impact, tient-il a souligner, rappelant que le mouvement séparatiste ne croyait pas à sa réussite. Peu après, les accords de Madrid, signés le 14 novembre 1975, ont entériné le cadre juridique et administratif de la réintégration du Sahara au sein du Royaume. M. Salek précise à cet égard que ces deux événements, l’un populaire et symbolique (la Marche Verte), l’autre institutionnel et légal (accords de Madrid) sont indissociables : ensemble, ils constituaient la réponse marocaine à la décolonisation espagnole et aux projets séparatistes.
Le référendum devenu chimère
Au fil des années et au gré des évolutions idéologiques dans le monde, une évidence s’est imposée implacablement : «Le référendum est aujourd’hui une chimère», assène M. Salek. L’émergence de nouvelles réalités diplomatiques et le désintérêt progressif des grandes puissances pour l’utopie d’un État sahraoui entre Mauritanie et Maroc, expliquent selon lui l’inopérabilité de cet outil. Pourtant, le polisario refuse de voir la réalité en face. Il s’obstine ainsi dans des choix contreproductifs, voire dramatiques : prolonger le statu quo, c’est-à-dire condamner des générations à l’attente et à la misère, au lieu d’adhérer à une solution préservant la dignité de tous. Sur ce point, M. Salek se montre précis et ferme : l’autonomie sous Souveraineté marocaine constitue la seule voie à la fois réaliste et moralement défendable. «Rester dans les camps pour l’éternité équivaut à un suicide politique», avertit-il. Et pour dissiper toute ambiguïté, il soutient : «L’autonomie n’est pas une reddition ; c’est la reconnaissance d’une vérité historique et la promesse d’un avenir digne pour la population sahraouie».
Le discours Royal et l’espoir d’une réconciliation
S’appuyant sur les évolutions diplomatiques récentes, et plus particulièrement sur la résolution 2797 du Conseil de sécurité de l’ONU qui confirme la crédibilité de l’Initiative marocaine d’autonomie pour le Sahara, Mahjoub Salek souligne l’importance du Discours de Sa Majesté le Roi. Dans cette logique, il interprète ces deux jalons, international et Royal, comme un signal fort, porteur d’espoir et d’ouverture : «S.M. le Roi n’a pas humilié, il a appelé, avec noblesse, les Sahraouis à revenir et à construire.» L’ancien fondateur du polisario évoque également la fête de l’Unité célébrée le 31 octobre, soulignant sa portée symbolique dans la continuité de l’effort de rapprochement. Pour lui, la combinaison de la reconnaissance internationale et des initiatives Royales représente une opportunité de dépasser les logiques antagonistes et d’inscrire le Sahara dans un cadre de dialogue pragmatique et respectueux de la dignité des populations sahraouies.
C’est dire que M. Salek voit dans le discours Royal une véritable feuille de route pour la réconciliation et la reconstruction. Ce discours, dit-il, offre un horizon clair : il ne s’agit pas d’un texte de circonstance, mais d’un appel à la raison, à la responsabilité et à la dignité. En conjuguant le réalisme politique et la dimension humaine, Sa Majesté le Roi a, selon lui, tracé les contours d’une ère nouvelle, fondée sur la réconciliation, la confiance et la participation de tous les Sahraouis à l’édification du Maroc uni. Cette vision, observe M. Salek, résonne d’un écho particulier au sein de la jeunesse des camps. Il en parle avec une attention profonde, presque fraternelle : une génération née loin de la terre d’origine, façonnée par des récits figés, mais que le doute commence à éveiller. Désormais instruite, connectée, ouverte sur le monde, cette jeunesse s’interroge avec gravité sur son destin collectif : «Où allons-nous ?»
Ce questionnement, estime-t-il, marque un tournant où l’attente se transforme en exigence. Les départs massifs, les traversées périlleuses, les désillusions idéologiques en sont les signes visibles : ils traduisent non pas une fuite, mais un refus de l’immobilisme, le rejet d’un discours qui ne répond plus ni aux espérances ni aux besoins réels d’une génération en quête de dignité et d’avenir. Pour Mahjoub Salek, le retour déjà accompli de 12.000 Sahraouis à la Mère Patrie symbolise cette dynamique irréversible. Ce mouvement n’est pas seulement migratoire ; il est politique et moral. Il exprime une volonté de dignité, de stabilité et de participation au développement. «Ce n’est pas un peuple à instrumentaliser, affirme-t-il, mais une force vive capable de reconstruire le Sud, si on lui parle avec respect et vérité.»
Dans cette perspective, il formule plusieurs recommandations pour donner corps à cette réconciliation : valoriser la jeunesse sahraouie par des programmes d’intégration économique et sociale, rétablir les liens de confiance entre les familles séparées, et consolider les canaux de dialogue entre les Sahraouis de l’intérieur et ceux des camps. Il plaide également pour une politique de communication sincère, capable de contrecarrer la désinformation et de montrer les réalisations concrètes au Sahara. Dans une ultime adresse, il élargit son appel à tous les acteurs, les invitant à faire preuve de courage politique, à traduire les paroles en actes et à admettre que la solution la plus juste est souvent la plus pragmatique. «Le temps des illusions est terminé, conclut-il. L’autonomie est la voie de la dignité.»