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Maroc-États-Unis : une alliance géopolitique forgée par l’Histoire

Le dernier essai de l’historien Farid Bahri, intitulé «Maroc-Amérique, un partenariat de deux siècles et demi» (Éditions BiblioMonde), retrace avec érudition et clarté les fondements historiques, les mutations géopolitiques et la profondeur stratégique de la relation américano-marocaine. Une contribution brillante à la compréhension d’une alliance ancienne, atypique et résolument tournée vers l’avenir.

13 Août 2025 À 17:05

Dans un contexte international marqué par l’instabilité des alliances et la volatilité des équilibres régionaux, la relation entre le Maroc et les États-Unis apparaît comme l’une des plus durables et stratégiques du bassin atlantique. C’est cette trajectoire exceptionnelle que retrace avec rigueur l’historien Farid Bahri dans un essai stimulant, au croisement de l’histoire, de la géopolitique et de l’analyse stratégique. Loin d’être un simple récit diplomatique, «Maroc-Amérique, un partenariat de deux siècles et demi» propose une lecture à la fois profonde et originale de cette alliance transatlantique, dont l’ancrage dans le temps long éclaire les enjeux contemporains.

Une reconnaissance fondatrice, une diplomatie pionnière

Dès les premières pages, Farid Bahri inscrit son propos dans le sillage d’un geste fondateur : la reconnaissance, en 1777, par le Sultan Mohammed ben Abdallah, des jeunes États-Unis d’Amérique. Ce geste diplomatique, antérieur même à celui de la France, constitue l’acte de naissance d’une relation bilatérale exceptionnelle. L’auteur y voit l’expression d’une intuition stratégique rare de la part du Makhzen, à une époque où les puissances musulmanes restaient largement à l’écart des bouleversements atlantiques. La politique maritime de Mohammed III, sa volonté d’émanciper le Maroc de son isolement terrestre et d’ancrer le Royaume dans les grands flux du négoce atlantique donnent à cet épisode un sens géopolitique fort.

À travers cette reconnaissance, c’est tout un récit alternatif des relations internationales qui se dessine : non pas celui d’un Orient figé, mais d’un Maroc actif, souverain, projeté vers le large, capable d’anticiper les dynamiques du monde moderne. Le traité de Marrakech de 1786, officialisé par Thomas Jefferson et John Adams, cristallisera cette vision, posant les bases d’un partenariat militaire et commercial pérenne.

Un ancrage géographique, une portée géopolitique

L’essai s’inscrit dans une géopolitique des frontières, que l’auteur maîtrise avec finesse. Farid Bahri met en parallèle la construction géohistorique du Maroc et celle des États-Unis : deux nations aux frontières mouvantes, prises entre mer, désert et conflits. Cette lecture comparée des «frontières liquides» et des «zones chaudes» donne une cohérence nouvelle à la relation entre Rabat et Washington. Loin d’un compagnonnage de circonstance, cette alliance est portée par une complémentarité stratégique que les événements du XXe siècle vont largement amplifier.

L’Opération Torch de 1942 – ce «D-Day oublié» – est ainsi rappelée dans toute son importance. Le débarquement américain au Maroc, prélude au tournant de la Seconde Guerre mondiale, marque un moment clé de la présence militaire américaine dans le Royaume. Roosevelt à Casablanca, Mohammed V à Washington, Hassan II reçu par Kennedy : la trame relationnelle se renforce, devient symbolique, s’inscrit dans la durée.

Mais l’auteur ne s’arrête pas aux moments spectaculaires : il éclaire aussi la diplomatie de l’ombre, les bases aériennes de Sidi Yahya ou Kénitra, la montée en puissance d’une coopération sécuritaire qui connaîtra son apogée dans la lutte contre le terrorisme post-11 septembre. Le Maroc, «porte-avions géographique», devient une tête de pont avancée dans l’architecture militaire américaine en Méditerranée.

L’étoffe d’un partenariat stratégique

L’un des apports majeurs de l’essai de Farid Bahri réside dans sa capacité à penser la relation maroco-américaine non comme un simple rapport bilatéral, mais comme une interface entre plusieurs aires stratégiques : Méditerranée, Atlantique, Afrique sahélienne, monde arabe. Le Maroc y est décrit comme un pivot géopolitique unique, à la croisée des mondes. La coopération militaire (exercices African Eagle), économique (traité de libre-échange de 2004), institutionnelle (Millennium Challenge Account) ou diplomatique (reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020) illustre cette densité.

Plus encore, Farid Bahri rappelle que cette alliance est aussi une affaire de mémoire : la Légation américaine de Tanger, première représentation diplomatique des États-Unis dans le monde, en est le témoin matériel. Aujourd’hui musée, elle symbolise cette «éternelle accolade» entre deux nations que tout semblait opposer, mais que l’Histoire a réunies.

Un essai clairvoyant, salutaire et documenté

En conjuguant l’analyse géopolitique à une fine lecture historique, «Maroc-Amérique, un partenariat de deux siècles et demi» réussit le pari de mettre en perspective une relation bilatérale souvent évoquée de façon superficielle. Le style alerte, la richesse documentaire et la profondeur des intuitions font de ce livre bien plus qu’un essai géopolitique : c’est une véritable cartographie intellectuelle des relations internationales marocaines, dessinée dans la longue durée.

Loin d’une simple commémoration, l’ouvrage de Farid Bahri offre les clés de compréhension d’un partenariat qui, au fil des siècles, a su allier continuité diplomatique, proximité stratégique et convergence d’intérêts, sans jamais verser dans la dépendance ni dans l’ingérence. En ces temps d’incertitude géopolitique, cette relation à la fois ancienne et résolument moderne mérite d’être mieux connue, mieux comprise, mieux célébrée.
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