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Médias : plaidoyer pour une couverture éthique de la migration de la main-d’œuvre africaine

La Fédération des journalistes africains (FAJ) et l’Organisation internationale du travail (OIT) ont lancé, le mercredi 15 janvier 2025 à Kigali, au Rwanda, un atelier de formation destiné aux professionnels des médias africains. Cette initiative vise à renforcer leurs capacités en matière de couverture des questions liées à la migration de main-d’œuvre sur le continent. Alors que les flux migratoires africains connaissent une croissance sans précédent, avec une augmentation de 91,2% entre 2008 et 2017, cette formation trouve toute sa pertinence.

17 Janvier 2025 À 10:24

La migration de la main-d’œuvre façonne profondément le paysage socio-économique africain. Avec 169 millions de travailleurs migrants dans le monde, dont une part croissante en Afrique, le continent fait face à des défis majeurs en matière de couverture médiatique de ce phénomène. «Le pays des mille collines et mille solutions» comme l’a souligné Aldo Havugimana, président de l’Association des journalistes du Rwanda (ARJ), accueille cette formation cruciale pour bâtir une approche unifiée et un message basé sur la vérité, loin des stéréotypes qui entachent souvent la perception des migrations.

La migration africaine : une réalité complexe à décrypter

Entre 2008 et 2017, l’Afrique a connu une augmentation spectaculaire de sa population migrante, passant de 13,3 millions à 25,4 millions d’individus. Cette croissance, qui dépasse largement celle de la population générale du continent, reflète une dynamique profonde que les journalistes doivent comprendre pour mieux la relater. Sur ces 25,4 millions de migrants, environ 14,4 millions étaient des travailleurs migrants internationaux en 2017, avec une population en âge de travailler atteignant 19,7 millions. Omar Farouk, président de la FAJ, a mis en lumière lors de cet atelier l’urgence de la situation : «La migration de travail et la mobilité sont des questions qui ont modelé notre société. Nous devons nous focaliser sur l’exploitation des migrants africains qui essaient de travailler, notamment dans les pays du Golfe».

Vers une nouvelle narration : le rôle crucial des médias

«Le journalisme pour le bien public doit faire l’écho du narratif africain et son impact dans la société», a insisté Omar Farouk. Cette vision est partagée par Ephrem Getnet, conseiller technique principal de l’OIT, qui souligne que «malgré la contribution des migrants, la focalisation reste fixée sur l’autre partie de l’histoire. Il n’y a pas suffisamment d’articles positifs».

La complexité du paysage migratoire africain se manifeste à travers diverses routes et schémas qui témoignent de la multiplicité des dynamiques de déplacement sur le continent. Les déplacements intracontinentaux dominent largement le tableau, représentant 80% des flux migratoires, illustrant ainsi la prévalence de la mobilité intercontinentale. Parallèlement, on observe des mouvements significatifs vers d’autres continents, particulièrement vers l’Europe et le Moyen-Orient, où de nombreux travailleurs africains cherchent de nouvelles opportunités économiques. Ces flux migratoires sont également façonnés par des facteurs environnementaux et sociopolitiques, notamment le changement climatique et les conflits liés aux ressources, qui poussent de nombreuses communautés, en particulier les populations pastorales, à se déplacer à la recherche de meilleures conditions de vie.

Formation et réseautage : vers une couverture médiatique responsable

«Pouvons-nous avoir un journal respectable sur la question migratoire ? Pour cela, il faut sortir de la zone de confort et être prêt à faire des enquêtes», a déclaré Akhator Joel Odigie, secrétaire général de la CSI-Afrique. Pa Louis Thomasi, de la FAJ, a souligné l’importance de créer «une chaîne de réaction qui résonne dans toutes les régions» à travers le réseau régional et national des journalistes.

La formation organisée à Kigali intervient dans un contexte où la désinformation sur la migration prolifère. Selon Doris Picard, représentant du Conseil rwandais de gouvernance, le Rwanda illustre parfaitement comment un pays peut créer un environnement propice pour le marché du travail et l’accueil des migrants. «Le parcours du Rwanda est un parcours de résilience... une nation qui fait ses preuves en tant que pays qui apprécie l’innovation. Nous sommes prêts d’être au centre d’idées transformatives», a-t-il déclaré.

L’initiative derrière l’organisation de cet atelier s’attaque à plusieurs défis majeurs identifiés dans la couverture médiatique de la migration. La première problématique concerne la prédominance des stéréotypes négatifs qui entachent la perception des migrants. À ce sujet, Ephrem Getnet de l’OIT souligne une réalité préoccupante : «Le débat est souvent politique. Il y a une rhétorique antimigratoire.» Cette situation s’avère particulièrement délicate pour les femmes migrantes, qui constituent 41,5% des travailleurs migrants mondiaux et se retrouvent confrontées à une double discrimination.

Un autre enjeu crucial réside dans l’insuffisance des reportages transfrontaliers. Pour y remédier, des initiatives de collaboration transnationale sont actuellement mises en œuvre, comme l’explique Neha Choudhary, responsable technique du JLMP LEAD à l’OIT : «Nous travaillons avec les médias sur quatre secteurs concernant la main-d’œuvre et sa migration». Cette démarche s’inscrit dans une perspective plus large, celle du projet JLMP qui poursuivra ses activités jusqu’en mars 2025».

La nécessité d’une approche éthique constitue également un axe majeur de cette initiative. Sur ce point, Omar Farouk a mis en lumière l’importance de traiter la question des abus subis par les migrants africains avec toute l’attention qu’elle mérite : «Nous devons donc parler des abus que les migrants vont avoir dans ces pays, où ils vivent dans des conditions inhumaines au-delà des limites acceptables.» Cette préoccupation souligne l’urgence d’adopter une couverture médiatique responsable et engagée.

Une réponse structurée aux enjeux de la migration

La formation, qui a démarré mercredi 15 janvier 2025 et s’est poursuivie pendant deux autres jours, s’articule autour de plusieurs axes stratégiques pour améliorer la qualité du journalisme sur la migration. Un aspect fondamental concerne le renforcement des compétences techniques des professionnels des médias. Dans cette optique, les journalistes reçoivent une formation approfondie sur l’utilisation d’outils spécifiques, en particulier le «Guide de l’OIT sur le travail forcé et le recrutement équitable». À cet égard, Neha Choudhary a souligné l’importance de la mise à disposition d’un glossaire spécialisé visant à garantir une terminologie précise dans les reportages.

La création de réseaux collaboratifs constitue un autre pilier essentiel de cette initiative. Dans cette perspective, Aminata Sanou, représentante de l’ALMJN (Réseau africain de journalistes sur la migration de la main-d’œuvre) – dont un journaliste du quotidien «Le Matin» assure la vice-présidence –, a mis en avant le Réseau. Cette structure innovante a pour objectif de faciliter et renforcer la collaboration entre professionnels des médias à l’échelle continentale, permettant ainsi une couverture plus complète et coordonnée des enjeux migratoires.

Une attention particulière est également portée à l’approche sensible au genre dans le traitement médiatique de la migration. La formation insiste sur l’importance cruciale d’une couverture journalistique qui prend en compte les spécificités liées au genre, un aspect particulièrement pertinent, étant donné la proportion significative de femmes parmi les travailleurs migrants. Cette dimension permet d’assurer une représentation plus équilibrée et inclusive des réalités migratoires sur le continent.
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