Hicham Oukerzaz
14 Janvier 2024
À 10:40
Le Matin : le Maroc célèbre ce dimanche, pour la première fois, le Nouvel An amazigh comme jour férié payé. En tant qu’écrivaine, qu’est-ce que cela représente pour vous?
Rabiaa Marhouch : c’est une merveilleuse nouvelle! J’ai de beaux souvenirs d’enfance de la célébration de «Yennayer», le Nouvel An amazigh, le même sentiment d’enthousiasme et de bonheur qu’on éprouve lors des autres fêtes qui ponctuent l’année. On sait combien la célébration des fêtes est importante pour le développement affectif et social, pour l’ouverture et la connaissance de notre propre culture, de nos traditions familiales, des traditions de notre pays et de celles du monde. L’instauration du Nouvel An amazigh comme jour férié renforce l’inclusivité culturelle amazighe et rend cette composante culturelle et son imaginaire plus largement partagés par les Marocains et les Marocaines. Je suis heureuse de savoir que cette année tout le pays va officiellement partager cette fête avec les Amazighs. C’est un événement fort sur le plan symbolique et affectif!
Depuis le discours d’Ajdir en 2001, le Maroc avance résolument vers la consécration du pluralisme linguistique et de la diversité culturelle en tant que droit constitutionnel. Qu’est-ce qui a été fait depuis lors selon vous?J’ai suivi les évolutions du Maroc vers ce pluralisme culturel et linguistique, depuis le début du règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Je dois dire que les réformes et les changements sont spectaculaires. De l’instauration de la langue amazighe comme langue officielle du pays au même titre que la langue arabe, en 2001, ainsi que la création de l’Institut Royal de la culture amazighe (Ircam), la même année, à la reconnaissance constitutionnelle en 2011 et la généralisation de l’amazigh dans les services publics, en passant par son enseignement dans les écoles et les universités, les changements sont réels et palpables au niveau de la représentativité et de l’accès à l’information, notamment pour les amazighophones qui ne maîtrisent pas la langue arabe : dans l’audiovisuel public, par exemple, les programmes et les informations sont en amazigh depuis quelques années. Il reste encore, me semble-t-il, la standardisation du tifinagh à parachever. Sous la conduite du professeur Ahmed Boukouss, les modalités de réalisations de ces ajustements linguistiques sont entre les mains de l’Ircam. C’est un travail de haute précision et de concertation qui demande du temps.
Au niveau des administrations, la possibilité est ouverte de bénéficier d’interprètes, etc. Cela se ressent très positivement dans les familles aussi et renforce non seulement les liens sociaux et culturels entre Marocains, mais au sein de la cellule familiale. Un exemple simple : pouvoir regarder les informations du soir en amazigh, sans que les nièces et les petits-enfants jouent les interprètes auprès des grands-parents, partager ensemble un moment de cinéma sur la chaîne nationale, tout cela est nouveau pour beaucoup de familles et c’est une grande avancée dans la représentativité amazighe audiovisuelle, administrative et dans l’espace public, de façon générale. Il ne faut pas laisser l’État et les administrations s’occuper de tout. Le citoyen comme les intellectuels et les acteurs du monde culturel peuvent aussi participer à cet élan d’ouverture pluriculturelle et linguistique.
C’est la raison pour laquelle je compte aussi y prendre ma part, en ma qualité d’éditrice, pour réaliser non seulement des livres en amazigh, mais également des supports parascolaires d’apprentissage de la langue amazighe à destination du jeune public. En collaboration avec des linguistes et des spécialistes de cette langue, nous pouvons créer des supports pédagogiques adaptés aux jeunes. Ceci est fondamental pour la culture du bilinguisme et des passerelles entre les langues dès le plus jeune âge. L’édition est un partenaire crucial pour une politique de lecture publique et d’enseignement des langues, grâce à des productions livresques pour alimenter le système éducatif. La maison d’édition Africamoude affiche d’ailleurs dès son nom le pluralisme linguistique, culturel, ainsi que l’ouverture sur le monde : c’est une contraction de «Africa» et de «amoude», qui signifie en amazigh les graines indispensables aux semailles et aux belles récoltes!
Que pensez-vous du rythme de la mise en place du caractère officiel de la langue amazighe, notamment dans l’administration et l’enseignement?Les principes ont été adoptés à partir de 2001 et il y a parfois des écarts entre l’adoption des principes et leur application dans la vie quotidienne. Sa Majesté le Roi Mohammed VI insiste toujours sur l’effectivité des droits et leur application sur le terrain. Il l’a fait sur la Moudawana, Il l’a récemment réitéré à l’occasion du message qu’il a adressé, à l’occasion du 75e anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme par les Nations unies, aux participants au colloque international organisé par le CNDH, sous la houlette de la présidente de l’institution, Mme Amina Bouayach, et placé sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Lors de cet événement commémoratif auquel de très grandes personnalités du monde de la culture et des droits humains ont pris part (Atiq Rahimi, Prix Goncourt 2008, l’écrivain Franck Bouysse, le philosophe Raphaël Liogier, etc.), les affiches et les différents supports de l’événement étaient faits en arabe et en amazigh. Rendre les choses palpables et vivantes est la preuve la plus forte que la diversité est un atout. C’est aussi ce que Sa Majesté redit et met en œuvre autour de la valorisation des cultures africaines et de la composante africaine du Maroc. Un proverbe dit qu’on n’est jamais bien servi que par soi-même! Nous avons donc à nous servir nous-mêmes de nos atouts pour être plus en phase avec nos richesses culturelles, dont les langues sont un aspect spectaculaire, important et significatif.
Pourquoi selon vous le Maroc a-t-il pu faire de la question de l’identité amazighe un facteur de cohésion et d’unité nationale, alors qu’ailleurs les revendications identitaires sont souvent à l’origine de tensions?Je pense que le sentiment de marocanité des Marocains est plus fort que toute revendication identitaire étriquée. Nous ne devons pas nous laisser envahir par des tensions qui ne font partie ni de notre histoire ni de notre état d’esprit en tant que Marocains. Cela dit, les réformes et les avancées pour donner plus de visibilité et de représentativité à la langue et à la culture amazighes sont une nécessité, qui non seulement préserve, mais renforce notre unité nationale et notre sentiment de marocanité, une et indivisible.