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Numérique, eau et énergie, trois leviers pour transformer les provinces du Sud

À l’occasion de la cinquième édition du Forum MD Sahara, tenue du 13 au 16 novembre à Dakhla, trois ministres ont partagé leur vision pour le développement des provinces du Sud. Amal El Fallah Seghrouchni a mis en avant le rôle du numérique pour l’inclusion et l’innovation, Nizar Baraka a souligné l’importance des infrastructures et de la gouvernance hydrique, tandis que Leïla Benali a évoqué la transition énergétique comme levier de croissance et d’emploi. Ensemble, leurs interventions dessinent un Sahara marocain tourné vers l’avenir, où progrès technologique, développement durable et ouverture sur l’Afrique vont de pair.

Ph. Sradni

16 Novembre 2025 À 18:20

La plénière ministérielle du Forum MD Sahara a mis en lumière, côte à côte, deux visions complémentaires pour les provinces du Sud : l’une technologique et sociale, portée par Amal El Fallah Seghrouchni, et l’autre infrastructurelle et environnementale, défendue par Nizar Baraka. Leïla Benali est venue compléter ce tableau en apportant une perspective énergétique et climatique, rappelant que la transition verte et les investissements dans les énergies renouvelables étaient autant de leviers pour créer des emplois, renforcer la durabilité et préparer le Sahara marocain à jouer un rôle moteur sur le plan continental.

«Une nouvelle marche» : le numérique au cœur du développement

Amal El Fallah Seghrouchni, ministre déléguée chargée de la Transition numérique et de la réforme de l’administration, a d’emblée inscrit le numérique dans la continuité de la Marche Verte : une nouvelle marche, cette fois technologique, qui se place au cœur du développement des régions du Sud. Son message est simple et concret : sans connectivité, pas d’accès aux services modernes. Elle rappelle le déploiement de la 5G, lancée le 7 novembre dans plus de 50 villes, dont Dakhla, et insiste sur le rôle des réseaux pour rapprocher services et citoyens. La ministre a détaillé des initiatives très opérationnelles : le programme Job Intech pour la formation et l’insertion professionnelle dans le numérique, et l’ouverture du premier Institut Jazari à Dakhla, consacré à l’intelligence artificielle et à la transition énergétique.

L’ambition qui sous-tend ces projets est continentale. Le projet de data center africain de 500 MW, alimenté à 100% par des énergies renouvelables et connecté à des câbles sous-marins, est présenté comme un pivot de souveraineté numérique et de coopération Sud–Sud. La ministre évoque la vocation du site : héberger des données, offrir une «capacité de calcul hors du commun pour le Maroc mais aussi pour toute l’Afrique», et soutenir la feuille de route du cloud souverain 2025-2030 destinée aux administrations, aux PME et aux grands groupes.



Amal El Fallah Seghrouchni a aussi insisté sur l’arsenal d’appui à l’innovation : formation des talents, programmes dédiés aux jeunes et aux femmes, accompagnement de l’entrepreneuriat technologique et le programme D4SD (Digital for Sustainable Development), conçu pour positionner le Maroc comme hub régional arabo-africain. Au-delà des infrastructures, c’est la promesse d’emplois qualifiés et d’écosystèmes locaux (chercheurs, entrepreneurs, donneurs d’ordre) qui doit transformer le tissu socio-économique du Sud.

Gouvernance hydrique et infrastructures : le Sud, modèle d’équilibre national

Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’eau, a pris la parole dans un registre complémentaire, ancré dans la territorialité et la diplomatie régionale. Après avoir exprimé son émotion à l’occasion des commémorations, il a rappelé que le Forum coïncidait avec le 10e anniversaire du nouveau modèle de développement des provinces du Sud, une décennie pendant laquelle, assure-t-il, «cette ambition est devenue une réalité».

Pour lui, la résolution 2797 et la dynamique Royale ouvrent «une nouvelle page» : la période d’initiatives se transforme en phase de propositions concrètes et de déploiement. M. Baraka a insisté sur la multiplication des moteurs de croissance (hydrogène vert, numérique, tourisme durable, agro-industrie, mines) et sur la place centrale des infrastructures routières, citant la double voie Tiznit-Dakhla et les travaux d’élargissement vers Guergarate, qui font de Dakhla un hub ouvert sur l’Afrique subsaharienne.

L’eau, ressource critique, fait l’objet pour sa part d’une réflexion profonde. M. Baraka a évoqué la volonté de faire de Dakhla «un institut de recherche de développement et de recherche appliquée» pour l’eau, avec des partenariats régionaux, afin de développer «de nouveaux modèles de gestion et de gouvernance hydrique» et d’intégrer la digitalisation dans l’économie d’eau. L’approche combine recherche, innovation et partage d’expérience pour répondre au stress hydrique tout en soutenant les filières locales.

Connecter les ambitions : énergie, corridors et intégration continentale

Les deux ministres ont convergé sur un point majeur : la nécessité de lier les atouts technologiques aux infrastructures physiques. M. Baraka a détaillé les projets d’interconnexion électrique vers la Mauritanie et le Sénégal et évoqué le projet gazier transcontinental, le gazoduc Nigeria-Maroc, comme instrument d’accès à l’énergie et de développement industriel pour 13 pays. L’objectif affiché est d’offrir des coûts d’énergie compétitifs et d’ouvrir des perspectives d’investissement indispensables à la création d’emplois.

Amal El Fallah Seghrouchni, de son côté, a rappelé que le futur data center et les réseaux numériques seront eux aussi intégrés à cette logique de corridors : la connectivité internationale, les capacités de calcul et la souveraineté des données sont pensées pour alimenter les chaînes de valeur régionales. Ensemble, ces projets visent à faire du Sahara «une plateforme d’opportunités», capable de catalyser des investissements et d’attirer talents et entreprises.

Appel à une transition énergétique «simplifiée, crédible et tournée vers les territoires»

Alors que les provinces du Sud se transforment grâce aux infrastructures et à la gouvernance territoriale, le volet énergétique s’impose comme le moteur incontournable de cette évolution. Leïla Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable, est ainsi venue détailler comment la transition énergétique et les investissements climatiques s’inscrivent au cœur de cette stratégie de développement régional et national. La ministre a livré un échange à la fois technique, vif et profondément humain, où la transition énergétique marocaine se raconte moins comme un chantier abstrait que comme un projet collectif qui exige stabilité, innovation... et beaucoup de simplification administrative.

À l’horizon 2030, Leila Benali voit grand. Très grand. L’énergie, l’environnement et les mines sont pour elle la locomotive de l’économie et de la société. Rien ne fonctionne sans énergie, rappelle-t-elle : «on ne pourrait pas tenir des conférences dans une si belle salle sans air pur et sans électricité pour éclairer et travailler». Elle espère, et dit travailler pour un «boom, un choc d’investissement» dans toutes les régions. Car si l’énergie crée peu d’emplois directs, insiste-t-elle, elle génère énormément de postes indirects, notamment dans l’efficacité énergétique et les services. Puis, dans un moment d’audace assumée, elle partage un rêve : «que le Maroc devienne l’Arabie saoudite ou le Qatar des énergies renouvelables». Avant d’ajouter, face au scepticisme ambiant, «C’est complètement réalisable dans cinq ans. À condition de sortir de la maison de Corfou».

Une contribution climatique ambitieuse... et surtout innovante

De retour de la COP, la ministre détaille les engagements du Maroc. Le pays a soumis à temps sa nouvelle contribution déterminée au niveau national (CDN), plus ambitieuse que la précédente, avec un objectif de réduction des gaz à effet de serre de 53% à l’horizon 2035. Mais pour elle, le plus important n’est pas là. Le véritable apport du Maroc tient à deux innovations méthodologiques. La première consiste à sortir du discours classique Nord–Sud pour introduire une approche plus efficace, sectorielle : aligner les engagements climatiques sur les investissements réels des secteurs les plus émetteurs (transport maritime, énergie, mines) afin que les pays puissent progresser au rythme de leurs filières. «Les États ne peuvent pas aller plus vite que leurs secteurs les plus carbonivores», résume-t-elle.

La seconde innovation consiste à établir un lien direct entre les financements climatiques internationaux et les projets territoriaux, qu’ils portent sur l’adaptation ou l’atténuation. Autrement dit : permettre à chaque région du Maroc, y compris les provinces du Sud, de profiter davantage des fonds climatiques, en montrant comment les grands projets d’énergies renouvelables peuvent créer un effet de levier local.

Les provinces du Sud concernées aussi par les financements climatiques

Interrogée sur les montants attribués aux provinces du Sud, la ministre rappelle qu’une partie des quelque 500 millions de dollars mobilisés depuis la COP22 y a été dirigée. Elle insiste toutefois : il ne s’agit pas d’aides, mais d’investissements, accessibles sur la base de projets solides. «Après 15 ans de développement des énergies renouvelables, il est temps de récolter les fruits, y compris au niveau de la gouvernance locale», dit-elle. Et pour elle, l’enjeu est clair : garantir à toutes les régions un accès juste et équitable au financement climatique. Une transition juste, dans le sens le plus concret du terme. En filigrane dans toutes ses réponses, Leïla Benali défend une idée simple : la crédibilité du Maroc. Elle rappelle que l’engagement du Royaume dans les négociations climatiques est «indéfectible et constant» depuis Rio 1991, et que cette stabilité politique et sectorielle compte autant que les chiffres.

L’arrêt du Gazoduc Maghreb-Europe raconté par Leïla Benali

Alors que la date du 31 octobre 2025 est entrée dans l’histoire du Maroc en tant que fête nationale célébrant un tournant historique dans le dossier du Sahara marocain, Leïla Benali replonge dans un autre 31 octobre, celui de l’année 2021, une date restée gravée comme un basculement. Ce jour-là, l’Algérie décide de ne pas renouveler le contrat du Gazoduc Maghreb-Europe (GME), coupant net l’approvisionnement du Maroc. «C’est également le jour où nous avons réussi à relever le défi concernant l’arrêt de l’un des gazoducs transcontinentaux entre l’Afrique et l’Europe, le gazoduc Maghreb-Europe. Une belle histoire de coopération énergétique s’arrête», a déploré la ministre qui s’exprimait à Dakhla dans le cadre du Forum MD Sahara.

Le timing est cruel : «Le gouvernement en place depuis moins de 3 semaines se retrouve avec 10% de la capacité électrique du pays à l’arrêt», se souvient-elle. Elle est à Glasgow, en pleine COP26, en train de parler sortie du charbon, quand son équipe doit gérer l’urgence d’un approvisionnement soudainement volatil. Mais pour la ministre, ce choc agit comme un déclencheur : «C’est ce jour-là, le 31 octobre 2021, que ma conviction a été gravée dans le marbre : que l’arrêt du GME (et l’entrée dans le marché du GNL) nous offrait une opportunité historique». Celle d’accélérer trois transformations : renforcer la sécurité énergétique, développer les énergies renouvelables souveraines et moderniser le secteur pour réduire durablement les coûts. En bref, cet arrêt forcé n’était pas une fin, mais une occasion rare de reconstruire. «Never waste a good crisis», lance la minister, citant Churchill.

Dans cette tempête, une image s’impose immédiatement à elle : le Sahara. «J’ai immédiatement pensé à la vocation spéciale de Dakhla et de notre Sahara, une terre de rencontres, un carrefour d’échanges. Une terre aux ressources solaires et éoliennes exceptionnelles, qui pourrait remplacer certains grands détroits en connectivité et certains grands producteurs d’énergie en opportunités industrielles», raconte-t-elle.

2022 : prendre le risque, affronter les pressions

Quelques mois après l’arrêt, en janvier 2022, le Maroc lance un appel d’offre restreint pour fournir du gaz compétitif. Mais rien n’est simple : «Certains opérateurs nous expliquent que leur offre n’était plus valide, force majeure géopolitique. D’autres ont beaucoup hésité, par peur de représailles (du voisin). Certains voulaient se cacher derrière des sociétés écrans. D’autres ne voulaient pas que le premier cargo vienne de chez eux». Il faudra la détermination d’un jeune trader marocain à Londres, qui «a failli se mettre à dos son management», pour finaliser le premier cargo de GNL importé par le Maroc, via les infrastructures espagnoles, en juillet 2022. «Je le remercie également ici, il se reconnaîtra», lance-t-elle.


Trois ans plus tard : la souveraineté énergétique devient réalité

Aujourd’hui, affirme Mme Benali, ce moment de crise s’est transformé en accélérateur stratégique. «Nous sommes à la veille du lancement effectif de notre infrastructure gazière souveraine», avec le terminal d’importation de Nador West Med et les gazoducs qui relieront les centres de consommation. Et plus loin encore, la ministre rattache cette trajectoire à une vision Royale plus large : le futur Gazoduc Afrique Atlantique, voulu par Sa Majesté le Roi, et les interconnexions électriques vers la Mauritanie et l’Europe. «Ce n’est pas juste un tuyau pour transporter aujourd’hui du méthane et demain de l’hydrogène, c’est surtout la concrétisation d’une intégration économique... et le désenclavement de deux régions au Maroc et de tout un continent», relève la responsable.

En 2025, la date du 31 octobre prend un autre sens : elle devient «Aïd Al Wahda», la Fête de l’Unité, suivant la décision du Souverain. Pour la ministre, l’énergie fait partie de cette unité retrouvée. Ce jour de crise est devenu un symbole d’émancipation. Et c’est naturellement depuis Dakhla, à l’occasion du Forum MD Sahara, qu’elle souhaite boucler cette boucle : «Avec vous, nous redonnons au Sahara marocain sa vocation millénaire, de carrefour entre le Nord et le Sud, de terre de connectivité...», conclut-elle.

CDG, un investisseur patient qui transforme les territoires

Au Forum MD Sahara à Dakhla, Khalid Safir, directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), a livré une vision claire : le développement des provinces du Sud n’est pas seulement un chantier national, mais un projet structurant pour l’Afrique entière. Et la CDG, fidèle à sa philosophie d’«investisseur patient», y assume un rôle déterminant. Au-delà du financement, la CDG agit comme catalyseur. Elle structure les projets, prépare les écosystèmes, sécurise les capitaux et ouvre la voie pour attirer l’investissement privé. Dans les régions du Sud, ce rôle s’est matérialisé par des projets stratégiques : la voie express Tiznit-Dakhla, qui refonde l’axe Nord-Sud, l’Autoroute de l’eau, essentielle pour la résilience climatique, ou encore l’accompagnement du programme Phosboucraa de l’OCP, destiné à ériger un pôle industriel d’envergure dans les provinces du Sud.

La CDG est aussi présente dans les projets emblématiques qui redessinent le Sahara marocain. À travers le marché des capitaux, elle a contribué à mobiliser des financements pour le Port de Dakhla Atlantique, pièce maîtresse de la stratégie nationale : un futur hub industriel et logistique ouvert sur l’Atlantique, l’Afrique de l’Ouest et les grandes routes commerciales mondiales. Loin de se cantonner aux infrastructures, le Groupe apporte également son expertise d’aménageur. L’exemple de Taghazout, devenu une référence internationale, a valeur de démonstration : la CDG sait créer, en partenariat, des destinations compétitives, durables et créatrices d’emplois. Cette méthodologie est désormais appliquée au Sud.

À Boujdour, un pôle industriel et logistique intégré a déjà pris forme, confirmant l’attractivité de la région. À Dakhla, les études avancent pour un nouveau pôle urbain mêlant habitat, tourisme et services, ainsi qu’une Cité universitaire de plus de 500 lits pour accompagner l’essor du campus régional. À Laâyoune, un projet similaire est à l’étude. Des investissements touristiques sont également programmés, tout comme les projets Sahara Tech Valley et Dakhla Tech Valley, destinés à amorcer un écosystème numérique dans les provinces du Sud.

Pour M. Safir, les provinces du Sud sont désormais à l’orée d’un basculement stratégique. Les investissements massifs réalisés ont créé un territoire capable d’intégrer les chaînes de valeur mondiales, qu’il s’agisse d’énergie verte, de logistique, d’agro-industrie, de numérique ou de tourisme. Le Sahara marocain, insiste-t-il, n’est plus seulement un réservoir de potentiel. Il devient une plateforme d’opportunités pour tout le continent africain : un espace ouvert sur l’Atlantique, connecté à la Méditerranée, au Sahel et à l’Afrique de l’Ouest. Un futur carrefour des échanges, des industries et de l’innovation.

L’action de la CDG dans les régions du Sud s’inscrit dans une continuité assumée : sécurité, investissement, transformation. Le Groupe revendique une approche intégrée, mêlant performance économique, impact social et durabilité. Cette cohérence lui permet d’intervenir comme référent national du financement de long terme et comme partenaire stratégique des territoires. Khalid Safir rappelle à ce titre que la Vision Royale fixe un cap clair : faire du Sahara marocain un modèle de développement durable et un pôle d’intégration africaine. La CDG continuera d’accompagner cette ambition avec constance, responsabilité et engagement. «Parce qu’investir pour transformer, c’est aussi investir pour unir, pour renforcer la cohésion et pour construire ensemble le Maroc des territoires, fort de son Sahara, confiant dans son avenir et fidèle à la Vision Royale», conclut-il.
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